De la mer à l'assiette: l'itinéraire du cabillaud sous l'oeil des scientifiques

De la mer à l'assiette: l'itinéraire du cabillaud sous l'oeil des scientifiques
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Par Euronews
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“Je ne mange que du poisson frais”. Dans une poissonnerie de Boulogne-sur-Mer, dans le Nord de la France, Evelyne Corteyn précise: “ j’aime beaucoup le cabillaud en court-bouillon. Avec une bonne sauce hollandaise et une pomme de terre à l’eau à coté”.

Devant cette consommatrice, sur les étals, on retrouve toutes sortes de poisson. Et notamment, du cabillaud. Il a été pêché une semaine plus tôt à quelques milliers de kilomètres plus au nord.

A Dalvik, dans le Nord de l’Islande, un bateau décharge sa cargaison. La pêche a été plutôt difficile. Trois jours de travail dans le cercle Artique pour le pêcheur islandais Gudmundur I. Gudmundsson. “La météo était terrible là-haut, explique-t-il, très orageuse. Le vent venait du sud-ouest. C’est ce qu’il y a de pire pour pêcher le cabillaud. Mais nous en avons finalement ramené 40 tonnes.”

Aux côtés des pêcheurs, dans ce port isolé, des chercheurs travaillent dans le cadre d’un programme mis en place par l’Union Européenne (www.chill-on.com). Leur objectif: rendre compte, en temps réel de la fraîcheur des poissons, jusqu‘à ce qu’ils soient consommés, quelques 2700 kilomètres plus tard…

“Quoi qu’il arrive, s’il y a une augmentation de la température, cela va réduire la durée de vie marchande du poisson, explique Sigurdur Bogason, spécialiste de la sécurité alimentaire à l’Université d’Islande. Or, ce qui intéresse le consommateur, c’est d’avoir un poisson frais et de qualité . Donc pour y parvenir, il faut gérer chaque étape de la chaîne de transport. S’il y a une hausse de température au cours de l’une de ces étapes , cela peut ruiner la qualité du poisson et même le rendre impropre à la consommation”, conclue-t-il.

Première étape: l’usine de conditionnement. Chaque jour, près de 3 tonnes de cabillaud y sont filetés, glacés et triés. C’est ici que le chercheur italien Luca Zanella installe des capteurs de température à l’intérieur et à l’extérieur des boîtes de conditionnement. “ Ces biocapteurs envoient des informations concernant la température à l’intérieur et à l’extérieur de la boîte, à des heures données. Il peut enregistrer la température chaque minute, chaque dix minutes, et il envoie ces données au système central grâce à un réseau de télécommunication”.

Le cabillaud est acheminé vers l’Europe par camion et par ferry – plus lents mais bien moins chers que l’avion. Au cours de ce voyage, la température des poissons ne doit jamais dépasser les 4 degrés Celsius. Grâce aux capteurs et au GPS, la mesure de la température en temps réel peut commencer. “La température ambiante est basse dans le camion, constate Tomas Haflidason, ingénieur industriel à l’Université d’Islande. Et la température des poissons est basse elle aussi. Donc le système nous dit que tout va bien.”

Pendant ce temps, des échantillons de ces mêmes poissons arrivent dans un laboratoire de Reykjavik. Le cabillaud est cuit, puis goûté par des volontaires. Combinés avec des analyses microbiologiques, ces tests aident à mieux comprendre comment le poisson frais se détériore avec le temps. “Juste après la mort du poisson, des microbes commencent à se développer, explique Emilia Martinsdottir, ingénieur en chimie. Ces microbes sont issus de la décomposition d’azote et de soufre. La plupart des gens n’aiment pas le goût de ces composés chimiques. C’est pourquoi le poisson devient très mauvais quand il n’est plus frais.”

Après avoir traversé l’Islande, le camion de poisson frigorifié embarque sur un ferry. De retour sur terre, le chargement est transféré dans un autre véhicule. Neuf jours après avoir été pêché, le cabillaud arrive finalement en France. A Boulogne-sur-Mer, il est six heures du matin, et les scientifiques sont à l‘œuvre avec leurs appareils de mesure.

“Le voyage a été long, souffle Thomas Haflidason. Nous avons navigué de l’Islande aux îls Féroé, puis nous sommes arrivés au Danemark. Hier, nous avons roulé du Danemark jusqu‘à la Belgique, et nous venons d’arriver à Boulogne-sur-mer.”

Dans une pièce réfrigérée, les scientifiques retirent les appareils de mesure. La température des poissons tourne autour de un degré et est restée stable pendant pratiquement tout le voyage.
“Dans l’Est de l’Islande, pendant environ une demi-heure, la température des poissons est montée à 5 degrés, confesse Tomas Haflidason. Mais les conditions météorologique sont plutôt fraîches en Islande donc cette petite hausse de température n’a pas eu d’effets.”

Des échantillons de poisson seront envoyés dans un laboratoire non loin du port pour subir d’autres analyses microbiologiques. Mais déjà, les scientifiques ont appris à mieux comprendre l’effet des conditions extérieures, comme l’humidité, sur la qualité du poisson. “Il y a un intérêt commercial évident à exploiter les résultats obtenus, affirme Matthias Kück, le coordinateur du projet. Cela va de la mise en place de technologies visant à améliorer la gestion de la chaîne d’approvisionnement, à des techniques qui permettent de déterminer la charge bactériologique du produit et sa durée de vie marchande. Et jusqu‘à l’enregistrement des données en temps réel en utilisant les indicateurs de température.”

Dernière étape: une partie du cabillaud islandais est proposé à un poissonnier local, qui accepte de le stocker pour en apprendre plus sur sa durée de vie marchande. “Si le poisson n´est pas frais, les clients ne viennent pas, affirme le poissonnier Philippe Legrand. Quand on voit que le poisson brille, qu’il est de bonne qualité et ne colle pas, les gens reviennent”.

Retour en Islande. Ici, les scientifiques espèrent que la mesure des températures en temps réel permettra aussi le développement d’une pêche plus durable, car moins de poissons seront perdus.

“Si on perd en qualité, on perd en valeur marchande, explique Sigurdur Bogason. Et si on perd toute la qualité, on perd toute la valeur marchande. Donc le poisson est gâché. Et finalement, c’est dans les poubelles du marché que l’on retrouvera le poisson. Pas dans l’assiette du consommateur. Je ne suis pas sûr que ce projet règlera le problème, poursuit-il. Mais avec l’aide de la technologie, de l‘électronique, des ordinateurs, nous pouvons aujourd’hui arriver à des choses que nous ne pouvions pas faire il y a encore 5 ans. Donc dans 5 ans, nous aurons encore d’autres idées, d’autres barrières à franchir. C’est une histoire sans fin. Mais c’est cela, la science: franchir des obstacles.”

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