Asghar Farhadi : "si les cinéastes iraniens ne subissaient pas tant de restrictions, ils feraient preuve de plus de créativité"

Asghar Farhadi : "si les cinéastes iraniens ne subissaient pas tant de restrictions, ils feraient preuve de plus de créativité"
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Par Euronews
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Asghar Farhadi était, une fois n’est pas coutume, au centre de toutes les attentions lors du 65e Festival de Cannes.

Le réalisateur iranien travaille actuellement sur un film français, projet pour lequel il a été auréolé du prix Média de la Commission européenne pour lequel il a aussi reçu un chèque de 60.000€. Révélé par son film “A propos d’Elly”, Ours d’Argent à la Berlinale 2009, Farhadi a connu un succès mondial avec “Une Séparation”, Ours d’Or à Berlin en 2011 et Oscar du meilleur film étranger en 2012

Euronews l’a rencontré sur la Croisette.

Wolfgang Spindler, euronews :

“Bonjour Monsieur Farhadi et bienvenue sur euronews. Vous venez tout juste de remporter le Prix Media, une récompense qui distingue notamment la diversité culturelle. Que représente un tel prix pour vous, en tant que cinéaste iranien ?”

Asghar Farhadi, cinéaste :

“Ce prix a autant de valeur et d’importance que les nombreux encouragements que j’ai reçus ces dernières années. D’un autre côté, c’est une nouvelle étape pour un scénariste comme moi qui a toujours réalisé des films en langue persane avec des dialogues en langue persane. Puisque vous le savez, une partie des acteurs de mon prochain film s’expriment dans une autre langue que le farsi. Et enfin, cela signifie que ceux qui ont lu le script de mon prochain film ont été en mesure de se connecter avec l’histoire et ne l’ont pas perçue comme une mission impossible à relever pour quelqu’un ne s’exprimant pas en farsi. Et cela signifie beaucoup pour moi.”

euronews :

“Vous avez remporté de nombreuses récompenses internationales pour votre dernier film “Une Séparation” dont l’Oscar du meilleur film étranger. Mais apparemment à votre retour en Iran, la cérémonie en votre honneur a été annulée par les autorités. Que s’est-il passé ?”

Asghar Farhadi :

“Mes amis et collègues du métier étaient sur le point d’organiser une cérémonie, très sincère et simple. Mais malheureusement, ils ont été confrontés à des problèmes qui rendait difficile la tenue d’une telle cérémonie, ce qui ne les pas empêché de tout tenter pour que celle-ci ait lieu d’une manière ou d’une autre. Personnellement, je ne voulais pas qu’ils aient davantage de problèmes et je leur ai demandé de renoncer. Contrairement à ce qui a pu être dit, ce n’est pas la Maison du Cinéma qui avait prévu d’organiser la cérémonie, mais quelques amis qui pour la plupart étaient d’anciens membres de cet organisme, fermé depuis. Ce qu’ils faisaient signifiait beaucoup pour moi, même s’ils ne pouvaient pas le faire comme ils l’auraient voulu. Je n’ai jamais pu savoir pourquoi la cérémonie a été annulée. Toutefois, malgré tout ce qui a pu se passer, j’ai trouvé leur attention très précieuse. Et puis j’ai eu la chance de bénéficier du soutien de bien des gens dans mon pays. Cette gentillesse n’a pas de prix, et pour moi ce soutien est un atout précieux d’une valeur inestimable.”

euronews :

“Le style de vos films n’est pas sans rappeller Tchekhov, Ibsen ou encore Kieslowski. Dans votre dernier film “Une Séparation”, j’y vois une approche néo-réaliste, comment est-ce que cela se traduit concrètement ?”

Asghar Farhadi :

“Les livres que je lisais à l‘époque où j‘étais adolescent y sont peut-être pour quelque chose. Les histoires que je dévorais étant plus jeune étaient très proches de la réalité ; des récits qui ne se contentent pas de dépeindre une simple représentation de la réalité, mais révèlent plutôt des couches spécifiques de réalité qui, en elle-mêmes, contiennent d’autres couches bien complexes. Lire ces histoires en tant que jeune adulte a inconsciemment créé un certain goût chez moi qui s’est révélé quand j’ai commencé à écrire des scripts de films et des pièces de théâtre.”

euronews :

“Un artiste et je considère que vous en êtes un en tant que cinéaste et scénariste doit jouir d’une certaine liberté d’expression artistique. Où se trouve à vos yeux la limite à l’expression artistique et à la liberté, par rapport à la raison d’Etat ?”

Asghar Farhadi :

“Pour quelqu’un de ma génération, qui est né et qui a grandi dans les restrictions, que ce soit à la maison, à l‘école, dans la rue ou à l’université ; parfois cette ligne de démarcation entre être limité et ne pas être limité est assez floue. Pas dans le sens commun que j’entends parfois et selon lequel les restrictions conduisent à la créativité. Car à mon avis c’est faux. Peut-être qu‘à court terme, les restrictions peuvent contribuer à la créativité, mais, sur le long terme, elle la détruisent. Par conséquent, si les cinéastes iraniens ne subissaient pas tant de restrictions, je crois qu’ils feraient preuve de plus de créativité.”

euronews :

“Beaucoup de réalisateurs iraniens se plaignent de ne pas pouvoir travailler comme ils le souhaiteraient en France, ce qui fait dire à certains journalistes occidentaux qu’il s’agit d’un problème de censure. Comment expliquez-vous le problème ?”

Asghar Farhadi :

“Le problème n’est pas aussi clair et transparent pour que je puisse le résumer en quelques mots devant vous. Mais peut-être que s’il fallait le réduire à un seul mot, celui de censure que vous évoquiez ou de restriction, serait le plus approprié. Cela ne vient pas seulement du système, pas seulement des autorités et du système décisionnaire, une partie de cette censure vient de l’artiste lui-même ou du cinéaste lui-même qui n’a a pas nécessairement conscience, et c’est sans doute plus dangereux encore. Parce que si des restrictions proviennent de l’extérieur, il est possible de le percevoir, de reconnaître le problème et de faire avec, mais quand le problème est dans votre esprit, vous n’avez pas la capacité de détecter. C’est un peu comme quand quelqu’un est malade, mais qu’il ignore tout de sa maladie et qu’il a l’impression d‘être en bonne santé. C’est très dangereux.”

euronews :

“La Maison du Cinéma, un organe important de soutien aux artistes et cinéastes en Iran, a été fermé il y a quelques mois. Cette décision a choqué de nombreux de cinéastes, acteurs et actrices. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

Asghar Farhadi :

“Et bien permettez-moi de vous donner de bonnes nouvelles. J’ai appris que, grâce à leurs efforts, tous ceux qui étaient actifs à l’intérieur, et l’ensemble des membres de la Maison du cinéma, ont contribué à sa réouverture prochaine. Je ne suis pas certain de cela, mais j’ai entendu cette nouvelle aux infos. Mais il est évident que j’ai été attristé d’apprendre la fermeture de la Chambre du cinéma il y a quelques mois. Ni moi, ni aucun autre de mes collègues ne pourraient trouver de raison valable pour fermer un tel établissement. Différentes raisons ont été invoquées, mais aucune ne m’a paru acceptable. J‘étais convaincu que les raisons avancées n‘étaient pas les bonnes et que quelque chose d’autre avait dû les pousser à fermer la Maison du cinéma. Mais je suis heureux de constater que finalement cet incident n’a pas été mis aux oubliettes, grâce aux efforts des professionnels du cinéma, contrairement à de bien d’autres qui dans le passé n’ont pas survécu à l‘épreuve du temps.”

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