Espoir de réparation médicale des femmes excisées

Espoir de réparation médicale des femmes excisées
Par Euronews
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button

Un nombre croissant d’hôpitaux du monde entier donnent un regain d’espoir aux femmes victimes de mutilation sexuelle et aux jeunes filles qui veulent essayer de « réparer » les dommages causés à leur appareil génital. Une opération chirurgicale créée par un urologue et chirurgien français, le docteur Pierre Foldès, a été proposée à des milliers de femmes. En France, plus d’une douzaine d’hôpitaux offrent à présent leurs services aux femmes victimes de mutilation sexuelle, mais les soins et les traitements ne sont pas les mêmes partout.

Euronews a parlé à certains membres du personnel de l’Hôpital Bicêtre, dans le quartier du Kremlin-Bicêtre à Paris, où la préférence va à une approche multidisciplinaire. Ils déclarent qu’ils souhaitent mettre davantage l’accent sur les soins et pas seulement sur la chirurgie. L’unité de soins des femmes excisées est au sein du service de gynécologie et d’obstétrique (Professeur Hervé Fernandez). L’équipe est composée d’un chirurgien (la gynécologue et obstétricienne Docteur Emmanuelle Antonetti-Ndiaye), d’une victimologue et ethnologue (Sokhna Fall) et d’une sexologue (Laura Beltran). Le reporter de Right On Seamus Kearney a parlé à Mmes Fall et Beltran.


Sexologue Laura Beltran (gauche) et victimologue Sokhna Fall (droite), à l’Hôpital Bicêtre, Paris.

Seamus Kearney : « Est-ce qu’il y a beaucoup de demandes pour cette opération réparatrice? Quel est votre bilan? »

Sokhna Fall : « Il y a pas mal de demandes, mais en même temps c’est une petite unité, on ne travaille pas à plein temps dans ce domaine. On a une centaine de femmes par an qui consultent pour cette question. Par contre, pour ce qui y est de la chirurgie, sur les 100 femmes, toutes ne demandent pas la chirurgie. Elles ont des plaintes par rapport à l’excision mais elles ne demandent pas systématiquement la chirurgie. Je pense que c’est autour de plus de 60 % qui demande la chirurgie et on opère un peu près la moitié de ces 60 %. »

Seamus Kearney : « Quel espoir l’opération donne-t-elle aux femmes mutilées? Quelles sensations, quelle amélioration peut on espérer avec cette intervention? »

Laura Beltran : « Les femmes viennent avec une plainte par rapport à l’excision qui concerne parfois les rapports sexuels. Elles viennent par exemple en disant ‘j’ai mal lors des rapports sexuels, ça ne se passe pas bien, je n’ai pas plaisir’. Un des objectifs de l’unité de soin des femmes excisées est que les femmes puissent avoir une sexualité plus épanouie, mais ce n’est pas seulement l’opération qui va réparer ou améliorer la sexualité. L’opération est un des éléments qui peut améliorer les choses mes elle ne suffit pas à elle seule : les femmes peuvent avoir des rapports sexuels douloureux parce qu’elles sont avec un conjoint qu’elles n’aiment pas ou parce qu’elles ont des rapports sexuels sans préliminaires et/ou sans désir. Le problème ne vient donc pas que de l’excision. L’idée de l’unité est ainsi de proposer aux femmes une prise en charge pluridisciplinaire où interviennent une gynécologue, une psychologue et une sexologue. Tout va se jouer dans cette prise en charge pluridisciplinaire. »

Sokhna Fall : « Il faut ajouter qu’aujourd’hui il n’existe pas d‘étude rigoureuse, sexologique, avec mesure orgasmique, etc., des effets de cette opération. Donc les seules études qui existent sont complètement subjectives. C’est-à-dire après l’opération, on a demandé à des femmes si elles trouvaient qu’il y avait une amélioration. Mais en terme strictement physiologique et sexologique, il n’y a pas d‘étude. »

Seamus Kearney : « Est-ce que c’est une reconstruction, la chirurgie esthétique ? »

Sokhna Fall : « En fait, ça, c’est très intéressant. Ce qu’on ne sait généralement pas, c’est que le clitoris est un organe assez important, qui a une espèce de forme de fer à cheval avec une branche externe, qui est le clitoris visible ; une branche autour du vagin, et puis une branche qui est sous le pubis. Au moment de l’excision, la seule partie qui est coupée est la partie externe, la partie qui émerge. Et la technique chirurgicale consiste à aller chercher le moignon qui est sous le pubis et le ré-extérioriser. Ce qui veut dire que c’est une chirurgie où on n’ajoute rien. On ne prend pas de tissus ailleurs. C’est le clitoris de la femme qui est juste un petit peu décalé de la position anatomique pour ressortir. »

Seamus Kearney : « Quels sont les retours des femmes opérées ? »

Sokhna Fall : « Nous, on n’a pas fait d‘études systématiques. Je sais que le Docteur Foldès a en fait une, qui est donc une étude subjective – c’est-à-dire qu’on a demandé aux femmes si elles pensaient qu’il y avait une amélioration. Je crois que c’est autour de 70 % d’amélioration. Nous, notre position, est de dire qu’il faut quand même faire très attention parce qu’on parle de sexualité et que la sexualité n’est pas qu’une question d’organes. Donc dire que l’opération seule améliore la sexualité de ces femmes, pour nous c’est un petit peu rapide parce que l’image que ces femmes ont de leur corps, l’idée qu’elles ont de leur capacité orgasmique après l’opération, par exemple, peut jouer aussi un grand rôle sur leur satisfaction. »

Laura Beltran : « L’amélioration de la sexualité des femmes qui sont suivies par l‘équipe est peut-être en partie liée à l’opération, mais aussi grâce au suivi psychologique, qui peut aider « traiter le traumatisme de l’excision » et au suivi sexologique, qui va permettre aux femmes d’apprendre à connaître leur corps, à aller chercher leur plaisir et à être plus actives dans leur sexualité. C’est tout cet ensemble là qui va améliorer la vie sexuelle des femmes. On pense que la chirurgie toute seule peut ne rien changer finalement dans la sexualité des femmes s’il n’y a pas d’accompagnement global. »

Seamus Kearney : « Donc, l’opération n’est pas indispensable pour toutes les victimes de mutilation féminine ? »

Sokhna Fall : « Oui, tout à fait. Nous, notre politique, c’est de voir toutes les difficultés qu’a la femme dans sa sexualité, quand à sa demande sexuelle, mais toutes les demandes ne sont pas sexuelles. Il y a des femmes excisées qui ont une sexualité tout à fait épanouie et qui viennent nous voir plutôt en disant : « Voilà, je veux retrouver ce qu’on m’a pris » ou « je veux récupérer mon intégrité », mais elles n’ont aucun problème sexuel. Donc il faut faire attention à ça. Mais, par exemple, quand une femme arrive avec des problèmes sexuels, on va travailler à améliorer au maximum ses difficultés sexuelles avant de faire l’opération. Et donc c’est vrai qu’il y a des femmes, par contre, à qui l’on ne va pas nécessairement proposer l’opération. Par exemple, le cas classique, mais qui est en réalité très fréquent, c’est celui des femmes qui arrivent et qui n’ont pas connu d’autre sexualité que la sexualité forcée dans un mariage forcé. Et ces femmes-là arrivent en disant : « Je n’ai pas de plaisir sexuel ; opérez-moi. » Nous on leur dit : « Même si on vous opère, pour l’instant, vous ne savez pas si vous avez des problèmes sexuels. Si vous n’avez connu que des rapports forcés, vous ne savez pas si vous avez vraiment des problèmes sexuels. » Donc, opérer ces femmes en leur faisant croire que l’opération va résoudre leurs problèmes, pour nous, c’est un peu un mensonge. On préfère d’abord les aider à dépasser le traumatisme qui est dû au mariage forcé, éventuellement les orienter pour qu’elles puissent sortir du mariage forcé si elles y sont encore et après, on pourra, si elles le souhaitent toujours leur proposer l’opération. »

Seamus Kearney : « Pensez-vous que l’opération puisse être améliorée dans l’avenir ? »

Sohkna Fall : « On n’a pas entendu parler, nous, d’amélioration possible. L’amélioration qui pourrait être attendue par les femmes, c’est la réparation des petites lèvres. Il faut savoir que l’excision la plus fréquente en France, qui est l’excision de type 2, constitue en l’ablation du clitoris, enfin la partie externe du clitoris, et des petites lèvres. Or, la technique actuelle ne répare pas les petites lèvres. Du point de vue technique, c’est ça. Après, nous, dans notre travail, on apprend tous les jours à améliorer, non pas la chirurgie, mais la prise en charge des femmes. »

Seamus Kearney : « Combien d’hôpitaux font cette opération ? »

Sokhna Fall : « A Paris, il faut faire une distinction, parce qu’il y a les hôpitaux qui pratiquent la chirurgie et les hôpitaux qui font une prise en charge plus globale comme nous. Pour la chirurgie, il y en a quatre ou cinq quand même en région parisienne au moins. Ceux qui font une prise en charge pluridisciplinaire, il y en a, je pense, deux ou trois, c’est-à-dire Trousseau et Pontoise. Après, en France, il y en a encore au moins une dizaine aujourd’hui, il y en a à Lyon, à Lille, par exemple. »

Seamus Kearney : « Est-ce que l’opération est prise en charge, remboursée par l‘état ? »

Sokhna Fall : « Oui, c’est remboursé à 100% par la sécurité sociale. »

Seamus Kearney : « Peut-on imaginer que l’opération devienne plus courante ? »

Sokhna Fall : « Nous, notre objectif, c’est vraiment l’abolition de l’excision. Le fait que l’opération devienne plus courante, nous, on est partagées, puisqu’on sait qu’il y a des fois où les femmes sont opérées sans aucune amélioration, on sait que les femmes ont parfois des effets secondaires, des séquelles qui ne sont pas satisfaisantes. Donc, même si on ne nie pas du tout que l’opération peut aider des femmes, on est plus méfiantes sur l’utilité de l’opération toute seule et on pense que, peut-être, le plus grand mérite de cette découverte chirurgicale, c’est d’avoir permis aux femmes excisées de parler de leur excision, et qu’il y ait une réflexion et peut-être une accélération de la lutte contre l’excision. Mais la solution, c’est vraiment que l’excision disparaisse ; ce n’est pas nécessairement que les unités de chirurgie se multiplient. »

Laura Beltran : « Il y a beaucoup de femmes pour lesquelles l’excision ne va pas empêcher d’avoir une vie sexuelle où ça se passe bien : les femmes excisées peuvent avoir des orgasmes clitoridiens. La chirurgie réparatrice et les unités de soin des femmes peuvent être utiles pour certaines femmes mais peut-être pas pour toutes ; mais ce n’est pas forcément systématique. L’unité de soins des femmes excisées permet d’évaluer de quoi ont besoin les femmes. Ont-elles besoin d’un psychologue ? D’un sexologue ? D’une opération chirurgicale ? Des trois conjugués ? Et peut-être que pour d’autres, rien de tout ça ne sera nécessaire. »

Sokhna Fall : « Cette question du plaisir que peuvent avoir les femmes excisées, elle est très importante parce que, un jour, dans une intervention qu’on m’avait demandée de faire auprès de militantes, j’expliquais comment on travaillait, ce qu’on avait déjà pu comprendre en tout cas, une femme africaine est intervenue pour dire que, quand les luttes contre l’excision ont commencé en clamant qu’on privait la femme de satisfaction sexuelle, d’une certaine manière, ça avait joué contre la mobilisation de certaines femmes africaines, parce qu’ elles connaissaient du plaisir malgré leur excision et du coup, elles avaient un peu de mal à s’identifier à une démarche qui ne leur correspondait pas, puisqu’elles n‘étaient pas privées de plaisir sexuel. L’argument achoppait auprès d’elles puisqu’elles ne se reconnaissaient pas dans cette problématique-là. »

L’équipe de l’Hôpital Bicêtre a aussi fourni le communiqué suivant pour donner davantage d’informations sur leur approche des soins portés aux femmes mutilées :

« Nous avons ouvert l’Unité de soins des femmes excisées à l’Hôpital de Bicêtre en 2012, après une première phase de pratique de « réparation chirurgicale » à l’Hôpital Rothschild puis à Trousseau et à la création d’une unité de soins des femmes excisées à l’Hôpital Intercommunal de Montreuil en 2007. Les premières expériences nous ont conduites à redéfinir l’unité comme une unité de soins plutôt que de chirurgie, pour répondre au mieux à la demande de la patiente.

Nos patientes nous sont adressées par le réseau-ville : associations, services sociaux, médecins, médias…, ou en intra par le personnel de l’hôpital : sages-femmes en particulier. Cette orientation biaise parfois la demande des patientes par des discours réducteurs qui proviennent par exemple des médias : « l’horreur d’être excisée », qui stigmatise les femmes ; du milieu associatif : « être excisée est un drame dont la chirurgie est la réparation », vision qui ne correspond pas à toutes les situations ; du milieu médical « l’excision est une amputation dont la chirurgie est le remède », vision « organique » qui ne permet pas de traiter la complexité du vécu des patientes.

Les femmes que nous recevons sont le plus souvent originaires d’Afrique de l’Ouest – du fait que la plupart des populations immigrées pratiquant cette mutilation vient de cette région – et appartiennent aux ethnies soninké, peulh, bambara, malinké. Elles ont le plus souvent été excisées bébé ou dans la petite enfance et d’une manière totalement déritualisée.

Le protocole que nous proposons aux patientes qui demandent la chirurgie clitoridienne est le suivant, dans l’ordre : une consultation médicale, une consultation psychologique, une consultation sexologique. Les consultations sont volontairement à distance les unes des autres, ce qui favorise une élaboration de la demande spécifique à chaque patiente. Ensuite lors d’une réunion pluridisciplinaire, nous partageons nos informations et réflexions afin d’essayer de trouver la réponse la plus appropriée à la demande explicite ou implicite de la patiente. Cette réunion est aussi l’occasion pour nous de rencontrer d’autres équipes, de remettre en question et de faire évoluer nos pratiques.

La consultation médicale permet d’informer la patiente sur le type d’excision qu’elle a subie, de la rassurer quant aux conséquences sur sa vie sexuelle et la maternité.

La consultation psychologique a pour double objectif d’évaluer les éventuelles séquelles post-traumatiques de la patiente afin d’éviter une réactivation brutale de celles-ci en période post-opératoire. Elle permet aussi d’évaluer le contexte dans lequel la patiente vivra éventuellement sa convalescence. Enfin, elle se veut le moment où la patiente pourra exprimer la souffrance psychique qu’elle met en lien avec l’excision.

L’objectif de la consultation sexologique est d’évaluer et, éventuellement, de faire évoluer la satisfaction sexuelle avant l’opération. Beaucoup de femmes sont tellement convaincues que l’excision les prive de tout accès au plaisir sexuel qu’elles n’ont rien exploré des capacités érotiques de leur corps, ou bien, connaissent le plaisir et l’orgasme mais n’en savent rien, convaincues qu’elles sont d’être « handicapées ».

Le recul (limité) que nous avons aujourd’hui, nous a conduites à penser que la demande de « réparation chirurgicale » masque très souvent une demande de réparation d’autres traumatismes, sexuels pour la plupart. L’intervention chirurgicale est attendue comme le remède qui effacera le passé douloureux. Elle peut être aussi demandée parce que les femmes baignées dans un discours occidental, qui en condamnant l’excision n’évite pas toujours d’en stigmatiser les victimes, se vivent comme « anormales », « honteuses » de leur situation. Il arrive également que l’intervention soit demandée dans un contexte de difficultés de couple, avec un déplacement sur l’excision et donc sur la femme. Ces différents types de demandes masquées doivent inviter à la plus grande prudence par rapport à l’indication de la chirurgie, le risque étant très grand que les patientes soient non seulement déçues mais aussi fragilisées après l’opération.

Dans presque tous les cas, la demande de chirurgie est l’affaire de la femme, qui n’en n’a parlé à aucun proche, surtout pas à sa mère, rarement à son compagnon. Cela pose ou révèle parfois une difficulté en termes d’identité culturelle. Les demandes les plus aisées à satisfaire sont celles où la femme attend simplement de la chirurgie qu’on « lui rende ce qu’on lui a pris ».

La technique créée par le Dr Foldès peut être envisagée dans tous les types d’excision. Il s’agit d’une chirurgie sans transposition d’autres tissus qui consiste à reprendre la cicatrice de la mutilation, à libérer le moignon clitoridien par dissection et levée des adhérences. Ensuite, la tranche saine du corps érectile est réimplantée en position quasi anatomique. Dans notre unité, les femmes sont opérées dans l’après-midi et passent une nuit à l’hôpital, ce qui permet de les accompagner pour les premiers soins. Un protocole antalgique a été mis au point par le service d’anesthésie pour leur éviter si possible toute souffrance pendant la cicatrisation assez longue, de quinze jours à deux mois. Les patientes sont ensuite revues 15 jours, puis un mois, puis deux mois, puis trois mois, puis six mois après l’intervention.

Il nous semble qu’il reste certaines idées reçues à combattre (et la liste n’est pas exhaustive) parce qu’elles participent de la souffrance des femmes excisées, à savoir :

- L’excision empêche le plaisir sexuel

- L’excision est moins nocive quand elle est pratiquée bébé

- Les femmes excisées ne sont pas « normales »

- L’excision ne cause de souffrance qu’aux femmes
« occidentalisées »

- Seules les familles instruites ou « intégrées » arrêtent d’exciser

En conclusion, il nous paraît important de rester conscient des limites de la chirurgie : la chirurgie n’est pas la réparation ; de prendre le temps d’identifier la demande cachée derrière la demande ; de se méfier du pouvoir « mutilant » des discours : les femmes ont le droit d’en finir avec la honte (honte de ne pas être excisées dans les sociétés qui excisent, honte d’être excisée ici). Il s’agit bien d’abolir l’excision, et pas les femmes qui ont été excisées.

Aujourd’hui, en 2013, il faut aussi être conscient que beaucoup de familles, ici et en Afrique, abandonnent la pratique suite aux campagnes d’information, ou d’elles-mêmes. Certaines familles continuent, envers et contre tout, usant de tous les moyens possibles, trahison, pressions, violences pour exciser leurs filles. Dans ce contexte, la prévention des mutilations passe par le repérage des maltraitances et des violences en général. »

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Mon vote peut-il changer l'Europe ?

Quand "Big Data" menace de devenir "Big Brother"

Consommateur et content de l'être !