Jean-Claude Trichet : pour une Europe économique fédérale

Jean-Claude Trichet : pour une Europe économique fédérale
Par Euronews
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Jean-Claude Trichet a présidé la Banque centrale européenne de 2003 à 2011. Notre correspondant permanent à Paris, Giovanni Maggi, a receuilli son sentiment sur la réponse de l’Union à la crise financière et économique.

Giovanni Magi, euronews :

Les politiques d’austérité sont-elles vraiment la meilleure solution ou, comme certains économistes le disent, sont-elle un dogme contreproductif ?

Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE :

Je crois que les mots comptent. On parle d’austérité aussi bien aux Etats-Unis, qu’en Angleterre, éventuellement au Japon, dans un pays qui était en très grand déficit de balance des paiements courants, comme la Grèce, ou dans des pays qui sont en excédent. À mon avis c’est un terme inapproprié.

Il y a nécessité de management sage, de saine gestion, lorsque l’on est dans une situation où l’on dépense plus qu’on ne gagne. Pour quelle raison ? Ce n’est pas un choix en réalité, c’est une obligation, parce qu’ il n’y a plus de, je dirais, généreux donateurs qui sont prêts à financer éternellement les pays qui dépensent beaucoup plus qu’ils ne gagnent. Et il me semble que la saine gestion est le meilleur moyen de préparer la croissance future et la création d’emplois future. euronews :

Mais on a l’impression que dans l’échiquier mondial, seule l’Europe reste obsédée par les comptes publics…

Jean-Claude Trichet :

Non, je ne crois pas qu’on puisse dire ça. Le débat public aux Etats-Unis demeure un débat majeur : est-ce qu’il faut mettre d’abord l’accent sur la remise en ordre des comptes publics ou pas ? En Angleterre aussi, il y a un débat : austerité ou croissance.

Dans la mesure où l’Europe s’est trouvée, malheureusement, de par sa propre faute, parce qu’elle a été négligeante dans un certain nombre de cas, elle s’est retrouvée à l’epicentre de la crise mondiale des risques souverains, donc des crises budgétaires. Elle a été, elle est encore l’endroit où ça se passe, si je puis dire.

Mais je crois qu’il faut demeurer lucide : l’Europe a fait d‘énormes progrès, elle est toujours à l‘épicentre de cette crise mais elle a éloigné le risque de catastrophe grâce aux décisions qu’elle a prises, gouvernements, institutions européennes et banque centrale, et donc nous sommes maintenant dans une situation où il faut absolument consolider tout ce qui va permettre à la croissance de revenir.

euronews :

Quelles leçons peut-on tirer des crises grecque et chypriotte ? Peut-être que certaines économies étaient trop faibles pour entrer dans la zone euro? Ou que les économies plus fortes de la zone euro ne sont pas prêtes à payer le prix fort pour protéger les pays plus pauvres de la même zone?

Jean-Claude Trichet :

D’abord, dire que les pays sont forcément plus riches ou plus pauvres, vous savez, ça se discute. Le problème que nous avons aujourd’hui c’est qu’il y a des pays, heureusement ils sont relativement nombreux, qui sont compétitifs, qui vendent leurs biens et leurs services convenablement sur les marchés domestiques, européens et mondiaux et qui ont d’ailleurs de bonnes raisons pour cela parce qu’ils ont maîtrisé leurs coûts et fait des réformes structurelles.

Et puis il y a des pays qui ont beaucoup moins bien maîtrisé leurs coûts et qui n’ont pas fait les réformes structurelles et ces pays-là évidemment sont en difficulté. Donc, je crois que la grande leçon c’est qu’il faut en effet améliorer formidablement la gouvernance économique et budgétaire de l’ensemble de la zone euro, en étant, le cas écheant, très fermes lorsque tel ou tel pays a une gestion qui devient dangereuse pour lui même et pour l’ensemble de la zone.

euronews :
Etes-vous favorable à une fédération européenne économique et budgétaire? Quelles devraient être ses caractéristiques et pensez-vous que c’est un avenir réaliste pour l’Europe d’aujourd’hui?

Jean-Claude Trichet :

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Je crois en effet qu’il faut aller plus loin dans la voie d’une fédération économique et budgétaire, ce qui suppose évidemment un nouveau changement de traité. Personnellement je crois qu’on peut imaginer plusieurs possibilités, il y en a une qui me paraît être imaginable et je ne dis pas que c’est la seule, je ne dis pas que c’est forcément la meilleure, mais je crois qu’elle satisfait trois critères : primo, c’est un concept que je vais vous exposer, qui est efficace, deuxièmement démocratique et troisièmement qui respecte le principe de subsidiarité.

Ce sont trois choses qui me paraissent essentielles. Si un pays se gère très mal, ne respecte pas les recommandations qui lui sont faites par la Commission et par le Conseil et met en danger, ce faisant, la stabilité de l’ensemble de la zone euro, comme on l’a bien vu dans la crise, alors les sanctions qui sont censées être la dissuasion, les sanctions sont des amendes. Je ne crois pas que cela marche, ça n’a pas marché dans le passé, je ne crois pas que ça marchera à l’avenir.

Et donc, on pourrait imaginer, au lieu des amendes, d’activer un processus fédéral de décision au niveau de l’ensemble des institutions européennes. La Commission joue le rôle de gouvernement, elle anticipe un gouvernement. Le Conseil des gouvernements est une sorte de chambre haute, un Sénat. Et le Parlement européen, avec ses députés élus au suffrage universel et qui vont être élus lors des prochaines élections, agit comme la chambre basse.

Je suggère que la Commission dise : voilà ce qu’il faut faire, que le Sénat, la chambre haute réfléchisse et dise : voilà ce que j’en pense et que le Parlement européen, évidemment restreint à l’ensemble des représentants de la zone euro, décide, après contact avec le Parlement national.

Alors, c’est une fédération. Nous venons d’activer des institutions fédérales. Mais elles respectent le principe de subsidiarité, parce que ce n’est pas du tout le cas général, c’est dans des cas absolument exceptionnels et lorsque la stabilité de l’ensemble de la zone est en cause, c’est évidemment démocratique, la décision ultime est prise par les représentants du peuple et ça permet d‘être relativement sûrs que l’on ne parle pas en l’air et que l’on n’a pas une dissuasion avec des amendes qui n’est pas efficace.

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euronews :

Il est en train de se former, en Europe, un axe France-Italie-Espagne qui adopte une approche un peu plus dialectique de la crise que la politique de la chancellière allemande Angela Merkel. Quel est votre regard sur cela?

Jean-Claude Trichet :

Non, je ne partage pas ce sentiment. Je suis trop profondément attaché à l’amitié entre les Européens et bien entendu à l’amitié entre la France et l’Allemagne, pour ne pas considérer, ne pas voir d’ailleurs, qu’il y a, au-delà des agitations ici et là, une réelle volonté d’avancer ensemble et une réelle volonté de surmonter les difficultés systémiques que l’Europe a dû affronter, qu’elle a affrontées et auxquelles elle a répondu de manière, il faut le dire, quand même incontestable, quand on regarde tout ce qui a été fait dans cette période terriblement difficile.

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