Bonus interview : Mansour Osanlou

Bonus interview : Mansour Osanlou
Par Euronews
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Mansour Osanlou, ancien responsable du syndicat des chauffeurs de bus de Téhéran, est l’un des leaders syndicaux les plus célèbres d’Iran. Emprisonné et torturé par le régime d’Ahmadinejad pour ses activités militantes, il avait été relâché en 2011 pour raisons médicales. Il a poursuivi son combat clandestinement, et après avoir fait l’objet de nouvelles menaces, a dû quitter le pays clandestinement pour se réfugier en Turquie, en février dernier. Nous l’avons rencontré dans les rues d’Ankara, quelques jours avant les élections iraniennes, alors qu’il était en rouet pour rencontrer des proches à Istanbul.
Il continue a se battre pour les droits des travailleurs iraniens depuis son exil.

Interview :

“Le gouvernement n’a jamais permis que rien ne se consolide. Il a mis en oeuvre des politiques qui ont beaucoup dégradé l‘économie du pays, et surtout affecté la classe populaire.

Les grandes industries, comme la pétrochimie, la métallurgie, qui dépendent peu du marché international, hormis l’industrie automobile qui en Iran se limite à l’assemblage, ont été moins touchées par les sanctions internationales que les petites et moyennes entreprises dans les autres secteurs de l‘économie. Cela, ajouté au manque de planification économique claire, et à l’absence de participation du peuple, a polarisé le pays de plus en plus. Le secteur productif n’est plus capable de produire, ce qui a conduit à des licenciements et à un chômage sans précédent chez les ouvriers qui ne peuvent plus travailler.

Et avant même qu’il y ait cette mauvaise politique et que les sanctions internationales affectent le pays, il y a eu une importation massive de produits chinois en Iran, légalement et illégalement. Monsieur Ahmadinejad, a appelé les trafiquants, les “frères trafiquants”. Comme l’a expliqué Monsieur Karoubi, les grands ports commerciaux ont été gérés par les chefs des gardiens de la révolution. L’importation de ces produits, surtout dans les secteurs des vêtements et des chaussures, mais aussi dans l’ameublement, ou les produits ménagers, ont engendré beaucoup de chômage dans les petites et moyennes entreprises de ces secteurs, dont beaucoup ont fait faillite.

Par ailleurs, sous couvert des restructurations, il y a eu beaucoup de licenciements économiques. Ceux qui ont encore un emploi sont sous forte pression. A cause des sanctions, de la mauvaise politique économique, et aussi de la suppression du système de subventions. Le gouvernement d’Ahmadinejad distribue de petites allocations mensuelles aux familles dont les revenus sont les plus faibles. Mais en contrepartie, ils ont supprimé les subventions sur les produits de base comme le pain, le sucre, le riz, ou l’essence, dont les prix ont augmenté énormément. Depuis quatre ans, et selon les chiffres officiels du régime lui-même, les prix ont été multipliés par quatre, alors que les salaires des ouvriers n’ont que peu augmenté. Le pouvoir d’achat des ouvriers iraniens a été divisé par quatre ou cinq. Et cela seulement pour les ouvriers qui ont des contrats de travail en bonne et due forme. Dans une grande partie du secteur des services, il y a beaucoup d’employés qui travaillent sans qu’il y ait le moindre respect de la législation du travail. Une grande partie des ouvriers ne parvient même pas a subvenir au dixième de leurs besoins quotidiens avec leurs salaires.

Malgré le fait que de 2005 à 2007 et encore aujourd’hui, le gouvernement ait écrasé les syndicats ouvriers, les noyaux de résistance sont toujours là.

Les arrestations, les expulsions, les emprisonnements, les menaces, les licenciements, qui affectent notre société d’aujourd’hui, jouent un rôle négatif dans le progrès de cette société dans son ensemble, et en particulier du mouvement ouvrier. Mais à force de se faire arrêter, et d‘être mis en prison beaucoup d’ouvriers se rencontrent en prison, et rencontrent d’autres personnes qui luttent, pour différentes causes. Ils apprennent à résister et à défendre leurs droits, et partagent une expérience commune. Quand ils sortent de prison, ils sont plus matures et plus aguerris.

Attendez-vous quelque chose de ces élections ?

En Iran, il faut toujours s’attendre à l’inattendu.
C’est la leçon que l’on peut tirer du passé. Quand personne ne s’y attendait, on a vu des millions de gens protester lors des grandes manifestations de 2009, et ça a duré six mois.
Et avant cela, personne ne pouvait prévoir qu’après les années difficiles de la présidence de Rasfanjani, en 1997, et les élections, les gens allaient entrevoir la possibilité d’avoir des droits. Cette perception existe encore. En conséquence, une grande partie de la population a pris conscience de ses droits, et les a revendiqués. Cela a ouvert le débat sur les droits des citoyens, les droits individuels, l’Etat de droit. Ce n‘était jamais arrivé auparavant. Et ce débat se poursuit aujourd’hui, et influence les cercles sociaux, politiques, juridiques. Et a même dû être pris en compte dans le discours du gouvernement et de la classe politique, y compris dans la propagande.

Actuellement, je ne dirais pas que les élections en elles-mêmes vont changer quoi que ce soit, ni que les gens pourront choisir ce qu’ils veulent.
Mais on a toujours vu que dans certaines situations, comme aujourd’hui avec la crise que traverse le pays, et alors que le gouvernement est sous forte pression aussi bien intérieure qu’internationale, les gens acquièrent une nouvelle conscience politique.

Sachant qu’il y a un fort mécontentement dans la société, je m’attends à ce que quelque chose se passe. Par forcément au moment des élections, ou dans la période qui va suivre.
Mais quand une société a perdu sa cohérence et sa stabilité, quand il y a un fossé énorme entre riches et pauvres, et que d’autre part il y a une répression profonde et généralisée, faisant un usage excessif de la force dans les rues, cela crée une situation critique.
Et dans des situations critiques, il peut se passer des choses que personne ne peut prévoir. En conclusion, dans une société qui traverse une crise profonde, on peut s’attendre à l’inattendu.

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