Hasni Abidi : "La communauté internationale ne doit pas laisser les Egyptiens face à leur propre sort"

Hasni Abidi : "La communauté internationale ne doit pas laisser les Egyptiens face à leur propre sort"
Par Euronews
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Entretien avec Hasni Abidi, politologue, spécialiste du monde arabe au CERNAM à Genève.

Sophie Desjardin, euronews : Hasni Abibi, bonjour, merci d‘être avec nous, vous êtes politologue, spécialiste du monde arabe au CERNAM à Genève. Le couvre feu est instauré depuis hier en Egypte, réinstauré plutôt, les Frères musulmans n’ont visiblement – notre correspondant sur place nous l’a confirmé – aucune intention de céder. Que peut il se passer maintenant ?

Hasni Abidi : Les indicateurs sont malheureusement très inquiétants du côté de l’armée comme du côté des Frères musulmans ou de leurs sympathisants. D’abord l’armée bien sûr en réinstaurant le couvre-feu mais surtout l‘état de siège va s’arroger tous les pouvoirs donc plus de restrictions en matière de liberté publique et privée et la possibilité de procéder à des arrestations à tous moments. Et cela a commencé par l’arrestation des chefs des Frères musulmans et à une direction décapitée si l’information est confirmée. Cela nous amène du côté des islamistes, car sans direction ou en tous cas avec une direction clandestine, la base sera sans tête. Et évidemment, cette base qui est déjà radicalisée, qui veut venger, appelle à manifester aujourd’hui mais aussi surtout demain après la prière du vendredi et on s’attend à une multiplication de foyers de tension et pas seulement, à des sit-in dans les villes les plus importantes d’Egypte.

euronews : De nombreux Egyptiens, y compris parmi les intellectuels, soutiennent l’armée qui les a soutenus lors de la première révolution. C’est un lien étrange entre le peuple et cette institution aux Megas pouvoirs, jusqu’où l’armée peut-elle aller sans perdre ce soutien ?

Hasni Abidi : L’armée a cherché un mandat populaire, un feu vert, faute d’avoir bien sûr un mandat constitutionnel comme c’est le cas de l’ancien président Morsi. Mais ce qu’on appelle le courant civil est dans une situation difficile, c’est vrai qu’il voit mal la cohabitation avec les Frères musulmans qui n’ont rien fait pour rassurer les bureaux, les laïcs mais aussi ce qu’on appelle les institutions de l’Etat, à savoir la justice, la police et les médias. C’est vrai que le courant civil s’est presque jeté dans les bras de l’armée pour le sauver, je cite de “ce projet de la frérisation de l’Etat. Et il ne faut pas oublier que l’armée égyptienne est une armée populaire, elle n’est pas une armée professionnelle comme l’armée turque.Elle est présente dans tous les secteurs de l‘état et notamment dans l‘économie, et pour l’Egyptien ordinaire, l’armée est le seul rempart pour sauver l’Egypte contre toute implosion ou contre cette idée très répandue en Egypte que le pays va devenir un pays gouverné par seulement les Frères musulmans, d’où un petit peu cette relation très très dangereuse entre une partie de la population égyptienne et l’armée.

euronews : Est ce que ça veut dire qu’elle peut aller jusqu’au bout ?

Hasni Abidi : Malheureusement on peut craindre une certaine dérive, la tentation est autoritaire comme elle a existé d’une bonne partie d’eux, notamment les chefs qui ont amené les islamistes à plus de radicalisation dans leurs demandes en surestimant leurs capacités face à l’armée Il faut dire que l’armée a réussi un coup de force hier même si les conséquences seront terribles pour son image. Bien sûr les réactions internationales ne sont pas réjouissantes pour l’armée, mais malgré cela, si elle arrive à instaurer la sécurité et la stabilité, si elle arrive à ramener un peu plus d’ordre, je pense qu’elle pourra aussi revenir non seulement au réservoir de sympathie qu’elle avait auparavant mais aussi à rassurer les Eyptiens qui sont aujourd’hui, il faut le reconnaître, plus que jamais divisés.

euronews : Du côté des islamistes, quelle peut-être la stratégie désormais? Que peuvent-ils faire? La situation n’est pas sans rappeler à certains égards l’Algérie des années 90, y-a-t-il ce risque de radicalisation, voire de terrorisme ?

Hasni Abidi : Ah oui, il y a des similitudes flagrantes entre la scène égyptienne et la scène Algérienne qui a suivi le sit-in du Front islamique du salut sur la place des martyrs et l’intervention musclée de l’armée algérienne. L’interruption du processus électorale en janvier 1992 a ramené une bonne partie des islamistes à prendre le maquis, à se radicaliser, et la naissance des mouvements radicaux comme le GIa, le GSPC etc. L’Egypte malheureusement a déjà ses propres mouvements radicaux, la Gama islamya, le groupe Jihad islamique, qui sont en fait en éveil, qui ont perdu la bataille après le printemps arabe puisqu’ils ont vu des islamistes arriver au pouvoir grâce aux urnes et pas grâce à la lutte armée. Mais malheureusement, les événements d’hier et bien entendu le coup d‘état contre le président Morsi va donner des ailes à ces mouvements radicaux, qu’ils soient à l’extérieur de la confrérie ou à l’intérieur, pour dire, finalement la participation politique n’est pas la bonne option et désormais seule une lutte armée est possible ou l’option la plus rentable face au pouvoir qui ne reconnaît pas le résultat des urnes. Mais encore une fois, tout dépendra de la façon dont l’armée va gérer cette phase de l’après assaut d’hier. Et avec l’absence d’un homme qui a constitué une caution morale comme Al-Baradeï, aujourd’hui, il y a très peu de contre pouvoir face à ceux qui sont très importants de l’armée.

euronews : Revenons sur les Frères musulmans, ils ont remporté les élections il y a un an et il n’ont pas convaincu, loin de là. Ils ont été chassés trois ans avant la fin de leur mandat, ont-ils perdu là leur seule opportunité de gouverner en Egypte ?

Hasni Abidi : Ils ont râté une opportunité en or. Certains d’entre eux sont conscients que dans les 82 ans de la vie politique des Frères musulmans, ils n’ont pas réussi à arriver au pouvoir. Ils étaient bons dans les réseaux économiques et sociaux, bien présents, ils ont une base populaire qui est restée intacte et que la démocratie leur a permis d’arriver jusqu’au pouvoir. Malheureusement, leur appétit un peu exagéré, le manque d’expérience, ne pas savoir saisir de bonnes occasions pour faire des concessions et des négociations et c’est le propre même de la transition, leur a coûté cher . Et en Egypte on ne pourra jamais gouverner contre ce qu’on appelle à la fois l’Egypte profonde mais aussi contre l’Egypte des institutions. L’armée, la police, la justice sont des institutions qui sont antérieures même à la conception de l’Etat moderne en Egypte et c’est ça qui à mon avis a précipité la chute de Monsieur Morsi. Bien sûr s’ajoutent à cela les problèmes économiques et l’insécurité qui a dissuadé beaucoup d’Egyptiens.

euronews : Vous parliez d’expérience, justement ma question suivante est celle là : L’Egypte d’aujourd’hui est-elle mûre pour la démocratie ? Cette question vaut aussi pour d’autres pays de la région qui ont fait la révolution.

Hasni Abidi : Vous savez il n’existe pas de première année ou deuxième année démocratie, l’exercice démocratique est le seul indicateur pour arriver à une certaine maturité. C’est pourquoi ce qui s’est passé hier est tout de même un échec, mais un échec provisoire car la transition connaît aussi des ralentissements et certains arrêts, elle peut même revenir à la case départ. Donc il est difficile pour moi de vous dire si l’Egypte est prête, ou même la Tunisie ou les pays du printemps arabe, mais on peut dire que le processus de la transition démocratique est un processus très long et très critique. Malheureusement, l’Egypte a commencé sa transition d’une manière un peu chaotique et les Egyptiens ne sont pas les seuls à assumer leurs responsabilités. On a laissé tout de même les pays de transition démocratique, je pense à la Libye et à la Tunisie, on les a laissé seuls un petit peu affronter un quotidien très difficile mais surtout affronter ou gérer un héritage très lourd laissé par les anciens régimes pendant plusieurs années donc il était presque difficile pour soit les nouveaux régimes issus des élections ou même du courant civil de s’organiser et de constituer une alternative au mouvement islamiste, même si l’inclusion de tous les courants est indispensable pour réussir une transition démocratique.

euronews : Vous le disiez il y a un risque de radicalisation. L’Egypte est un poids lourd du monde arabe, alors le corollaire est, y a-t-il un risque de débordement au delà des frontières égyptiennes, si radicalisation il y a ?

Hasni Abidi : L’Egypte à l’armée la plus importante et la plus puissante du monde arabe et l’Egypte constitue un pivot important de sécurité intérieur à l’externe. Américains et Européens comptent beaucoup sur l’armée egyptienne d’où l’embarras des réactions occidentales. Si bien sûr les islamistes continuent dans leur logique suicidaire ou dans la politique de la terre brûlée, puisqu’ils ont tout perdu, cela va épuiser l’armée qui fait déjà face à des foyers très importants dans le Sinaï et dans d’autres villes et qui fait face aussi à une circulation d’armes très importantes qui vient bien sûr de la Libye qui est incontrôlable aujourd’hui. Oui il existe un risque d’abord d‘épuisement de l’armée. La gestion des affaires politiques par l’armée risque aussi de l’affaiblir et de la priver un peu de ce réservoir de sympathie. C’est pourquoi il est indispensable que l’armée se retire au plus tôt pour laisser les affaires aux mains des civils ou aux mains de messieurs Mansour ou Beblaoui. Je crois qu’il y a aujourd’hui un devoir très important moral et politique pour la communauté internationale de ne pas laisser les Egyptiens face à leur propre sort.

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