Pologne : une politique anti-drogue répressive et datée

Pologne : une politique anti-drogue répressive et datée
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Par Ewa Dwernicki
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En matière de drogue, la Pologne mène une politique anachronique et inefficace basée sur la répression. Quant au système de soins, dont le fondement est l’isolement des personnes dépendantes, il reste figé sous sa forme d’il y a 30 ans, loin des standards préconisés par les organisations internationales spécialisées dans le domaine.

Ce constat accablant fait partie des conclusions du dernier rapport du Médiateur des droits des Personnes Dépendantes publié cet été en Pologne. Le Médiateur, dont le bureau est tenu collectivement par Agnieszka Sieniawska et Jacek Charmast, auteurs du rapport, est une institution citoyenne créée en 2009 par le Réseau Polonais de la Politique Anti-Drogue et l’association des personnes dépendantes JUMP’93. Le travail quotidien du Médiateur consiste à donner conseils et aide juridique gratuits, destinés à des consommateurs de drogues qui ne connaissent pas la loi et qui ne savent pas toujours défendre leurs intérêts. Le rapport est, entre autres, le fruit de ce travail. Il se fonde sur l’examen d’une centaine de cas pendant un an.

Une loi répressive et inefficace

La première partie du rapport est consacrée à l’aspect juridique de la politique anti-drogue et pointe de doigt l’inefficacité de son caractère répressif.

La législation polonaise sur la drogue reste parmi les plus restrictives en Europe. La loi relative à la lutte contre la toxicomanie du 29 juillet 2005 sanctionne la possession et la distribution de toute quantité de drogue. Une personne arrêtée en possession de ne serait-ce qu’un gramme de cannabis encourt une peine allant jusqu’à trois ans de prison ferme. La raison de l’instauration d’une loi aussi dure tient à la volonté d’améliorer l’efficacité de la police dans sa lutte contre le trafic de drogue. Or, presque dix ans après la mise en application de la loi le bilan est morose : elle n’a ni empêché le développement de la toxicomanie en Pologne ni amélioré la lutte de la police contre la production, le commerce et la contrebande de drogue. Au contraire, la criminalité liée à la drogue a augmenté et la demande en nouvelles drogues de synthèse (mélanges facilement accessibles sur internet et dont la consommation peut être plus dangereuse que celle des drogues classiques) a explosé.

Mauvaises pratiques du parquet

En avril 2011, la loi relative à la lutte contre la toxicomanie a fait l’objet d’une modification majeure. L’amendement voté alors a introduit l’article 62a qui donne au parquet et aux tribunaux la possibilité de mettre fin à la procédure pénale envers les individus surpris en possession de petites quantités de stupéfiants à des fins privées. Un autre article (70a) impose aux procureurs, pendant la phase de préparation de la procédure pénale, l’obligation de recueillir des informations sur l’usage de stupéfiants par l’accusé afin d’établir son niveau de dépendance. L’objectif de l’amendement était de rationaliser la procédure en évitant de mettre en garde à vue ou en prison des personnes dépendantes ayant plutôt besoin de soins. Or, l’expérience du Médiateur a démontré que l’arrêt de la procédure pénale, autorisé par l’article 62a, n’a été utilisé par le parquet que dans 11% des cas étudiés dans le rapport. Dans les autres cas, ce sont les juges qui ont pris la décision d’abandonner les poursuites en évoquant la totale inadéquation de la peine proposée au regard de la gravité des actes commis.

Selon les auteurs du rapport, l’usage de drogue est pour la police et le parquet un « adversaire confortable » qui leur permet d’augmenter les statistiques concernant la lutte contre la toxicomanie tout en cachant leur incapacité à combattre le trafic de drogue et les vrais criminels.

Système de soin inadapté

Le deuxième volet du rapport aborde la question du système de soins. Vieux, inadapté aux besoins des patients et inefficace, il est basé sur l’isolement des personnes dépendantes. Son organisation et sa philosophie datent de la fin des années 1970. Isolés, les patients sont contraints à la désintoxication et l’abstinence forcées. Les patients sont généralement enfermés dans des résidences pendant un ou deux ans.

Les auteurs condamnent ce modèle polonais à sens unique. Selon eux, il ne prend pas en compte les réels besoins des personnes dépendantes : en se concentrant sur les toxicomanes fortement dépendants, il néglige les jeunes qui commencent à expérimenter la drogue. Il manque également des centres de transition dans lesquels les personnes ayant effectué une thérapie pourraient reprendre une vie normale. Le résultat de cette inadéquation est que 73% des patients traités en centres résidentiels fermés y retournent une deuxième fois.

Monopolisation des ressources

Agnieszka Sieniawska et Jacek Charmast du Modérateur identifient clairement les raisons pour lesquelles le système de soin polonais n’évolue pas. En effet, 75% des moyens destinés aux traitements des toxicomanies sont attribués par le Fonds National pour la Santé (NFZ) aux centres fermés. C’est, selon eux, l’effet du lobbying exercé par les centres de traitement résidentiel (créés dans les années 80 et 90) qui, pour exister, ont besoin de patients. Cette véritable “monopolisation” des moyens par ce type de centres provoque un déficit dans l’application d’autres méthodes comme celle de sevrages ambulatoires ou de traitements de substitution, pourtant identifiés comme étant parfois l’unique recours dans des cas de dépendance incurable. Les auteurs affirment, en outre, que la société polonaise fait preuve d’une véritable “narcophobie”, sentiment entretenu dans le but de « maintenir le modèle de l’isolement de longue durée ».

Disparités régionales

En Pologne, la politique anti-drogue est gérée au niveau régional, entraînant d’énormes disparités. Le rapport pointe de doigt le manque de rigueur dans l’application de différentes stratégies nationales de lutte contre les drogues par les responsables locaux. Ils restent largement influencés par des organisations non-gouvernementales soutenant les méthodes de soins actuelles et hostiles au changement.

Recommandations : « limiter les dégâts en respectant les droit de l’être humain ».
Le rapport du Médiateur contient également des recommandations ayant pour but d’optimiser le modèle polonais de lutte contre la toxicomanie et d’aide aux personnes dépendantes. Parmi les plus importantes figurent la dépénalisation de la détention de petite quantité de drogue pour un usage personnel, la diversification des traitements proposés aux personnes dépendantes (en y introduisant les traitements de substitution) mais également la légalisation de l’usage du cannabis à des fins médicales.

Le Réseau Polonais de la Politique Anti-Drogue, initiateur de l’institution du Médiateur des droits des Personnes Dépendantes, rassemble thérapeutes, médecins, juristes, assistants sociaux et représentants d’organisation non-gouvernementales, tous experts travaillant au quotidien avec les personnes dépendantes. Depuis sa création en 2008, le réseau mène des actions ayant pour objectif non seulement de changer la loi anti-drogue en vigueur en Pologne mais également de lutter contre la stigmatisation et la discrimination des personnes dépendantes au sein de la société polonaise. Il occupe une place importante dans le débat public concernant la toxicomanie.

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