Les marchés du logement en Europe, entre bulles et crises

Les marchés du logement en Europe, entre bulles et crises
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Par Euronews
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Real Economy vous emmène cette semaine en Irlande. Nous nous attarderons sur les fluctuations du marché de l’immobilier en Europe et leur impact sur notre situation financière.

Nous décomposerons les différents effets du marché immobilier sur nos habitudes de consommation et nos prises de décision en matière d’investissement. Avec l’un des économistes les plus connus d’Irlande, nous verrons comment ce pays à traversé une crise du logement. David McWilliams en analysera l’incidence sur l’endettement des ménages.

Nous savons tous qu’il existe une corrélation directe entre le logement et l‘économie. Voyons comment, concrètement, nos logements ont des effets sur nos décisions en matière de consommation et d’investissement et donc sur la stabilité financière.

Une maison est généralement notre bien le plus important. Quand nos habitations prennent de la valeur, notre consommation évolue aussi. Nous dépensons et investissons davantage, car nous nous sentons plus riche et posséder un logement tend à nous faire économiser moins.

L’achat d’une maison engendre forcément des dépenses annexes qui sont liées à l‘économie. Ce n’est pas comme simplement acheter une voiture. Pour un logement, votre agent immobilier touche une commission. Vous devez aussi acheter des meubles, des appareils électroménagers, réagencer, faire des réparations etc.

Cette maison a un impact direct sur les décisions d’investissements liées à tous ces paramètres.

De nos jours, l’achat d’une maison a un effet levier. Quand le secteur était en plein boom, beaucoup ont opté pour le double crédit afin d’acheter une maison comptant.

De gros profits peuvent être réalisés quand les prix augmentent. Mais si ces derniers baissent, la valeur de l’actif diminue aussi.

Les maisons perdent de leur valeur, la consommation baisse et arrive l’instabilité.

L’effet levier signifie aussi que les banques doivent miser gros, ce qui accentue l’instabilité et peut entraîner des pertes importantes voire des plans de sauvetage, comme cela a été le cas au moment de la crise financière.

Chaque marché de l’immobilier est différent à la fois structurellement et dans ses cycles. De manière générale, nous pouvons dire que les prix de l’immobilier dans la zone euro ont reculé de 1,3 % au troisième trimestre 2013. Les Prix de l’Union européenne ont baissé de 0,5 %. Mais quand nous regardons dans le détail – l’indice trimestriel des prix des logements a plus augmenté en Estonie, en Irlande et au Royaume-Uni qu’en Slovénie, au Danemark et en Roumanie – nous devons retenir que le casse-tête du logement est pour chaque marché, engendré par différents facteurs.

Il existe deux types de marché de l’immobilier en Europe. L’un présente plus de demandes que d’offres, l’autre affiche trop d’offres. C’est le cas en Irlande et en Espagne.

“L’Espagne a sur-construit entre 2000 et 2007 et cela a été accompagné par une hausse des prix et puis on s’est retrouvé en 2007 – 2008 avec un véritable crash des prix et une offre très excédentaires (…) A l’inverse, vous avez des pays comme la France où encore la Grande Bretagne, deux exemples très clairs où là, en revanche en particuliers bien sûr dans les grandes agglomérations on a un excès de demande par rapport à l’offre”, explique Jean-Michel Six, chef économiste chez Standard & Poor’s.

Autre élément à prendre en compte, le crédit et le rôle des banques centrales sur les taux d’intérêts.

“Sur le plan plus cyclique il y a effectivement une politique monétaire, une politique de crédit qui a vraiment soutenu le marché et a permis sa reprise (…) Dans le cas de la Grande-Bretagne c’est extrêmement clair vous avez les taux d’intérêts qui ont énormément baissé donc il est devenu très intéressant pour des ménages d’acheter un logement parce que vous pouvez vous endetter à des taux qui sont véritablement extrêmement bas sur des moyennes historiques”, ajoute Jean-Michel Six.

Alors, quels sont les indicateurs pour juger de l‘état de santé du marché immobilier ?

“ D’une part vous avez les facteurs démographiques fondamentaux, c’est-à-dire que l’on sait de façon assez précise combien de nouveaux ménages vont arriver (…) Ensuite vous avez des phénomènes de cherté qui permettent de savoir si le marché est cher et là vous avez deux indicateurs : le premier c’est le rapport entre le prix moyen d’un logement et le nombre d’années de revenus qu’il représente (…) Dans le cas de la France, on est à peu près à 3,8 années de revenus pour un logement moyen. C’est un peu plus en Grande-Bretagne et un peu moins en Espagne. Mais on tourne dans la plupart des pays européens sur ces moyennes”, termine Jean-Michel Six de Standard & Poor’s.

Ainsi, ces différences régionales rendent plus difficile une relance européenne.

L’ancien bâtiment inachevé et désert de la banque irlandaise Anglo est l’un des exemples du krach immobilier qui a conduit l’Irlande à un plan de sauvetage dont le pays est aujourd’hui sorti. L’Irlande devrait afficher une croissance de 1,8 % cette année et les prix des logements, qui sont encore 50 % en dessous du prix du marché, ont bondi de près de 4 % au dernier trimestre 2013. Les ventes ont augmenté de 10 %, mais les problèmes de l’Irlande sont loin d‘être terminés.

Manifestation devant le Parlement de Dublin. En Irlande où un crédit hypothécaire sur cinq ne peut plus être payé, ces familles craignent d‘être expulsées.

Paul Casey est l’un d’entre eux. Il nous reçoit dans son appartement payé 275 000 euros en 2005. Aujourd’hui, son trois pièces ne vaut plus que 100 000 euros. Lui a encore plus de 20 années de dettes à payer.

“Nous n’avons pas la possibilité de changer de place. Nous ne pouvons acheter nulle part ailleurs. Nous ne pouvons pas contracter un autre prêt immobilier pour déménager. Donc, nous sommes coincés ici, dans ce petit appartement avec deux chambres. Et ça fait neuf ans. Nous sommes vraiment coincés ici et il n’y a aucune évolution. On ne peut rien avoir d’autre”, explique Paul Casey.

euronews, Sébastien Le Belzic :
“Comme ici, la Banque centrale irlandaise estime que plus de 140 000 foyers dans le pays sont étranglés par leur emprunt immobilier. Plus de 20% d’entre eux risquent à tout moment de perdre leur maison”.

Quand Paul a acheté sa maison, l’Irlande était encore surnommé le Tigre Celtique. Les prix de l’immobilier se sont envolés, plus 270 % entre 1997 et 2007.

Cette bulle immobilière a d’abord été provoquée par des banques prêtaient davantage que la valeur même du logement. Tout s’est effondré en 2008. Les biens immobiliers ont perdu la moitié de leur valeur et les banques se sont effondrées les unes après les autres. Des six établissements financiers de l‘époque il n’en reste que trois dont deux contrôlés à 100 % par l’Etat.

“À l‘échelle nationale et au niveau macro-économique, les choses semblent bonnes. Le PIB commence à croître à nouveau au-dessus du niveau de la zone euro. Les prix des maisons ont cessé de dégringoler et remontent même dans certains endroits. Le taux de chômage a atteint 14 % au plus fort de la crise et est de 12% actuellement. C’est bien, mais si l’on regarde dans le détail, le constat est plus mitigé”, analyse Michelle Norris du Conseil National Economique et Social.

La dette publique reste en effet colossale et la dette privée, celle des entreprises et des ménages, est la plus élevée d’Europe après le Danemark et les Pays-Bas. Mais le gouvernement mise sur un retour de la croissance.

“Selon de nombreuses indications internationales, il est clair que nos problèmes étaient la construction et le prix des biens immobiliers. Et toujours selon ces indications, une fois qu’il y a un retour à la stabilité du marché, les prix augmentent à nouveau. Il est clair que c’est ce ce que l’on observe ici et c’est pourquoi les investisseurs reviennent en Irlande. Ce n’est pas le peuple irlandais qui investit, ce sont les étrangers qui investissent en Irlande car ils voient la valeur réelle du marché de l’immobilier dans ce pays”, explique Brian Hayes, ministre adjoint irlandais au ministère des Finances.

Le gouvernement mise maintenant sur un rebond de 10 % du marché immobilier dans les deux années à venir. Mais cela ne concerne que Dublin et ses quartiers les plus centraux.

“Je pense que ce que nous avons vu ces dernière année c’est une stabilisation très importante des prix. À Dublin, il y a une activité économique très forte et il y a eu une certaine reprise du marché immobilier, mais il reste des questions à régler car nous avons besoin d’arriver à une augmentation de l’offre”, continue Brian Hayes.

Dans le reste du pays, la croissance est effectivement atone. Pour Paul Casey, la perspective de rembourser un jour ses dettes ne fait que s‘éloigner.

Le logement est le plus grand défi de l’Irlande aujourd’hui. Les zones fantômes, où les travaux de construction ont été arrêtés en cours de route avec la crise, foisonnent. Les nouvelles constructions sont extrêmement rares et ce bien que la NAMA, la banque de défaisance créée par Dublin, ait alloué un milliard d’euros à l’achèvement de projets de construction et que la moitié de cette somme ait déjà été utilisée.

Nous avons demandé en tout premier lieu à l‘économiste irlandais David McWilliams si la reprise irlandaise était réellement un succès même si le thème du logement reste une pomme de discorde.

“Oui, l‘économie se redresse, mais c’est en grande partie grâce aux multinationales et aux exportations. La grande majorité des Irlandais travaillent dans leur pays et c’est pourquoi le chômage reste à deux chiffres. Donc, je suis plutôt sceptique, pas tellement sur le sens de la reprise, mais sur le rythme de la reprise. Quand vous avez un taux de chômage à deux chiffres et ce qui pourrait être décrit comme une émigration massive des jeunes Irlandais et bien la reprise n’est pas une reprise mais plus une observation statistique”, explique David McWilliams.

euronews:
Quand vous voyez le nombre de ménages et leurs dettes, pensez-vous que le redressement que nous avons vu n’est pas lié au marché immobilier et cela peut-être une bonne chose?

“La dette des ménages en Irlande est la plus importante au monde, pas seulement en Europe, mais on pardonne aux gens en raison de l’absence d’un vrai accord sur la dette. L‘économie nationale ne peut pas croître. Et si l‘économie nationale ne peut pas se développer, vous avez avez de bons chiffres sur le papier, mais la réalité sur le terrain est toute autre. Le marché de l’ immobilier ici et en Grande-Bretagne est bien différente du marché français ou allemand. D’abord parce que nous empruntons à des taux d’intérêt à court terme et que nous empruntons beaucoup. Ensuite parce que le marché de la location n’est pas nécessairement vu comme quelque chose de stable. Rien ne sape plus votre jugement financier que de voir votre voisin s’enrichir et c’est exactement ce qui se passe ici”, explique continue David McWilliams.

euronews:
Quand vous observez le marché du logement ici, quelles leçons en tirez-vous ?

“Rien n’a changé du tout en Irlande. Après tout ce que nous avons vécu, nous aurions dû mettre en place un système empêchant les banques d’accorder des crédits pour des maisons ou des projets de constructions en général.
Tout ce qui empêche les banques de continuer à le faire aujourd’hui, c’est qu’elles n’ont pas d’argent. Mais quand elles seront recapitalisées – ce qui arrivera un jour – nous allons renouer avec le vieux cycle alliant hauts et bas en Irelande.
En dehors de Dublin, il y a trop de maisons construites à des endroits ou personne ne veut vivre tant que ces zones ne seront pas arrangées. Le marché sera en situation de duopole, les prix des maisons à Dublin vont augmenter quand ceux de l’immobilier vont baisser dans le reste du pays”, dit David McWilliams.

euronews:
Prenons l’exemple d’un citoyen lambda qui cherche une solution, comment arriver à lui faire comprendre la différence entre la surévaluation, la sous-évaluation et la stabilité des marchés?

“Lorsque les prix de l’immobilier commencent à grimper et que les salaires moyens augmentent, on se retrouve dans une sorte de bulle où beaucoup trop de crédit sont accordés. Par exemple, vous entrez dans une banque en disant que vous voulez acheter une maison à 100 000 euros. Vous savez que par rapport à vos revenus, la banque vous accordera un crédit à hauteur de 30 000 euros. Mais là, le directeur vous dit, ne vous inquiétez pas, nous allons vous prêter 100 000 euros et nous allons même ajouter 50 000 euros pour vos vacances et l’achat d’une voiture. Là vous savez que vous êtes dans la bulle”, ajoute David McWilliams.

euronews:
Si les marchés sont si différents à travers l’Europe, devons-nous opérer une sorte de changement structurel ?

“La chose la plus importante est que vous ne pouvez pas avoir un boom de l’immobilier, sauf si vous avez des crédits, c’est la clé. Si j‘étais à la tête de la BCE, je dirais aux banques de ne pas se baser sur le prix actuel des maisons mais sur le prix moyen des maisons de ces 20 dernières années. En faisant ça on évite la bulle, car si les banques prêtent trop, leur bilan au final leur joue des tours. Donc, si le président de la Banque centrale européenne veut vraiment faire quelque chose, ce qui n’est pas le cas, il doit lier les crédits non pas aux prix actuel des maisons mais au prix moyen de ces vingt dernières années pour éviter les bulles, les booms immobilier et les crises. Il y aurait ainsi un marché du logement stable pour toujours” conclut David McWilliams.

La croissance urbaine sera le thème de la prochaine édition de Real Economy.

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