Les "réformes de structures", recette magique ou potion amère ?

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Par Euronews
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Nous sommes dans cette édition, en Espagne et au Portugal pour regarder comment les réformes structurelles sont mises en oeuvre et si la patience et la cohérence sont les qualités requises pour en voir les résultats concrets.

Nous nous sommes rendus au Portugal pour voir pourquoi les réformes de structure ne sont pas si simples à appliquer. Nous demanderons à l‘économiste Gayle Allard quels sont les obstacles dans la mise en oeuvre de ces changements. Et comme beaucoup d’entre nous s’interrogent sur l’opportunité d’une telle politique très douloureuse socialement, nous nous attarderons à la question de la réforme du marché du travail en Espagne.

Mais combien d’entre nous comprennent vraiment ce que sont les réformes structurelles ? Pas tant que cela. C’est l’occasion d’une séance de rattrapage.

Il était une fois un pays où les citoyens ne trouvaient plus de travail, où l’inflation augmentait et où les dépenses publiques explosaient.

Pour régler le problème, ce pays devait améliorer le fonctionnement de ses marchés des produits et du travail. Cela impliquait des coupes douloureuses dans les dépenses mais aussi une augmentation des impôts et des privatisations en série.

Les normes régissant le marché du travail devenaient plus flexibles, les marchés étaient déréglementés et on mettait fin à certaines subventions publiques.

Ces réformes douloureuses conduisaient les citoyens à s’interroger : pouvaient-ils oui ou non espérer en un avenir meilleur ?

En fait, cela prit du temps.

Mais en rendant les marchés plus fluides, on encourageait la compétition et l’investissement dans les entreprises ce qui conduisait à davantage d’emplois et de croissance.

Les réformes réparent les déséquilibres dans une économie mais chaque pays doit comprendre pour lui-même quelles sont les meilleures réformes structurelles pour son économie.

Nous savons que ces réformes structurelles ont aidé l’Irlande à sortir de son plan de sauvetage. L’Espagne a terminé ses réformes dans le secteur financier. La Grèce et Chypre montrent de légers signes de reprise. Giovanni Magi analyse l’impact et le retour de bâton au Portugal qui s’est concentré jusqu‘à présent sur des réformes fiscales et dans les finances publiques.

Le Portugal a lancé des réformes mais selon la Commission européenne, il y a encore une nette marge de progression. Après la réforme du marché du travail, celle de l’administration publique a suscité des conflits.

Les Portugais ont déjà accès aux bureaux où tous les services aux citoyens sont concentrés. Mais la réforme qui devait aller encore plus loin, avec une réduction substantielle du nombre d’employés
a été récemment rejetée par le Cour constitutionnelle. Le gouvernement doit donc trouver des économies ailleurs, de l’ordre de 700 millions d’euros.

Le Portugal est sorti en mai dernier du programme de sauvetage de 78 milliards d’euros en trois ans. Mais ce programme a aggravé la situation de la dette publique. Et si le retour sur les marchés financiers a été encourageant, avec un intérêt raisonnablement bas pour les obligations d’Etat, l‘économie s’est encore contractée au premier trimestre 2014.

Les réformes sont jugées essentielles pour renouer avec la croissance. D’après les entrepreneurs, la réforme fiscale et la réforme de l’Etat apparaissent indispensables.

Antonio Saraiva, président du patronat portugais regrette que
“la bureaucratie pèse tellement aujourd’hui sur le business qu’elle nous suffoque et elle empêche le développement normal de l’activité. Au terme de quelques formalités, je peux créer ma boîte en une heure mais ensuite il faut trois ou quatre ans pour obtenir toutes les autorisations. Il y a une force d’inertie bureaucratique qui n’est pas acceptable.”

Des doutes sont apparus pour savoir si on pouvait maintenir ce niveau de dette publique dans la durée. Ils se sont exprimés dans un manifeste signé par soixante intellectuels, économistes et responsables politiques.

Joao Cravinho, député et ancien ministre des finances explique : “Le manifeste dit que le Portugal, pour renouer avec la croissance – ce qui est indispensable – doit alléger les charges annuelles de sa dette. Nous nous situons dans le contexte européen. Nous devons trouver une solution qui conduise à la réduction des intérêts, ce qui est important, et au report des échéances de paiements, en tout cas pour les pays qui peuvent répondre à leurs obligations financières.”

Une compétition accrue sur les marchés des produits et des services, voilà l’autre objectif du Portugal, comme d’ailleurs pour d’autres pays européens.

En se serrant la ceinture, les Européens ont permis à leurs gouvernements de réduire les déficits dans l’Union européenne et l’Eurozone cette année. Mais la dette publique reste très élevée, au-delà ou autour de 100 % du PIB dans beaucoup de pays dont l’Espagne, l’Italie et le Portugal. La cohérence dans la politique et les réformes deviennent décisives pour obtenir des résultats concrets.

J’ai appelé Gayle Allard, professeur d‘économie à l’IE Business School et je lui ai demandé si les réformes structurelles étaient la seule planche de salut ou si le contrecoup public et légal ne risquait pas de gripper la reprise.

““Réformes structurelles” est une expression assez large et souvent mal employée, explique Gayle Allard. Nous parlons d’ajustements structurels et je vois les gouvernements insister surtout sur la dimension fiscale de ces ajustements. Le bon côté des choses avec les réformes structurelles, c’est que, souvent, ça ne coûte pas cher. Cela ne coûte rien de changer une norme. Cela ne coûte rien de faciliter le business. Mais attention, il y a beaucoup de résistances au niveau national. Des pays comme le Portugal, l’Espagne ou la Grèce ont souffert de voir ces réformes imposées. Ca peut conduire à un retour de manivelle plus important que ce que nous connaissons habituellement.”

“Comment se fait-il que l’on parle si souvent de réformes structurelles dans ces pays mais pas de la réforme du marché des produits ?” demande notre journaliste.

“C’est surprenant en effet, répond Gayle Allard. Il y a tous ces leviers comme rendre plus facile l’investissement, l’ouverture ou la fermeture d’un business, ou enregistrer un produit ou déposer un droit de propriété… Tout cela, c’est gratuit. J’ai du mal à comprendre pourquoi un pays comme l’Espagne a été si lent à adopter ce genre de réformes, alors que la partie fiscale de ces changements est, elle, si douloureuse.

“Que feriez-vous aujourd’hui si vous étiez dans la position de faire redémarrer la croissance ?” interroge Maithreyi Seetharaman, d’Euronews.

“A travers la destruction d’emplois, la baisse des revenus, les entreprises essaient de survivre comme elles peuvent. Elles ont compris comment réduire les salaires, ce qui ne s‘était jamais produit jusque là. Ou comment mieux manager les équipes, inciter chacun à devenir plus efficace, à dénicher de nouveaux marchés. Je crois que le moment est venu où les gens réalisent le besoin d‘être plus compétitifs. Les gouvernements doivent saisir au vol cette opportunité et bien vendre cet objectif à leurs opinions publiques. Cela va nous aider à être compétitifs sans avoir besoin de dépenser plus. Cela va nous aider à améliorer notre système de retraites et à mieux prendre soin de nos aînés à l’avenir… les gens comprendront !”

Voici un instantané de l’Espagne. Le pays est sorti de la récession l’année dernière. Le chômage reste très élevé mais il s’est stabilisé. Si les grandes données macro-économiques sont plutôt encourageantes, sur le terrain, la situation reste trés difficile : le pays ne parvient pas à faire face à la pauvreté et à l’exclusion sociale.

Notre journaliste, Monica Pinna, s’est intéressée à une histoire symptomatique de la crise sociale en Espagne.

Les usines de Fuenlabrada étaient considérées autrefois comme la force motrice de Madrid. Aujourd’hui, elles incarnent la crise. Beaucoup d’entreprises ont mis la clé sous la porte mais Paco, opiniâtre, continue d’envoyer son CV un peu partout.
Il travaillait comme charpentier depuis 40 ans mais il s’est retrouvé au chômage en 2010.

“Avant, je venais là presque tous les jours, témoigne-t-il. Maintenant, je viens deux fois par mois parce que compte tenu de ma situation, je ne peux pas me le permettre.Depuis 2010, je n’ai eu que des petits boulots d’une ou deux semaines, parfois un mois.”

L’Espagne a souvent été créditée de réformes structurelles d’envergure et a même été érigée en exemple pour des pays périphériques de l’Eurozone se débattant dans la crise de la dette. Pourtant, sa réforme du travail a été extrêmement controversée. Depuis qu’elle a été adoptée il y a deux ans, le nombre de personnes sans emploi a continué d’augmenter, dépassant les six millions en 2013. A présent, il diminue.

Le nombre de chômeurs était de près de 5, 4 millions en janvier 2012, un mois avant la réforme du travail. Il est monté à 6, 1 millions en avril 2013 pour retomber aujourd’hui à 5, 7 millions.

Pour mieux comprendre les effets de cette réforme du travail, nous avons parlé à Juan E. Iranzo, président de l’association des économistes de Madrid.

“Nous bénéficions des réformes : moins d’emplois ont été détruits qu’avant. La compétitivité s’améliore. Précédemment, certaines lois vous empêchaient de réduire les salaires. A présent, nous exportons et depuis avril, il y a des créations nettes d’emplois. Cela veut dire qu‘à court terme, les réformes structurelles bénéficient à toute la société “ estime Juan E. Iranzo.

Mais il est difficile de vendre une telle réforme à des gens comme Paco. Son fils est au chômage… tout comme sa femme Isabel qui a perdu son travail de femme de ménage il y a un an et demi. Les réformes ont permis davantage de flexibilité, ce qui signifie qu’il est plus facile de licencier les salariés.

“Depuis la réforme du travail, ils licencient davantage qu’avant, et ils licencient d’abord les vieux. Je n’ai même pas eu une seule offre de travail depuis que je suis au chômage.”

Isabel vient d’apprendre qu’elle est retenue pour une formation au “Pôle emploi espagnol”.

67 % des plus de 45 ans restent au chômage pendant plus d’un an.

“Nous sommes toujours en compagnie de Gayle Allard, de l’IE Business School, dit notre journaliste. Gayle, reparlons de l’Espagne un instant. Quel est le chaînon manquant dans la réforme du marché du travail ?

“Aucune réforme du marché du travail ne peut générer des emplois si l‘économie est en train de couler, rappelle Gayle Allard. L’idéal, pour une réforme aussi délicate que celle du marché du travail, ce serait de la mettre en oeuvre en période de croissance. Alors, vous pourriez voir les effets en un an et vous bénéficieriez d’un soutien. Cette réforme a été dévastatrice car elle a simplement permis aux entreprises de licencier plus facilement des personnes qu’elles auraient licenciées de toute façon.”

“Les réformes exigent de tailler dans les dépenses, intervient Maithreyi Seetharaman. Et pourtant, pour favoriser la croissance, il y a besoin de marges de manoeuvre budgétaires.

“Avec le chômage élevé en Europe du sud, le besoin d’une meilleure formation des salariés est une autre réforme structurelle nécessaire pour aider les jeunes à trouver du travail, rappelle le professeur d‘économie. L’Europe devrait saisir cette occasion pour réaliser un embryon de transfert fiscal, je pense. Beaucoup de pays commencent à générer des excédents budgétaires. Les gens sont donc prêts au changement, il savent que c’est nécessaire, des réformes sont indispensables et peuvent être adoptées pour stimuler l‘économie, et qui seraient acceptables pour la plupart des gens.
Je pense qu’on peut avoir un sursaut de croissance en Europe et emprunter une sentier différent qui soit celui d’une plus forte compétitivité.” conclue-t-elle.

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