Emmanuel Davidenkoff : "la révolution éducative part des universités"

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Par Euronews
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Aurora Vélez, euronews: ÉducPros et l'Étudiant ont organisé pour la deuxième fois, une “Learning Expedition” ici aux États-Unis. Pourquoi Boston ?

Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction d’EducPros & L‘Étudiant : Boston parce que la première Learning expedition était dans la Silicon Valley et qu’il y a deux écosystèmes extraordinairement innovants aux Etats-Unis : la Silicon Valley et ce qu’on appelle la route 128 qui encercle Boston et où l’on trouve Harvard, le MIT, des start-ups, du venture capital – c’est-à-dire des gens qui financent l’innovation – et enfin, un certain nombre de grandes entreprises. Donc, cet endroit est un catalyseur d’innovation absolument extraordinaire au niveau mondial.

euronews: Qu’avez-vous appris, vous tous, de l’expérience de l’année dernière ?

Emmanuel Davidenkoff: Le principal enseignement de l’expérience de l’année dernière dans la Silicon Valley, c’est que depuis deux ou trois ans, des centaines voire des milliers de chercheurs, financeurs, universitaires se sont mis en tête de réinventer l‘éducation. Cela peut sembler fou, mais c’est quand même un écosystème : le numérique dans la Silicon Valley et c’est la même chose à Boston où l’on a déjà prouvé dans d’autres secteurs – comme la musique, les médias, la librairie, la médecine entre autres – que l’on était capable de le faire. Donc il nous a semblé passionnant d’aller découvrir le début de cette révolution qui est en train de se jouer aujourd’hui. Le cœur de ce changement, c’est ici aux États-Unis.

euronews: Qu’est-ce que l’enseignement supérieur en Europe n’a pas compris et que les Américains eux ont compris ?

Emmanuel Davidenkoff: Je pense que l’atout principal de la démarche américaine actuelle, c’est d‘être extraordinairement centré sur l’utilisateur, c’est-à-dire que les Américains ne sont pas uniquement dans une logique d’enseignement – de “teaching” -, ils sont aussi dans une logique d’apprentissage – de “learning” -. C’est cela qui les occupe principalement. Et quand on regarde toutes les innovations qui sont mises en place aujourd’hui, je pense que pour le moment, l’objectif premier n’est pas encore de trouver un modèle économique nouveau pour l‘éducation au niveau mondial, mais d’améliorer nos façons d’apprendre dans ce monde numérique qui fait tout juste émerger cette révolution absolument extraordinaire. C’est cela qui est en train de se jouer.

euronews: Dans votre dernier livre : “Le Tsunami numérique”, vous parlez d’une révolution en cours qui viendrait de l’enseignement supérieur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Emmanuel Davidenkoff: La révolution commence dans l’enseignement supérieur parce qu’il y a déjà un marché de l’enseignement supérieur au niveau mondial, pas forcèment un marché au sens commercial ou marchand du terme, mais il y a une compétition, une concurrence parce qu’un certain nombre de pays ont compris que l’intelligence, le savoir était le pétrole du XXIe siècle. Donc ils savent que maintenant, il faut se doter des meilleures forces, de la meilleure puissance intellectuelle qui soient et cela se joue dans les universités.

C’est pour cela que tout démarre avec l’enseignement supérieur, mais c’est une révolution que l’on observe aussi dans les écoles, les collèges et les lycées, dans les usages. Aujourd’hui, un jeune passe plus de temps sur son smartphone ou sur sa tablette que devant la télévision. Donc, tout cela est en train de changer, mais c’est vrai que l’enseignement supérieur est en première ligne de ces changements-là. De plus, il y a une grande variété d’approches pédagogiques qui existent déjà dans l’enseignement supérieur et une grande ouverture à l’innovation. Ce n’est pas un système monolythique ou tubulaire, mais beaucoup plus mobile.

euronews: Les curriculum transversaux, les “flipped classrooms”, les MOOC… Il y a certaines choses qui sont en train d‘évoluer dans le monde de l‘éducation. Quelles sont celles qui vous inspirent le plus ?

Emmanuel Davidenkoff: S’il fallait choisir trois projets innovants, le premier serait tout ce qui se passe autour du “design thinking”. C’est très difficile à traduire : on pourrait parler de “pensée design”. Ce n’est pas le design au sens de fabriquer des objets, mais au sens de la conception. Cela part notamment de la D.school de Stanford, mais on voit cela aussi à Boston et aujourd’hui, en Europe un peu partout : les écoles de commerce, d’ingénieurs, de design et parfois même d’autres disciplines comme les sciences humaines se réunissent et apprennent à concevoir ensemble. Vous pouvez faire cela sans écran, avec des legos ou des instruments de fabrication. Le principe consiste à dire simplement : essayons de nous comprendre et essayons avec nos compétences, nos champs disciplinaires respectifs d’apprendre à travailler ensemble. C’est une innovation que je trouve très intéressante et qui casse le système disciplinaire tubulaire.

Deuxième innovation : la “flipped classroom” – la classe inversée -. C’est l’idée que vous allez apprendre chez vous et que quand vous êtes en cours, on travaille ensemble, reprend ce que vous n’avez pas compris – de manière assez classique d’ailleurs -, mais ensuite, on travaille sur de la résolution de problèmes, les études de cas, dans un laboratoire pour essayer d’apprendre autrement. Je crois que c’est une révolution extrêmement intéressante.

Enfin, la troisième innovation est selon moi, lié au Big Data : la collecte des données qui va permettre de traquer votre façon d’apprendre individuellement et de vous aider individuellement. Le principe, c’est de dire que si vous n’avez pas compris telle chose à tel moment, c’est parce qu’il vous a manqué telle brique à tel autre moment et on est capable de vous le dire. De plus, on est capable de dire à l‘être humain, à savoir l’enseignant, qui reste fondamental dans tout ce dispositif : c’est là qu’il faut que vous aidiez. Ce sont, je crois, trois changements essentiels.”

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