L'Afrique face au défi jihadiste

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Par François Chignac
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Alors que tous les regards se portent sur l’Irak, théâtre d’une guerre civile qui plonge le pays dans le chaos, l’Afrique est confrontée à une percée jihadiste sans précédent qui malmène un appareil sécuritaire inadapté. Face aux récentes incursions des Shebabs somaliens au Kenya, aux attentats sanglants et exactions quasi-quotidiennes de Boko Haram au Nigeria, sans oublier le retour des groupes armés au nord Mali, les États africains savent qu’ils ne peuvent faire l‘économie d’une refonte de leurs appareils sécuritaires.

D’autant que des voix s‘élèvent. Elles fustigent les armées traditionnelles incapables de combattre l’hydre islamiste armé.

Réunis à Malabo, en Guinée Équatoriale, les chefs d‘États et de gouvernements ont pris le taureau par les cornes. Il y avait urgence. Le silence de l’Union Africaine après l’enlèvement des 200 jeunes filles par Boko Haram avait paru assourdissant.

A Malabo, les leaders politiques ont soutenu “le projet de création d’une force africaine en attente bien équipée qui pourrait être déployée sur les nouvelles zones de conflits” comme l’avait suggéré le président sud-africain Jacob Zuma. Une force africaine de réaction rapide en somme.

De quoi répondre aux attentes, car lutter contre le terrorisme est complexe. Les frontières sont poreuses, la réaction brutale, massive, et la stabilisation qui suit est appropriée dans certaines zones, comme cela fut le cas au Mali, mais ces réponses s’avèrent difficiles voire impossibles ailleurs, au Nigeria par exemple ou en Centrafrique.

Les armées traditionnelles n’ont intrinsèquement pas les logiciels pour contrer cette nouvelle forme de violence. Ni pour s’attaquer aux trafics et rackets qui permettent aux jihadistes de se financer via des business illégaux, comme cela est semble-t-il le cas au nord de la Centrafrique, dans ce territoire diamantifère, où des ex-séléka et Boko Haram troqueraient armes contre diamants.

Il faut donc “construire une armée continentale forte qui soit capable de répondre de façon efficace aux menaces sécuritaires” selon le président ougandais Yoweri Museveni. Et le président du Tchad, Idriss Déby, de relever que les “insurrections qui balaient actuellement de nombreuses parties de l’Afrique se portent très bien grâce à la faiblesse des mécanismes de réponse”.

Nigeria et Afrique du Sud se disputent le leadership

Reste qu‘à l’instar de l’Union Européenne, l’Afrique de la défense s’apparente à un serpent de mer. Elle se heurte aux rivalités continentales. Une lecture en profondeur des annonces de Malabo suffit à le vérifier. On a vanté la création d’un dispositif provisoire continental sous la base du volontariat tant en terme d’effectifs que de financement. Son nom : la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (Caric) centralisée par l’UA avec un état-major à Addis Abeba en Éthiopie. Un peu plus d’une dizaine de pays y prendront part. D’après le commissaire de l’UA pour la Paix et la Sécurité, l’Algérien Smaïl Chergui, deux “exercices militaires” seront effectués d’ici la fin de l’année. Cette force pourrait, par exemple, “intervenir demain en Somalie”, en proie à une insurrection islamiste, “ou au Soudan du sud dévasté par la guerre civile” a-t-il ajouté.

Parallèlement, on annonce que chacune des cinq régions du continent mettra en place une brigade d’intervention rapide. En d’autres termes, il faut voir là une rivalité Afrique du Sud/Nigeria : les premiers vantent les mérites d’une force continentale susceptible de conforter son leadership, les seconds, méfiants, préfèrent garder la main sur des troupes régionales.

On croirait assister aux atermoiements européens qui, sur le terrain, donnent ces résultats : la laborieuse mise en place d’une force européenne en Centrafrique par des capitales qui ont avancé soit leur manque de moyens, soit leur désintérêt, soit fait la sourde oreille pour cause d‘échéances électorales proches. Pour l’heure, outre les Français et les Géorgiens, cette force européenne n’est composée que de 200 hommes pour un territoire, la Centrafrique, grand comme la France et la Belgique. La menace jihadiste concerne pourtant tous les Européens. Car “demain, c’est à nos frontières que les terroristes risquent de se trouver” soulignait en mai à Libreville, au Gabon, le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius.

Tout comme en Europe, la collaboration des États africains fait donc défaut. Certains n’affichent pas les mêmes intérêts sécuritaires. La Libye actuelle avec les jihadistes, le Cameroun avec Boko Haram, ont par exemple montré des signes de passivité. Par ailleurs, la coopération financière demeure une pomme de discorde. Certains États rechignent à mettre la main à la poche. Leur marge de manœuvre financière est limitée. Car cette guerre a un coût. Elle est technologique. Lutter contre le terrorisme relève fondamentalement du renseignement. Toute la difficulté réside dans l’obtention de ces informations. Les moyens technologiques sont nécessaires lorsque, comme c’est le cas au nord est du Nigeria, la population rechigne à collaborer avec les forces armées, symbole d’un pouvoir jugé corrompu. Enfin, cette guerre appelle coordination et partage du renseignement. Des structures africaines régionales ont déjà vu le jour en la matière. Mais là encore, les intérêts divergents ont minimisé leurs impacts.

Bref, la volonté politique est donc au centre du débat. Elle avait fait défaut ces dernières années. Les armées africaines étaient soit vues d’un mauvais œil par des dirigeants qui cherchaient à en réduire l’influence, soit considérées comme non-prioritaire par des politiques qui refusaient d’investir.

Dix années sans volonté politique, c’est à peine ce qu’il a fallu aux groupes terroristes pour émerger en Afrique et déstabiliser un État comme le Nigeria doté de la deuxième armée la plus puissante du continent, derrière l’Afrique du Sud. Une armée nigériane conventionnelle, à la force de frappe indiscutable, mais incapable de répondre aux nouveaux défis lancés par les terroristes.

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