31 juillet 14 : Jaurès, mort pour la paix

31 juillet 14 : Jaurès, mort pour la paix
Par Joël Chatreau
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button
PUBLICITÉ

Jean Jaurès, humaniste et pacifiste convaincu, a paradoxalement passé sa vie à monter en première ligne. Jeune, déjà brillant à 19 ans, il arrive premier au concours de l’Ecole normale supérieure. A 22 ans, il est agrégé de philosophie. A peine le temps d’entamer une carrière de professeur et le voilà député du Tarn, son département natal. Il n’a que 25 ans et, par conséquent, il est le plus jeune député de France. Il échoue aux élections législatives suivantes mais en tire très vite la leçon. C’est sous l’étiquette socialiste que Jean Jaurès se représentera en 1892 à Carmaux. Une réussite car il a soutenu sans faiblir, dix semaines durant, la grève historique des mineurs de la ville. Il sera réélu à Carmaux jusqu’à sa mort.

L’homme politique et homme de lettres se bat avec les mots, et s’il le faut avec les armes. Très tôt, il comprend la force de la presse et écrit de nombreux articles, notamment dans La Dépêche de Toulouse et, bien sûr, dans L’Humanité, journal qu’il a fondé en 1904. A l’Assemblée nationale comme dans les luttes sociales, Jaurès se révèle être un orateur hors pair. Icône du socialisme à la française, il n’hésite pas à “mouiller la chemise” pour aller voir sur le terrain, pour se confronter à la réalité du monde ouvrier ou paysan. Si jamais il se sent offensé, comme il est encore permis à l’époque, il sort son pistolet. Il s’est battu en duel avec un ministre, Louis Barthou, en 1894, avec un nationaliste, Paul Deroulède, en 1904. Aucun des trois hommes n’a été blessé.

En revanche, Jean Jaurès a été, d’une certaine manière, le premier mort de la Première Guerre mondiale, tombé par anticipation au champ d’honneur du socialisme et du pacifisme. Il a mis tant d’énergie, tant de combativité et tant de ténacité à lutter contre la fatalité d’un conflit mondial que c’est ce dernier qui s’en est finalement débarrassé pour avoir la voie libre. Au cours des dernières années, les nationalistes de tous poils avaient appris à détester le tribun de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière, ancêtre du Parti socialiste) et l’éditorialiste redouté de L’Humanité. C’est l’un d’entre eux, plus illuminé que les autres, membre d’un groupe de jeunes ultra-nationalistes, qui s’est chargé de faire taire définitivement l’avocat de la paix en Europe.

Il s’appelle Raoul Villain, il a 29 ans, et c’est en plein centre de Paris qu’il va exécuter Jean Jaurès à bout portant. Il est environ 21H40 ce 31 juillet 1914, le député socialiste est en train de dîner au “Café du Croissant”, près des Grands Boulevards. La fenêtre est ouverte et son assassin n’a qu’à écarter le rideau pour lui loger deux balles dans la tête. Jaurès n’a pas vu la mort arriver, il tournait le dos à Villain. La guerre, oui, il la voyait arriver au grand galop, et s’apprêtait justement à rédiger après dîner un article “musclé” dans L’Humanité, afin d’essayer de provoquer un sursaut de l’opinion publique. Le 27 juillet, il avait déjà intitulé son éditorial “Une lueur d’espoir”; il débutait ainsi :”L’irréparable n’a pas encore été commis…” Effectivement, fin juillet, les pacifistes faisaient encore entendre leur voix dans les rues de certaines grandes villes européennes.


Raoul Villain, l’assassin de Jean Jaurès

La mort violente de Jean Jaurès va provoquer une onde de choc et d’émotion à travers toute la France. Le dernier rempart contre les va-t-en-guerre s’est écroulé. Il n’a fallu qu’un simple déséquilibré – on a présenté Raoul Villain comme tel – pour l’abattre. Emprisonné pendant 4 ans et 8 mois, celui-ci n’aura qu’à attendre la fin de la guerre pour être libéré, acquitté en mars 1919. Entre-temps, le monde entier a aussi perdu la raison et, au fil des alliances, s’est jeté dans une “boucherie” sans précédent. La déclaration de guerre de l’Allemagne à la France, le 3 août 1914, a suffi pour que la gauche dite “pacifiste” retourne sa veste et sorte son fusil, au nom de l’union sacrée face à l’envahisseur. Jean Jaurès aura tout perdu, y compris son fils Louis Paul, engagé volontaire et tué en juin 1918 au cours de la seconde bataille de la Marne.


La plaque commémorant l’assassinat de Jean Jaurès au Café du Croissant, 146 rue Montmartre, 75002 Paris (CC/Rémi Jouan)

« Songez à ce que serait le désastre pour l’Europe, ce ne serait plus comme dans les Balkans une armée de 300 000 hommes, mais quatre, cinq et six armées de deux millions d’hommes. Quel massacre, quelles ruines, quelle barbarie ! Je dis ces choses avec une sorte de désespoir, au moment où nous sommes menacés de meurtre et de sauvagerie, il n’y a plus qu’une chance pour le maintien de la paix et le salut de la civilisation, c’est que le prolétariat rassemble toutes ses forces qui comptent un grand nombre de frères, Français, Anglais, Allemands, Italiens, Russes, et que nous demandions à ces milliers d’hommes de s’unir pour que le battement unanime de leurs coeurs écarte l’horrible cauchemar ».

Ceci est un extrait du dernier discours public prononcé en France par Jean Jaurès. Un discours très visionnaire, n’est-ce pas ? On le mesure cent ans plus tard. C’était le 25 juillet 1914 devant près de 2 000 personnes. Où ? A Lyon, dans un café du quartier populaire de Vaise. Une plaque, prise en photo par Euronews, rappelle l’évènement qui s’est tenu au 51, rue de Bourgogne, mais ce lieu historique n’est guère mis en valeur.

Recherche/mise en page : Vincent Coste

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

104 ans après l'armistice de 1918, des cérémonies du souvenir en France ou au Royaume-Uni

Première guerre mondiale : restes de soldats français retrouvés en Turquie

Armistice du 11 novembre : il y a 103 ans cessait la Première Guerre mondiale