Entretien exclusif avec Quino, le créateur de la petite "Mafalda"

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Par Euronews
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Il y a tout juste 50 ans, Joaquín Salvador Lavado, dit «Quino», publiait les premières aventures de Mafalda, la plus célèbre des petites filles argentines. Quino est le premier caricaturiste à recevoir un Prix “Prince des Asturies” en Espagne, dans la catégorie “Communication et Humanités”.
Sa vie est, aujourd’hui, partagée, entre Buenos Aires et Madrid. Mais une maladie des yeux l’empêchent, désormais, de dessiner son personnage fétiche.

Euronews l’a rencontré en Espagne.

Francisco Fuentes, Euronews:
Bienvenue. Merci beaucoup d‘être avec nous.

Quino:
Merci à vous.

Euronews:
Prix “Prince des Asturies” dans la catégorie “Communication et Humanités”. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?

Quino:
Je suis très content parce que c’est un prix pour lequel j’ai toujours eu un grand respect. Il a toujours été décerné à des gens qui respectent et aiment beaucoup leur métier.

Euronews:
Vous êtes le premier dessinateur à recevoir ce prix.

Quino:
(Rires) Mais j’espère que je ne serai pas le dernier.

Euronews:
Est-ce que vous croyez, qu’en général, les caricaturistes (comme Plantu) sont suffisamment reconnus dans le monde?

Quino:
Je crois que oui. Je pense qu’Umberto Eco nous a beaucoup aidé quand il a créé une sorte de littérature dessinée.

Euronews:
Savez-vous comment les nouvelles technologies peuvent contribuer au développement de la bande dessinée humoristique?

Quino:
Nous sommes dans une transition technologique et pour l’instant nous ne savons pas comment cela va finir. C’est comme pour le livre électronique. Au début, on a eu peur que cette technologie s’impose face à l‘édition papier et finalement, ça ne s’est pas passé ainsi. C’est difficile d’anticiper l’avenir.

Euronews:
Dans vos dessins, vous auriez pu évoquer les tablettes ou les réseaux sociaux?

Quino:
Au début de cette nouvelle ère, j’ai commencé a m’amuser en dessinant cette technologie, en utilisant ses termes, la plupart en anglais et que les gens utilisent sans vraiment les comprendre. Je crois que la technologie va modifier les relations humaines. Elles ont déjà assez bien changé, mais avec un handicap un peu curieux. Les gens sont connectés à des milliers de personnes, mais ils n’ont pas d’amis avec qui avoir une conversation. C’est très curieux.

Euronews:
Parlons un petit peu de Mafalda qui est une des raisons pour lesquelles, nous sommes ici, dans la principauté des Asturies. Elle vient de fêter ses 50 ans. Depuis plusieurs mois, il y a une exposition dans le monde entier. Vos vignettes humoristiques, vos pensées ont une grande importance. Quand vous avez commencé a dessiner Mafalda, aviez-vous imaginé tout ça?

Quino:
Non. Je ne m’attendais à rien. J’ai commencé à publier ce personnage sans le connaître totalement. Je ne l’avais pas assez travaillé avant de le publier. Mais à un certain moment, je me suis demandé: “comment faire pour continuer à raconter son histoire?” Et j’ai trouvé cette idée de Mafalda qui pose des questions à ses parents, des questions auxquelles personne n’a de réponses. “Pourquoi il y a la guerre? Pourquoi il y a des gens pauvres? Pourquoi on détruit la planète?” Des questions sans réponses et je trouvais que c‘était un bon moyen pour que les gens s’intéressent à Mafalda.

Euronews:
Pourquoi le temps n’a-t-il pas d’effet sur Mafalda? Elle n’a pas pris une ride et elle a comme traversé le temps pour devenir éternelle.

Quino:
Non (rires). Je crois que, justement, le jour où les lecteurs se rendront compte que dans mes dessins, il n’est pas fait mention des nouvelles technologies, que moi, je n’y connais rien, alors, il verront que ce personnage n’est pas de notre temps et elle perdra tout intérêt.

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Euronews:
Vu que Mafalda est toujours d’actualité, on a l’impression que le monde a très peu changé ces 50 dernières années.

Quino:
Très peu. Et ça, c’est une grande déception sur le comportement humain parce que cela veut dire qu’on continue à faire les mêmes erreurs, que l’on n’a pas progressé, sauf dans la technologie.

Euronews:
Pourquoi le monde va-t-il toujours si mal?

Quino:
Parce que les intérêts économiques ont pris le dessus sur les intérêts politiques et idéologiques. Aujourd’hui, il n’y a pas d’idéologie et ça, c’est rarissime pour quelqu’un de ma génération! La génération de 68 dont le leitmotiv était: “l’imagination au pouvoir”. Tout ceci était si beau et aujourd’hui, il ne reste plus rien.

Euronews:
Une des images de Mafalda, qu’on a toujours en tête, est qu’elle n’aimait pas la soupe. J’ai lu que vous aviez utilisé la soupe de Mafalda comme une métaphore de la dictature argentine. Comment vous et votre famille avait vécu cette époque, où vous avez dû partir en exil en l’Italie?

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Quino:
Comme tous nos compatriotes. Très mal! Etre obligé de quitter son pays dans l’angoisse, vous fait perdre le contact avec vos amis, votre famille et les personnes que vous aimez. Aujourd’hui, les flux migratoires sont importants dans le monde, alors pas besoin d’expliquer ce que cela signifie.

Euronews:
Comment voyez-vous l‘évolution récente de l’Amérique Latine?

Quino:
J’observe mais je n’arrive pas à comprendre ce qu’il se passe. Il y a 5 ans, je la regardais avec plus de tranquillité. Aujourd’hui, je suis très curieux de savoir de ce qu’il va se passer.

Euronews:
Et l’Europe?

Quino:
L’Europe m’intrigue autant que l’Amérique Latine.

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Euronews:
N’oublions pas que vous vivez à cheval entre Buenos Aires et Madrid et ceci fait de vous un spectateur privilégié.

Quino:
L’Europe, c‘était un modèle pour l’Amérique Latine. Et en ce moment, elle est dans une étape où on ne sait pas si elle va continuer à s‘étendre ou se désintégrer totalement. Il y a des pays qui veulent leur indépendance, ce que je trouve très grave. “Des pays?” Non, je voulais dire “des régions”. Parce que je crois que dans cette ère de l’incertitude, il faut plutôt s’unir que se diviser.

Euronews:
Retournons à la soupe de Mafalda. Aujourd’hui, quelle serait la soupe de Mafalda ou la soupe de tous les problèmes?

Quino:
(Rires) La soupe de Mafalda d’aujourd’hui serait un peu la montée en puissance des groupes terroristes que l’Occident ne sait pas gérer à cause, notamment, de son manque d’intérêt pour d’autres cultures. En conséquence, l’Occident ne sait pas comment les traiter et agir avec elles.

Euronews:
Comment voyez-vous le monde?

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Quino:
Je le regarde. Je lis fréquemment la Bible pour chercher des idées pour mes bandes dessinées même si je ne suis pas croyant et que je ne l’ai jamais lue avec un esprit religieux. Je pense que les Etats ont non seulement commis les mêmes erreurs lors des deux derniers siècles mais que l‘être humain a une tendance à abîmer ce qu’il a bien fait.

Euronews:
En quoi croyez-vous?

Quino:
En la pensée humaine, Même s’il y a des périodes dans lesquelles l’humanité a reculé, pendant la période nazie et fasciste notamment. Parfois, elle réussit de bonnes choses mais ensuite, il lui arrive de tout gâcher.

Euronews:
Quino, merci d’avoir été avec nous.

Quino:
Merci à vous.

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Euronews:
Et bonne chance!

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