Zone euro : plus ou moins de flexibilité des budgets, un débat éternel ?

Zone euro : plus ou moins de flexibilité des budgets, un débat éternel ?
Par Euronews
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Maithreyi Seetharaman, euronews :
“De retour à Bruxelles pour une nouvelle saison de votre magazine Real Economy. Et pour commencer, on s’attaque au débat le plus brûlant en Europe : faut-il davantage de flexibilité pour les budgets ? L’Italie et la France ont toutes deux annoncé des budgets s’octroyant une plus grande flexibilité afin de sortir leurs économies du marasme. Mais ces budgets sont désormais regardés de très près par la Commission européenne.

Thomas Wieser, président du groupe de travail de l’Eurogroupe, est notre invité. Il nous dira s’il trouve que cette demande de flexibilité de la part de quelques pays est justifiée ou s’ils sont simplement en quête d’indulgence en matière de discipline fiscale en ces temps difficiles. On lui demandera également son avis sur l’argument avancé par certains selon lequel investissement et croissance nécessitent davantage de flexibilité.

Alors voilà le débat : quelques grands pays estiment que la demande est affaiblie en Europe et que les coupes budgétaires ne font qu’aggraver les choses. On le voit avec les prévisions de déficit et de dette de la France. Le tableau est également très sombre pour l’Italie. D’autres grands pays, avec des budgets plus équilibrés ou même excédentaires, estiment qu’assouplir la discipline budgétaire pour relancer l‘économie incite moins les gouvernements à réformer. Giovanni Magi analyse le débat et regarde si d’autres exemples de relance économique peuvent constituer des pistes pour l’Europe.”

“En Europe, les règles doivent reposer sur la stabilité et la croissance. Sans stabilité, il n’y a pas de croissance ; sans croissance, il n’y a pas de stabilité.” (Matteo Renzi, Premier ministre italien)

“D’abord, la croissance et l’emploi en utilisant toutes les marges, toutes les souplesses de ce qu’on appelle le pacte de stabilité et de croissance.” (François Hollande, Président français)

L’Italie et la France veulent que l’Union européenne assouplisse les règles, mais d’autres comme l’Allemagne insistent pour que les règles budgétaires soient respectées.

Giovanni Magi, euronews :
“Pendant la crise, quelques pays au bord du défaut de paiement ont eu besoin de plans de sauvetage sous la supervision de la Troïka. Tous les membres de l’Union européenne doivent respecter des règles strictes pour que les gouvernements ne dépensent pas trop au-delà de ce dont ils disposent. Et tout cela avec l’idée que quand la conjoncture est bonne, les pays peuvent se préparer aux périodes difficiles.”

L’Union européenne a adopté le pacte de croissance et de stabilité, garant d’une certaine discipline fiscale. Comme dans un sport d‘équipe, les mêmes règles s’appliquent à tous : adopter un budget dont le déficit ne dépasse pas 3 % du Produit intérieur brut (PIB), et conserver un niveau de dette inférieur à 60 % du PIB. Si ces limites sont dépassées, les autorités donnent l’alerte sous la forme d’une recommandation. Cela peut conduire à l’ouverture d’une procédure de déficit excessif et, si cela ne suffit pas, à des sanctions.

Le pacte a été amendé au fil du temps : d’abord en assouplissant les règles et en introduisant de nouveaux paramètres pour prendre en compte la situation particulière de chaque État. Plus récemment, les règles ont été renforcées, et rendues parfois automatiques avec le pacte fiscal, selon lequel la règle du budget équilibré devient une loi fondamentale dans chacun des États qui l’ont adopté.

Giovanni Magi, euronews :
“Qu’ont fait les autres grandes puissances économiques ? Les États-Unis ont répondu à la crise avec un plan massif de relance de l‘économie qui a conduit à une augmentation du déficit et de la dette publique. Le Japon quant à lui, a adopté une politique qui suscite la controverse jusqu’en Europe.”

“Les États-Unis sont à présent dans une phase de reprise solide, ce qui leur a permis d’assainir leur budget, en fait au même rythme que la zone euro, sauf que dans cette dernière la récession s’aggrave. Donc la politique fiscale de la zone euro a détérioré la situation économique”, estime Guntram Wolff, directeur de Bruegel, centre de recherche et de débat sur les politiques économiques en Europe.

Baptisée “Abenomics” en référence au Premier ministre Shinzo Abe, la politique adoptée par le Japon en 2012 repose sur trois axes : relance fiscale, assouplissement monétaire et réformes structurelles. Une politique synonyme de déficit et dette publique abyssaux, même si cela a porté ses fruits à court terme.

“Cette politique fonctionne dans le sens où les attentes vis-à-vis de l’inflation ont changé. Les prévisions sont à la hausse et l’inflation progresse”, analyse Guntram Wolff.

Reste qu‘à plus long terme, les “Abenomics” semblent perdre de leur efficacité, essentiellement à cause de la hausse de la TVA. Mais cette politique pourrait-elle s’appliquer en Europe ?

“Appliquer quelque chose comme les “Abenomics” à la zone euro serait extrêmement controversé parce que cela impliquerait d’acheter de très grandes quantités d’obligations d‘États”, ajoute Guntram Wolff.

Maithreyi Seetharaman, euronews :
“Pour rebondir sur les éléments évoqués par Giovanni, nous retrouvons Thomas Wieser. Au niveau européen, il est l’homme vers qui les gouvernements se tournent quand ils ont besoin d’aide. Monsieur Wieser, merci de nous accorder un peu de votre temps. Vous avez vu d’autres pays dans le monde faire ce qui était nécessaire pour sortir leur économie du marasme. Que pensez-vous du débat sur la nécessité d’avoir plus de flexibilité en Europe tout de suite ?”

Thomas Wieser, président du groupe de travail de l’Eurogroupe :
“Coordoner la politique fiscale, c’est un peu comme dans une famille où les deux partenaires ont leurs propres revenus, mais ils doivent néanmoins se parler pour décider comment dépenser leur argent. Il faut s’assurer que votre partenaire ne soit pas trop dépensier sinon cela peut déstabiliser le foyer tout entier. Il faut donc être flexible, être capable de s’adapter à une croissance plus faible, à une croissance plus forte un jour, à une plus faible inflation et à d’autres changements.”

euronews :
“Les États membres doivent suivre des règles très strictes. Quelle marge de manœuvre ont-ils vraiment ?”

T. Wieser :
“Nous prenons en compte une inflation réduite, nous prenons en compte une croissance plus faible et le résultat, le plan d’action peut être différent. Si votre croissance diminue alors votre déficit peut augmenter un peu. (…)
Une grande part de ce que l’on fait repose sur les pressions exercées par les pairs. Nous espérons que les grands pays se conduisent aussi bien que les petits pays. Il existe bien entendu des mesures de dissuasion, une amende peut être infligée. Jusqu‘à 0.2 % du PIB.”

euronews :
“Est-ce que nous nous trouvons dans une situation où nous allons peut-être devoir y venir ?”

T. Wieser :
“Non, je suis presque certain que les gouvernements italien et français vont coopérer avec la commission puis coopérer avec l’Eurogroupe et qu’ils mettront en œuvre les réformes nécessaires. Quand vous réalisez ces réformes structurelles qui renforcent votre économie, améliorent sa croissance future, alors vous pouvez disposer d’une ou deux années supplémentaires pour ramener votre budget à l‘équilibre.”

Maithreyi Seetharaman, euronews :
“On retrouve Thomas Wieser dans un tout petit instant. Mais d’abord, regardez la croissance de l’Italie : elle connait une troisième année de récession et ne prévoit qu’une croissance limitée l’année prochaine. Le Premier ministre italien veut s’attaquer aux réformes pour promouvoir les investissements pour la croissance. Mais comment compte-il les financer ? Par l’emprunt ou en augmentant le poids de la dette italienne. Un plan controversé. Aussi, les entreprises et les investisseurs sont-ils inquiets ou pensent-ils que c’est nécessaire à la croissance ? Éléments de réponse avec Giovanni Magi.

Derrière les paysages de carte postale des villes italiennes, l‘économie du tourisme représente 10 % du PIB. Une économie qui va plutôt bien, essentiellement grâce aux visiteurs étrangers. Ces dernières années, les Italiens ont dû se serrer la ceinture, en particulier après la réforme des finances publiques.

Giovanni Magi, euronews :
“Les chiffres du déficit par rapport au PIB suggèrent que l’Italie est un bon élève. Mais il a fallu payer un prix élevé : pas de croissance et moins d’emploi.”

Voici un autre visage de Venise, ou plutôt de Marghera, à deux pas du Grand Canal. Cette ancienne zone industrielle devient le symbole de l’abandon et de la perte de précieux emplois.

“Nous représentions 47 % de la production chimique italienne. Aujourd’hui, nous ne produisons presque plus rien”, déplore Riccardo Colletti, secrétaire général du syndicat Filctem-Cgil de Venise.

“Il faut des investissements productifs, il faut des choix de politique industrielle”, ajoute Luca Trevisan, du syndicat Fiom Cgil de la région Vénétie.

“Nous sommes exploités par le pacte de stabilité. Je n’ai jamais vu une Europe commencer par la loi. L‘économie souterraine, l’argent qui échappe au fisc, à travers l’Europe, cela représente des sommes colossales. Ce serait peut-être bien de commencer par là”, juge quant à lui Enrico Piron, secrétaire général de la chambre professionnelle de Venise.

Les investissements. Peu importe qu’ils viennent du secteur public ou privé. La priorité des ouvriers, c’est la relance de l‘économie et de l’emploi. Mais comment rendre cela compatible avec une bonne discipline économique ? Cet équipementier sportif présent à l’international est basé dans la région de Venise. Il dispose de sites de production un peu partout dans le monde.

Son PDG Andrea Tomat est également à la tête de la chambre de commerce internationale d’Italie : “je pense que des ajustements de ressources restent à faire : il y a des dépenses qui ne sont probablement pas appropriées à la situation actuelle, mais aussi des opportunités d’investissements que nous devons saisir.”

Il serait donc toujours possible de trouver des ressources pour financer les investissements. Mais quels leviers le gouvernement doit-il actionner pour relancer l‘économie ?

“Dépenser, mais pour investir dans de bonnes infrastructures, rentables, avec une gouvernance intelligente des coûts par rapport à la rentabilité de l’investissement : on revient encore à un bon levier keynésien où cet argent n’est pas gaspillé mais investi de manière opportune”, estime Andrea Tomat.

Maithreyi Seetharaman, euronews :
“Thomas Wieser est toujours avec nous. Il faut de la flexibilité pour les investissements en faveur de la croissance. Pourquoi y a-t-il autant d’hésitation au niveau européen ?”

Thomas Wieser, président du groupe de travail de l’Eurogroupe :
“Ce qui compte vraiment pour la croissance, ce sont les investissements privés, et ils sont freinés par de nombreux facteurs : la fragmentation des marchés financiers, le manque de réforme des marchés du travail, et plus généralement la faible rentabilité du secteur des entreprises. La bonne réponse selon moi, c’est qu’il faut réduire le train de vie actuel, les dépenses actuelles, afin de faire de la place, financièrement parlant, et donc pouvoir financer les investissements. Pas seulement cette année. Financer davantage d’investissements à partir de 2015 et pour la décennie, les décennies à venir, c’est possible dans le cadre des règles actuelles.”

euronews :
“Beaucoup diraient qu’on tourne en rond…”

T. Wieser :
“Ce que nous devons faire, c’est ramener l’endettement des économies en général sous contrôle. Dans la plupart des pays, certains secteurs de l‘économie ont besoin de se désendetter, qu’il s’agisse des banques, des gouvernements, du secteur privé. C’est pour cette raison qu’il faut modifier la répartition des dépenses. Les investissements, publics et privés, améliorent les taux de croissance. Voudriez-vous que votre épouse investisse dans des actions pour bénéficier d’un flux de revenus futur ou voudriez-vous qu’elle dépense cet argent d’un coup ? Vous voudriez que votre gouvernement investisse dans l’avenir de vos enfants et pas forcément en se contentant de dépenser une fortune sur quelque chose de prestigieux.”

euronews :
“Allons-nous conserver les règles actuelles et ne pas les modifier ?”

T. Wieser :
“Les règles ne changeront pas ! Les règles offrent un degré de flexibilité plutôt bon. Nous conserverons les règles et il y aura de la croissance partout en Europe, et en particulier, je pense, en Italie, puisque nous venons de l‘évoquer.”

Maithreyi Seetharaman, euronews :
“Cet épisode de Real Economy est terminé, ce qui est loin d‘être le cas du débat sur la flexibilité en Europe. Merci de nous avoir suivis, à bientôt.”

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