Denis Mukwege, gynécologue congolais, prix Sakharov 2014 : "le viol est une arme de guerre qui détruit notre humanité commune."

Denis Mukwege, gynécologue congolais, prix Sakharov 2014 : "le viol est une arme de guerre qui détruit notre humanité commune."
Par Euronews
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Depuis plus de 15 ans, le docteur Denis Mukwege répare l’intimité mutilée des femmes de la République démocratique du Congo.
Ce gynécologue s’est spécialisé par la force des choses dans la chirurgie réparatrice, qu’il exerce dans son hôpital.
Le 21 octobre, le Parlement européen lui a décerné le prix Sakharov 2014 pour la liberté de l’esprit.

Audrey Tilve, euronews :
“ Denis Mukwege, ce prix Sakharov est loin d‘être la première distinction que vous recevez. Beaucoup d’autres l’ont précédée. Mais quelle est l’utilité de ces prix, de ces médailles lorsqu’on est confronté quotidiennement à ce que l’homme peut faire de pire ? “

Denis Mukwege :
“ Nous avons besoin de cette solidarité des Etats européens pour combattre un mal qui a émergé au Congo. Aujourd’hui, le viol avec violences sur les femmes en période de conflit a tendance à se généraliser. Je pense que c’est extrêmement dangereux d’utiliser cette arme, qui détruit notre humanité commune. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Plus de 40.000 femmes et fillettes ont été soignées dans votre hôpital depuis que vous l’avez ouvert il y a 15 ans. De quoi sont-elles victimes ? “

Denis Mukwege :
“ Ce sont des femmes qui ont été violées, souvent en public, devant leurs maris, devant leurs enfants. Après ces viols qui sont collectifs, suivent des tortures qui portent sur l’appareil génital. Les femmes qui viennent me voir, c’est parce qu’elles ont de graves blessures au niveau de l’appareil génital. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Ces actes sont parfois commis avec un sadisme surréaliste, avec des pieux, des tessons de bouteilles, des canons de fusils. Qui commet ces atrocités et pourquoi ? “

Denis Mukwege :
“ Malheureusement au Congo, nous avons dans la partie orientale beaucoup de groupes armés qui viennent du Burundi, du Rwanda, de l’Ouganda. A ces groupes s’associent également des jeunes qu’on appelle des Maï-Maï, qui sont des groupes armés locaux, et qui subissent tous un lavage de cerveau. Ils détruisent les communautés pour les faire partir, occuper leurs terres et les exploiter. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Vous parlez du Kivu, cette région de l’Est de la République Démocratique du Congo où la violence sévit depuis plus de 20 ans. Il y a des bandes armées qui s’affrontent pour contrôler des parcelles, où sont enfouies des richesses naturelles. Est-ce que vous pouvez nous dire quelles sont ces richesses et quel est le lien avec le drame des femmes du Kivu ? “

Denis Mukwege :
“ En fait, cette partie du Congo est très riche en minerais stratégiques, spécialement le coltan ou la cassitérite. Ces minerais sont utilisés dans tous les gadgets électroniques qui sont très demandés.
De ce fait, ces bandes armées, lorsqu’elles occupent le territoire, deviennent propriétaires non seulement du sol mais aussi du sous-sol qu’elles exploitent à leur gré. Cette façon de détruire la femme, de s’attaquer à son appareil génital, et de le faire de façon spectaculaire, en public, c’est une manière de terroriser les communautés. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Et l’autorité de l’Etat ? Il y a quand même l’armée qui est sur place, il y a aussi une force des Nations Unies qui compte plus de 20.000 hommes. cela veut-il dire qu’ils sont complices ? “

Denis Mukwege :
“ Ce que nous pouvons constater, c’est que 12 ans après la signature des accords de paix, le gouvernement n’a jamais eu le contrôle réel de ces territoires. Les groupes armés tuent, violent, détruisent alors que l’armée nationale est supposée protéger la population. Mais cette protection, les femmes et les enfants l’attendent toujours.
Quant à la présence des Nations Unies, j’ai toujours pensé que cela pouvait aider à construire la paix. Mais il sera très difficile de mettre un soldat des Nations Unies derrière chaque femme, ou chaque bébé puisque ces viols concernent même les bébés. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Mais est-ce que les auteurs de ces agressions sont jugés, est-ce qu’ils sont poursuivis, est-ce qu’il y a une justice au Kivu ? “

Denis Mukwege :
“ Malheureusement, je dois dire qu’il y a une impunité totale. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Pour en finir avec cette impunité, certains, ou plutôt certaines puisque ce sont surtout des femmes, appellent à la création d’un Tribunal pénal international pour l’Est du Congo. Soutenez-vous cette demande ? “

Denis Mukwege :
“ Non seulement je la soutiens, mais j’ai même signé une pétition en faveur d’un Tribunal pénal international pour le Congo. On parle de millions de morts, de centaines de milliers de femmes violées…On ne peut pas continuer avec de tels chiffres sans amorcer un processus pour rendre la vérité publique et faire en sorte que la justice soit rendue.
Aujourd’hui le monde doit tracer une ligne rouge pour dire : dans les conflits armés, ne plus jamais utiliser les femmes comme arme de guerre. Et si quelqu’un le fait, qu’il soit mis au ban de l’humanité. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Vous avez vous-même été victime d’une tentative d’assassinat, c‘était il y a deux ans, chez vous. Vous vous êtes alors exilé en Belgique, mais au bout de deux mois, vous avez décidé de rentrer et de rester. Même si vous avez cinq enfants, même si vous continuez a recevoir des menaces. Vous ne concevez pas la vie ailleurs qu’au Kivu ? “

Denis Mukwege :
“ Les femmes congolaises se sont mobilisées. Elles ont commencé par écrire aux autorités, au secrétaire général des Nations Unies, au président de la République, en demandant mon retour. Et en disant que si ils ne peuvent pas assurer ma sécurité, elles le feront elles-mêmes.
Je me suis dit que c‘était peut-être sous le coup de l‘émotion, mais après un mois, quand elles ont vu qu’il n’y avait pas de réaction, ces femmes ont commencé à s’organiser.
Chaque semaine, elles venaient vendre à l’hôpital des produits de leurs récoltes pour payer mon billet de retour. J’ai étais très touché, je me suis dit : quelle force !
Ces femmes vivent avec moins de un dollar par jour mais elles sont capables de se mobiliser pour mon retour. Cela a vraiment pesé dans la balance, car je me suis dit que ma
vie seule ne vaut pas plus que la vie de ces milliers de femmes. Donc j’ai pris la décision de revenir.”

Audrey Tilve, euronews :
“ Mais alors pourquoi ne pas aller au bout de votre engagement et vous consacrer réellement à la politique ? Car tant que ce combat politique ne sera pas gagné, les victimes continueront à affluer dans votre hôpital. “

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Denis Mukwege :
“ C’est malheureusement bien ce que j’ai vu au bloc opératoire. Quand je vois les bébés blessés et dans cet état, effectivement ça me révolte. C’est pourquoi j’ai décidé de dénoncer ce phénomène. Mais entre dénoncer et s’impliquer en politique, il y a beaucoup de chemin à faire… “

Audrey Tilve, euronews :
“ Une toute dernière question. Qu’est-ce qui vous fait garder le sourire ? “

Denis Mukwege :
“ Ce sont les femmes. Je ne sais pas combien de fois, j’ai été désespéré en soignant une patiente. Je me disais : comment elle pourra se remettre debout ?
Mais ces femmes ne se mettent jamais debout pour elles-mêmes, elles se mettent debout pour leurs enfants, pour leurs familles.
Je pense que nous avons beaucoup de leçons à apprendre d’elles. “

Audrey Tilve, euronews :
“ Denis Mukwege, Prix Sakharov 2014, merci d’avoir répondu à nos questions et bonne chance. “

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