Les plaies ouvertes de la République centrafricaine

Les plaies ouvertes de la République centrafricaine
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Par Valérie Gauriat
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Un an après la fin de la troisième guerre civile qui a ravagé la République centrafricaine, un calme précaire règne sur Bangui, la capitale.

Malgré un accord de cessez-le-feu en juillet dernier, et la présence de troupes internationales à travers le pays, les tensions restent vives.

À l’hôpital général de Bangui, les urgentistes de l’ONG Médecins sans Frontières, dont nous avons suivi les équipes, ne relâchent jamais longtemps leur attention.

La République centrafricaine en quelques dates

État d’Afrique centrale, la République centrafricaine compte aujourd’hui quelque 4.7 millions d’habitants. Sa capitale est Bangui. Ancienne colonie française, elle proclame son indépendance en 1960.

Après l’indépendance, le pays est dirigé par différents régimes autoritaires dont celui de Jean-Bedel Bokassa, président (1966-1976), puis empereur autoproclamé (1976-1979) sous le nom de Bokassa 1er de l’Empire centrafricain. Il est destitué en 1979 au cours d’une opération menée par l’ancienne puissance coloniale toujours très active dans le pays.

Les premières élections libres multipartites ont lieu en 1993.

La République centrafricaine replonge dans le chaos en 2013 après le coup d‘État des hommes de la Seleka, coalition rebelle à dominante musulmane. Puis, c’est au tour des milices d’auto-défense à majorité chrétienne, les Anti-balaka, de reprendre le dessus.

Un conflit qu’attise, notamment, la perspective de faire main basse sur les richesses naturelles du pays : diamant, or, pétrole.

Bilan : 5.000 morts et plus de 800.000 déplacés selon le Haut-Commissariat des Nations-Unis pour les réfugiés.

En juillet 2014, les belligérants finissent par signer un accord de cessation des hostilités.

Des élections sont prévues pour 2015.

Marine Monet, médecin urgentiste, MSF : “ certaines fois, on reçoit deux ou trois patients en même temps. Cela reste assez calme ces derniers temps. Mais avec ce genre de patients, et de plaies par arme à feu et par arme blanche, ça arrive tous les jours. “

Les massacres qui ont suivi le coup d‘État de mars 2013 ont laissé des traces.

Les hommes de la Seleka, coalition rebelle à dominante musulmane, menée par Michel Djotodia, s‘étaient livrés à des exactions sans précédent contre la population civile non-musulmane.

Des milices d’auto défense à majorité chrétienne, les Anti-balaka, avaient repris le dessus, s’en prenant à leur tour aux musulmans.

S’ensuivit un nouveau cortège d’horreurs.

Le conflit aura fait quelque 5.000 morts, et déplacé plus de 800.000 personnes, à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Une grande part des communautés musulmanes a été repoussée vers l’Est, la majorité non-musulmane de la population se concentrant à l’Ouest et dans la capitale.

Le camp de M’Poko, proche de l’aéroport de Bangui, comptait plus de 100.000 déplacés au plus fort du conflit.

Beaucoup se sont exilés, rares sont ceux qui ont pu rentrer chez eux.

Membres des communautés non-musulmanes de Bangui, ils ont fui les exactions des ex-Seleka. Le point avec Bertin Botto, le coordinateur du camp de M’Poko : “ il y a des maisons détruites, des maisons incendiées, les gens ont été pillés. Ceux qui se trouvent sur le site de M’Poko, les 20.000 déplacés actuels n’ont pas de toit, ils n’ont pas d’abri. Ils souffrent, ils n’ont rien. C’est ça qui les pousse à ne pas retourner chez eux, ainsi que l’insécurité qui règne en ce moment dans le pays.”

Un sentiment d’insécurité largement partagé par les déplacés comme en témoigne l’un d’entre eux, Frédéric Bopondo : “on ne peut pas sortir à cause de l’insécurité. Dès qu’il y aura la sécurité et le désarmement, je vais rentrer chez moi. “

L’inquiétude est grande dans le camp de M’Poko, que le gouvernement veut déplacer.

Les distributions de nourriture ont cessé, la précarité grandit.

L’hôpital installé par MSF offre un rare soutien aux déplacés, dont la situation sanitaire est alarmante.

Nous nous envolons vers l’Ouest du pays. Une région dont 90 pourcent de la population musulmane a été chassée par les milices Anti-balaka, dans le sillage des massacres perpétrés par les Seleka.

Ceux qui restent se sont réfugiés dans de rares enclaves protégées par la Minusca, la force onusienne en République centrafricaine.

Dans la ville de Carnot, c’est dans cette église que quelque 600 musulmans attendent depuis des mois de pouvoir regagner leurs foyers.

Pas question de s’aventurer trop loin, de peur d‘être agressés.

Le maire de Carnot s’efforce de restaurer le calme dans la ville, en concertation avec les notables de toutes les communautés, et les chefs Anti-balaka.

À quelques dizaines de mètres de l‘église, les maisons des déplacés musulmans ont été occupées ; mesure de précaution contre les pilleurs et les incendiaires nous dit le maire de Carnot, Pierre Dotoua : “ on a tout fait pour conserver ces bâtiments, avec le Conseil des sages et le pasteur. Ces maisons, ce sont des biens, même si les propriétaires ne sont pas là, on doit les garder, toujours, jusqu‘à la réconciliation. “

Une réconciliation d’autant plus attendue que l’activité économique est pratiquement à l’arrêt.

À la clef, une aggravation de la situation sanitaire depuis longtemps désastreuse. Ici comme partout dans le pays, MSF se substitue aux services publics de santé défaillants.

Malaria, infections respiratoires, SIDA, sont le quotidien de l’hôpital de Carnot. Les cas de malnutrition infantile sont de plus en plus fréquents, déplore ce pédiatre.

Justin Oladedji, pédiatre, MSF : “ pendant la période des événements, on recevait moins d’enfants ; parce que les parents étaient en déplacement, d’autres étaient dans la forêt, d’autres cherchaient à se cacher. Les événements ne leur ont pas permis de cultiver, ce qui fait que les enfants n’ont pas à manger. Et depuis qu’il y a eu une accalmie, on commence à recevoir de plus en plus de cas. “

La pauvreté contraste avec les richesses minières de la région, qui dépendait en grande partie de l’industrie du diamant. Soumise à embargo, l’exportation de pierres précieuses centrafricaines se poursuit toutefois, au profit de trafiquants de tous ordres.

La criminalité s’est banalisée.

Sur la route qui se prolonge de l’ouest vers la frontière camerounaise, les convois commerciaux et humanitaires sont régulièrement pillés.

Nous arrivons sans encombres à Berbérati, deuxième ville du pays.

Là aussi, la vie ne cesse de côtoyer la mort, et les besoins en matière de santé sont énormes, insiste Michel Bimako, Médecin-chef de MSF à l’hôpital régional de Berbérati : “ aujourd’hui, ils viennent beaucoup plus à l’hôpital, parce qu’il y a la gratuité. Mais au départ, quand il n’y avait pas cela, ils étaient obligés de suivre des traitements traditionnels à domicile. Vous voyez, avec la gratuité les enfants viennent beaucoup plus à l’hôpital, sinon, ils ne viendraient pas. “

Médecins sans Frontières apporte aussi un soutien aux centres de santé dispersés dans la ville.

Comme ici, dans le quartier de Potopoto. Le nombre de patients a chuté, depuis que sa communauté musulmane en a été chassée, ses maisons et mosquées détruites.

Une réponse aux massacres de civils non-musulmans, perpétrés par les Seleka lors du conflit.

Difficile d’imaginer un retour à la cohabitation, nous dit le responsable du centre de santé de Potopoto, Edouard Guioua : “ maintenant, les gens qui vivent ici sont des gens qui n’avaient pas d’habitation. Comme les gens sont partis, ils sont venus occuper les maisons. Et d’autres en ont profité seulement pour casser. “

Nous rencontrons ceux qui se présentent comme les Anti-balaka du quartier.

Des jeunes désoeuvrés ; beaucoup ont le regard brouillé par l’alcool et la drogue. Les crimes commis, ici, sont impardonnables disent-ils.

Les esprits s‘échauffent vite : ‘je vais les égorger comme ça ! La tête comme ça !’, fanfaronne l’un d’entre eux. ‘Moi, je suis élément incontrôlé ! C’est moi qui ai détruit la maison des musulmans là-bas !’, réplique un autre. ‘Quand tu cherches la mort, on te donne la mort !’, poursuit un autre de ces jeunes hommes. Et un autre de conclure : ‘si je trouve un musulman, je vais le tuer !’

C’est à l‘évêché de Berbérati, que se sont réfugiés les 350 musulmans qui restent dans la ville. Pas question pour eux de s’aventurer à plus de 200 mètres du portail. Les agressions sont fréquentes.

Malgré les menaces dont ils font l’objet, l‘évêque et son équipe sont déterminés à protéger leurs hôtes aussi longtemps qu’il le faudra. Et prônent la réconciliation, contre les amalgames dont sont victimes les civils.

Dennis Kofi Agbenyadzi, évêque de Berbérati : “c’est un conflit politique. Ils ont pris le prétexte des religions pour se couvrir, c’est tout. Sinon les communautés ne s’affrontaient pas. Nous nous efforçons de faire comprendre que tous ont la liberté de circuler. Mais ce message n’est pas encore arrivé dans les oreilles de certains de ceux qui contrôlent la situation. C’est ce qui nous peine. Mais nous ne sommes pas découragés, nous ne sommes pas découragés.”

La peur est omniprésente. Abdou Raman Danzouma est arrivé il y a quelques jours.

Caché dans la brousse pendant des mois, il a été agressé à coups de machette après avoir tenté de revoir son village décimé.

Mais derrière sa détresse, l’espoir survit : “ nous, Centrafricains, chrétiens et musulmans, c’est les mêmes. C’est le diable qui s’est glissé entre nous. On mange ensemble, on dort ensemble. Musulmans et Chrétiens. C’est les politiciens qui font des bêtises. Mais on va se réconcilier.”

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