Quand la télé-réalité tourne au drame

Quand la télé-réalité tourne au drame
Par Euronews
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Les dix personnes, dont trois célèbres sportifs français, décédées en Argentine participaient au tournage d’une émission de téléréalité, Dropped. Un

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Les dix personnes, dont trois célèbres sportifs français, décédées en Argentine participaient au tournage d’une émission de téléréalité, Dropped. Un concept venu de Suède consistant à lâcher en pleine nature deux équipes de sportifs, sans rien d’autre qu’un peu d’eau et une balise GPS.

Endeuillée, la chaine de télévision TF1 qui devait diffuser le show a tout interrompu. Il ne verra jamais le jour.

“Ce sont des circonstances qu’on aimerait jamais vivre et évidemment pour nous c’est terrible parce qu’on a envie d’apporter du bonheur et en l’occurence on vit un drame” a réagi Nonce Paolini, le PDG de la chaîne.

Une série noire pour TF1. En 2013, c’est sur le tournage de Koh Lanta, déclinaison française de “Survivor” également inventée par les suédois, qu’un candidat décède d’un arrêt cardiaque. Quelques jours plus tard, le médecin de l‘émission, mis en cause par les médias, se sentant sali, se donne la mort. Un double drame qui jettera une ombre sur le programme.

Depuis leur invention dans les années 90, les programmes de télé-réalité ont bien changé. Ils font une irruption médiatique remarquée et deviennent incontournables en 1999 avec Big Brother. Ce sont les néerlandais qui lancent ce concept qui fera le tour du monde. Le principe: un groupe de candidats vit ensemble pendant trois mois. Les participants sont coupés du monde mais filmés 24 heures sur 24.

A tous moments, via la diffusion mais aussi internet, les télespectateurs peuvent les voir évoluer dans la maison, et suivre leurs moindres faits et gestes. Un concept éminemment voyeuriste qui pulvérise l’audience. La télé-réalité vient d’entrer dans nos vies.

Depuis, les programmes se multiplient et vont toujours plus loin. Il ne s’agit plus seulement de voir vivre les gens mais surtour de les voir dépasser leurs limites, se mettre en danger, affronter leurs peurs. Fait nouveau depuis quelques années, les people participent. Un plus pour l’audience.

Et pour les participants souvent une opportunité de rester sur le devant de la scène lorsque leur carrière est en berne ou finie, ou de se lancer de nouveaux défis.

Sophie Desjardin, euronews :
Dominique Wolton, bonjour, vous êtes directeur de recherche au CNRS, spécialiste des médias, de la télévision. Et l’on parle aussi de télévision dans ce drame, d’une émission de télé-réalité.
Reste que ce n’est pas la première fois que dans ce type d‘émission, où la prise de risque est la base du concept et pas seulement en France bien sûr, il y a des morts. Qu’est-ce que cela nous apprend sur ce qu’est devenue la télévision aujourd’hui ?

Dominique Wolton, spécialiste médias :
Bon d’abord, c’est une tragédie, c’est clair. Ce qui est nouveau dans notre société si vous voulez, c’est que les gens vivent la violence, et le danger et l’aventure à distance.
C’est-à-dire qu’on est dans une société qui d’une part est complètement obsédée par le principe de précaution. Faut rien faire, tout est contrôlé et devant des écrans de télévision ou devant des jeux vidéos ou devant des ordinateurs, là, on peut faire tout et tous les débordements sont possibles.
On vit par procuration, par une forme de voyeurisme, des jeux de plus en plus dangereux, et tout le monde trouve ça normal. Et comme il y a beaucoup d’argent qui est engagé là-dedans et bien, on va de plus en plus loin dans une espèce de course à l’exploit.
Et pour monter la dramaturgie, maintenant on fait venir des peoples qui du coup ne sont même plus des anonymes, mais des personnalités connues et il y a dans cette relation un peu trouble entre nous et eux, les spectateurs et les producteurs au milieu cette idée, ben tiens jusqu’où il va être courageux, quand est-ce qu’il va lâcher, etc.

Sophie Desjardin, euronews :
Dans les années 80, vous écriviez avec Jean-Louis Missika un livre intitulé “la folle du logis”, sur le pouvoir que prenait la télévision dans nos sociétés, en tant qu’instrument idéal de la démocratie. C‘était avant l’invention de la télé-réalité. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Dominique Wolton, spécialiste médias :
Il n’y a pas que la dérive de la télé-réalité. Il y a qu’on vit dans un espace concurrentiel d’images en ce moment. Alors la télé-réalité s’est calmée dans sa forme la plus vulgaire, mais elle reprend aujourd’hui, c’est vrai dans des formes plus dramaturgiques, plus chères, plus proches de l’aventure, de l’exploit et du risque. Il y a quelque chose qui ne va pas si vous voulez.
Si l’homme a besoin de ça pour éprouver son rapport à la nature ou son rapport à l’effort physique, ça ne va pas. Il n’y a plus de limites entre la vie privée et la vie publique, la vie dangereuse et la vie normale et là, il faut faire attention il y a quand même de la déontologie à introduire.

Sophie Desjardin, euronews :
Les victimes de cet accident étaient des people, mais pas n’importe lesquels. Des champions qui n’avaient plus rien à prouver en théorie. Faut-il aller toujours plus loin dans la fabrication des héros ?

Dominique Wolton, spécialiste médias :
Oui, c’est une très bonne question. Je pense que de valoriser les individus qui, quel que soit le domaine, sont capables de fabriquer un destin, de s’en sortir, d‘être une leçon d‘émancipation pour des millions de gens, ça, je trouve ça formidable. Mais à condition qu’on reste dans des limites qui sont les limites de la vie, d’une vie ordinaire. Que des gens se mettent en danger, que l’on relance le goût de l’aventure pourquoi pas, mais il n’y a pas de limites à la capacité à mettre en scène des individus pour des situations troubles. Je pense qu‘à ce moment-là, c’est ou l’auto-régulation qu’il va falloir instaurer ou de la régulation pour dire “écoutez, on peut faire un certain nombre de choses” à condition de ne pas arriver au risque d’un voyeurisme mortifère.

Sophie Desjardin, euronews :
La médiatisation, c’est l’une des deuxièmes vies des sportifs aujourd’hui, souvent privilégiée. Ont-ils d’autres alternatives ?

Dominique Wolton, spécialiste médias :
Dans notre société, à tort, on ne reconnaît que les gens qui sont connus dans les médias, ou sur internet. Et bien pour rester connu après avoir été une vedette de sport, on rentre dans cette logique-là.
Je comprends que pour continuer à durer, ils essaient de se médiatiser, mais au bout d’un moment la loi d’airain, la loi terrible de la médiatisation ou de la peopolisation va manger et va détruire les valeurs sur lesquelles vous vous êtes fabriqués.
Moi, je ne suis pas du tout hostile à la publicisation, à une forme élémentaire de peopolisation, mais par contre quand c’est le seul système de valeur d’une société, ça ne va plus.

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