Législatives britanniques: le blues des jeunes électeurs

Législatives britanniques: le blues des jeunes électeurs
Par Valérie Gauriat
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Au sommaire de ce numéro de Reporter : ils ont entre 18 et 25 ans, et veulent tordre le cou au système politique actuel. Les jeunes Britanniques

Au sommaire de ce numéro de Reporter : ils ont entre 18 et 25 ans, et veulent tordre le cou au système politique actuel. Les jeunes Britanniques pourraient être nombreux à bouder les urnes, mais ont beaucoup à dire sur le monde qu’ils veulent construire demain.

Misha a 21 ans, elle est étudiante et… travailleuse du sexe : “c’est un job très flexible, compatible avec mon emploi du temps à l’université. Et ça paie aussi beaucoup mieux que si je travaillais chez Mac Do.”

Strip tease, escorting, cyber-sexe, plutôt que des petits boulots précaires aux horaires contraignants, un choix totalement assumé pour cette étudiante en sciences sociales. À l’instar d’un étudiant britannique sur 20, selon une étude récente. Pour beaucoup, c’est le moyen le plus simple de faire face aux frais élevés qu’ils doivent assumer, souligne Misha :

“Je viens d’un milieu ouvrier, ma famille ne peut pas trop m’aider financièrement. C’est dur de vivre à Londres avec des loyers aussi élevés. Comme étudiante, j’ai un prêt de 9 mille livres par an pour vivre à Londres. Ce n’est vraiment pas assez ! Alors, l’argent que je gagne comme travailleuse du sexe m’aide vraiment beaucoup.”

En une semaine, la jeune femme peut gagner de quoi couvrir son loyer et ses frais quotidiens. Au Royaume-Uni, l’endettement d’un étudiant qui quitte l’université s‘élève en moyenne à 60 mille euros. Et Misha n‘échappe pas à la règle :

“J’aimerais pouvoir rembourser mon prêt aussi vite que possible. Alors je vais sûrement continuer ce travail, même après avoir fini mes études.”

Nous croiserons la jeune femme parmi ces manifestants venus soutenir le mouvement d’occupation lancé quelques semaines auparavant dans plusieurs universités britanniques. Ils militent contre ce qu’ils appellent la ‘dérive mercantile du système universitaire’ et réclament avant tout la suppression de frais d’inscription prohibitifs. Un thème central dans la campagne électorale.

Benjamin Tippett est l’un de ceux qui ont décidé d’occuper l’une des plus prestigieuses institutions britanniques, la London School of Economics (LSE). Parmi leurs revendications : l’université libre et gratuite, la fin des contrats précaires pour les employés, ou des financements d’entreprises pollueuses ou impliquées dans l’industrie militaire :

“La London School of Economics incarne aujourd’hui l’archétype de l’institution néo-libérale”, dénonce Benjamin, étudiant en Master à la LSE.
“Les frais d’inscription ont triplé. Des coupes budgétaires énormes ont eu lieu. Les universités se financent aujourd’hui sur les marchés de capitaux, et utilisent l’argent pour s’offrir des bâtiments flambant neufs. Les étudiants sont devenus des marchandises pour le seul profit des universités. Nous, on essaie de briser cette logique. De faire en sorte que les étudiants ramènent la politique dans le système éducatif, et de remettre les étudiants en prise avec la politique.”

Depuis quelques années, le désamour entre les jeunes britanniques et leur classe politique est consommé. Du cœur de la City aux quartiers plus bohèmes de la capitale, tous ceux que nous croisons partagent le sentiment d’avoir été délaissés :

- “En tant que jeune, la seule chose à laquelle je m’intéresse, ce sont les aides que je peux obtenir pour acheter mon logement. C’est à peu près la seule chose qu’ils semblent proposer aux jeunes. Les politiques sont des gens beaucoup plus vieux que moi, ils ne ciblent pas vraiment les jeunes.”

- “Il n’y a personne qui m’inspire ! Personne ne se préoccupe vraiment des artistes ou des jeunes. C’est juste une bande de vieux qui ne pensent qu‘à se remplir les poches, c’est tout ce qui compte pour eux. Tout ça ne m’intéresse absolument pas !”

- “Pour moi, la question n’est pas de savoir si les politiques s’intéressent à moi et à ma génération… C’est juste que je ne les crois pas ! Peu importe ce qu’ils disent et pour qui ils le disent.”

Plus élevé en moyenne que dans le reste de l’Europe, le taux d’abstention des jeunes britanniques semble pourtant ne pas faire l’unanimité dans la rue :

- “Je ne suis toujours pas sûr de savoir pour qui je vais voter, mais oui, c’est important. Pourquoi ? Parce que ça va déterminer la politique des 4 ans à venir, ça concerne les revenus de tout le monde, l‘économie du Royaume-Uni, le niveau de vie des gens. Alors oui, bien sûr, c’est important.”

- “Ils disent tous à peu près la même chose. Mais si on ne vote pas, alors on ne pourra pas ensuite se plaindre si quelqu’un que vous n’aimez pas prend le pouvoir.”

- “Oui, en fait, il s’agit plus de voter pour éviter que certaines personnes soient élues, plutôt que pour quelqu’un. Moi, c’est pour ça que je vote. Pas parce que je soutiens ceux pour qui je vote, mais parce que je n’ai aucune confiance dans les candidats contre lesquels je vote.”

Depuis 5 ans, l’association ‘“Bite The Ballot”:http://bitetheballot.co.uk’ multiplie les opérations d’information et de sensibilisation dans les écoles, les universités, les centres de jeunesse, pour inciter la génération des moins de 25 ans à se rendre aux urnes.

Ils représentent plus de 10 pourcent de l‘électorat, et pourraient faire basculer l’issue du scrutin, selon Sara Ghaffari de ‘Bite The Ballot’ :

“ Seul un quart des jeunes britanniques en âge de voter se sont rendus aux urnes lors des précédentes élections générales. Depuis 5 ans, beaucoup de politiques en faveur des générations plus âgées ont vu le jour, mais tout ce qui aurait pu profiter aux jeunes a été mis de côté, ou abandonné. Nous, on encourage les jeunes à aller voter dans l’espoir que la classe politique comprenne que le vote des jeunes vaut la peine d‘être remporté. Ces jeunes sont actifs, intéressants, et ils sont très en demande !”

Ce jour-là, l‘équipe avait organisé une rencontre dans un café du centre-ville. Une quarantaine de jeunes y étaient conviés à une opération de sensibilisation à la politique.

Endettement, précarité de l’emploi, chômage, logement, environnement, discrimination, les thèmes de discussion ne manquaient pas.

Si cette génération se sent déconnectée de la classe politique, elle pourrait être tentée par un bulletin nul, comptabilisé au Royaume-Uni.

Protester, c’est aussi exister pour Massai Lawrence, l’un des organisateurs de la soirée :

“Je crois que l’un des arguments majeurs pour inciter les jeunes à aller voter, c’est le vote nul. Moi, je trouve qu’on est une génération de ‘trolls’. Tout le monde déteste et aime les trolls en même temps… Ce n’est pas que ce soit fun de voter nul, mais au moins, ça pousse à aller voter. À participer, plutôt que de rester à l‘écart. Et puis, c’est une forme de défiance. Les jeunes aiment bien ça, ils aiment avoir le dernier mot. Et c’est là que le vote nul a de l’intérêt, parce que c’est une façon de dire “je ne me sens pas représenté”. Et c’est ce que je pense. Tout le monde me dit d’aller voter ; partout, je vois des pubs pour aller voter, mais je ne me sens vraiment pas représenté. Alors, je vais voter nul !”

Si beaucoup sont insatisfaits de la classe politique actuelle, tous ceux que nous avons rencontrés récusent, en tout cas, l’apathie dont ils sont souvent taxés.

Et partagent la soif de changement qui anime Jonathan Mitchell.

Après avoir multiplié les petits boulots, sans pouvoir trouver d’emploi adapté à son diplôme, le jeune homme a crée une marque de distributionen ligne de vêtements pour homme.

Particularité : ils sont faits de manière éthique, et respectueuse de l’environnement.

Jonathan Mitchell, le fondateur de ‘“Brothers We Stand”:http://www.brotherswestand.com’ :
“Ces vêtements sont faits avec des bouteilles en plastique. Vous prenez une bouteille en plastique et vous la faites fondre pour obtenir des paillettes. C’est exactement le genre de produit qu’on cherche. C’est un produit génial fabriqué dans les règles de l‘économie durable. C’est ça l’avenir des entreprises !”

Parti de rien, Jonathan vit chez ses parents, chez qui il stocke les collections qu’il reçoit de designers.

Les débuts n’ont pas été faciles, mais avec l’aide d’une fondation, et beaucoup d’enthousiasme, sa startup a pu prendre son envol. C’est dans cet espace de co-working qu’il développe ses idées. Quant à la politique, il ira voter dit-il, mais à 25 ans, Jonathan croit avant tout à la créativité de sa génération, par qui un autre monde serait possible :

“Brothers We Stand, c’est ma manière d’avoir un impact sur le monde. Ce n’est pas directement lié à la politique, mais c’est ma façon d’utiliser mes compétences. C’est bien de s’impliquer en politique et d’avoir son mot à dire, mais on peut aussi agir autrement. On n’est pas obligé d’attendre que les politiques fassent les choses qu’on veut voir se réaliser. Chacun, à son niveau, peut changer le monde, il faut juste foncer. On peut faire bouger les choses.”

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