Les contrats "zéro heure" ou le salarié à la demande

Les contrats "zéro heure" ou le salarié à la demande
Par Hans von der Brelie
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Il a honte. Il est en colère. Mais il a peur. Voilà pourquoi William ne nous montrera pas son visage.

William travaille dans une usine de biscuits, à Liverpool. Intérimaire, il a signé un contrat “zéro heure” qui ne lui garantit rien : ni temps de travail hebdomadaire, ni salaire minimal.

Il ne sait jamais s’il travaillera une heure, deux heures ou trente heures dans la semaine. Et comme il a signé un clause d’exclusivité qui lui interdit d‘être employé ailleurs qu‘à l’usine, il passe son temps à attendre.

Chaque matin, William espère recevoir un SMS de son agence d’intérim.
Un SMS pour le convoquer au travail, parfois dans l’heure qui suit. Et s’il est malade, alors tant pis pour lui.

“Un arrêt maladie !? Non. Si tu es malade, tu n’es pas payé”, grimace le jeune homme. “Si tu es au travail, tu es payé. Si tu n’es pas au travail, tu n’es pas payé. C’est aussi simple que ça.”

“Quand ma fille est née, j’ai demandé le congé paternité auquel j’ai droit. Je suis allé à mon agence d’intérim, j’ai rempli tous les papiers et j’ai pris deux semaines de congés.”

“Mais quand je suis allé à la banque, j’ai découvert que je n’avais reçu aucun salaire pour ces deux semaines. J’ai alors dit à mon agence que ce n‘était pas normal. Ils m’ont dit que je n’avais droit à rien parce que je n‘étais pas chez eux depuis au moins 6 mois… alors que ça faisait plus de 6 mois que j’y étais !”

Avoir des employés disponibles 24 heures sur 24 sans payer les charges habituelles : le rêve pour beaucoup de patrons.

Dans cette chaîne de magasins de sport, près de 90% des salariés ont signé un contrat “zéro heure”. Ils travaillent autant sinon plus que les salariés en contrat indéterminé. Mais ils gagnent moins. Et ils n’ont aucun droit.

“Je travaille avec des gens qui gagnent beaucoup plus que moi alors qu’ils font exactement le même travail”, soupire William. “Alors parfois les employés temporaires en rajoutent et bossent encore plus pour se faire remarquer et tenter d’obtenir un contrat à plein-temps. C’est frustrant. Je ne sais jamais si on me donnera suffisamment d’heures chaque semaine pour payer mon loyer, les factures, les courses. C’est dur à vivre. C’est même pas de la survie, c’est la galère.”

Au Royaume-Uni, le chômage a baissé de 2 points en 3 ans. En partie grâce ou à cause de 700 000 contrats “zéro heure”. Certains précaires ne gagnent qu’une poignée de livres sterling par semaine mais… ils sont sortis des statistiques du chômage.

Entre l’employé et le patron : les agences d’intérim. Elles ne se sont jamais aussi bien porté au Royaume-Uni. Et elles profiteraient du système pour gagner de l’argent sur le dos des travailleurs, analyse Adrian Gregory, gérant de l’agence “Extraman” à Londres.

“Il faut réformer ce système parce que l’exploitation et la corruption qui règne dans les agences d’intérim est aujourd’hui endémique”, dit-il. “Des centaines de milliers de travailleurs temporaires perdent leurs droits.”

“Il y a clairement un usage abusif de ces contrats “zéro heure”. Avec ce système, l’employé a droit à une réduction d’impôts pour ses frais de transport et de repas. Mais on observe que ce sont en réalité les agences qui perçoivent ces réductions d’impôts, en partie et parfois même en totalité. C’est ainsi que le trésor public laisse s‘échapper chaque année près d’un milliard 400 millions euros.”

Pour l’opposition travailliste, les contrats “zéro heure”, c’est de l’exploitation.
Pour les conservateurs au pouvoir, c’est de la flexibilité.

Une flexibilité qui peut profiter à certains, comme Nicola. Cet Italien a fui le chômage de masse de son pays et n’a eu aucun mal à trouver un emploi de barman à Londres.

“La situation du marché du travail ici à Londres est complètement différente de celle de l’Italie”, note Nicola. “Ici, si tu veux changer de boulot, tu en retrouves un autre en moins d’une semaine.”

Facile de trouver un boulot, mais facile de le perdre. Avec son contrat “zéro heure”, signé il y a deux ans, Nicola n’a tout simplement aucun droit.

“J’ai de la chance parce que je travaille 40 heures par semaine. Mais mon contrat “zéro heure” ne me donne pas droit aux arrêts maladie ni au congés payés. Si je veux prendre deux semaines de vacances, je perds deux semaines de travail et je ne gagne rien du tout.”

Pour les syndicats britanniques, cette banalisation de l’emploi précaire est un retour à l‘ère victorienne. Les travailleurs abandonnent leurs droits pour survivre au quotidien. Les patrons tout-puissants s’affranchissent de toute règle.

“Il y a au moins 700 000 personnes qui travaillent avec un contrat “zéro heure”, explique la syndicaliste Nicola Smith. “On a assisté à une augmentation rapide du nombre de ces contrats ces dernières années. Et c’est très inquiétant de voir qu’une large majorité des emplois ainsi créés sont non seulement très mal rémunérés mais de plus en plus précaires.”

Ce phénomène ne touche pas que les entreprises privées. Des employés municipaux, des médecins hospitaliers, des sages-femmes et même des cardiologues sont concernés. Le secteur public, lui aussi, embauche des travailleurs sans la moindre garantie horaire.

Dans l’enseignement, un salarié sur quatre a signé un contrat “zéro heure”.
C’est le cas de Cecily Blither qui est professeur de collège dans le Devon.

“De juillet à septembre j’ai eu à peine de quoi vivre”, dit-elle. “Ces deux dernières années j’ai du m’endetter et demander de l’aide à ma mère. Il y a des professeurs qui font des ménages, d’autres qui travaillent au supermarché, juste pour avoir de quoi tenir jusqu‘à la rentrée de septembre.”

Au beau milieu de la Manche, près des côtes françaises, voici Jersey.
Ici, pas d’usines, mais des banques. Cette petite île est un paradis fiscal qui lui aussi, bénéficie des contrats précaires. Car il n’y a pas de petit profit.

“Le code du travail dit que tout employé doit avoir un contrat en adéquation avec ses conditions de travail après avoir passé un mois dans l’entreprise. Mais ce n’est pas mis en application”, tempête Geoff Southern, membre d’un collectif opposé aux contrats “zéro heure”.

“Les patrons font appel aux agences d’intérim pour contourner le code du travail. Dans les banques ici, il y a ainsi des experts-comptables et des managers, parfaitement qualifiés, qui travaillent à plein-temps avec des contrats “zéro heure”. Ils ne cotisent pas pour leurs retraites, contrairement à leurs collègues assis aux bureaux d‘à côté.”

Quand on installe son entreprise sur l‘île de Jersey, on paye beaucoup de moins d’impôts que sur le continent. Mais pour certains patrons, c’est insuffisant.

Casser le code du travail. Embaucher et virer comme on le souhaite.
Voilà le rêve de Gino Risoli, un cafetier qui parle de liberté d’entreprendre quand d’autres parlent d’asservissement.

“Les contrats “zéro heure” ont été créés pour que les employeurs puissent contrer les effets du code du travail sur une courte période. Pour qu’ils puissent par exemple virer un employé s’il ne s’adapte pas.

“Par pitié, ne me demandez pas de prime de licenciement, de congés maternité, paternité… Moi je suis une entreprise !”

Le marché sait se réguler tout seul, voilà le credo des ultra-libéraux.
Et tans pis pour les pauvres.

Pour d’autres, comme Adrian Gregory, il est grand temps que l‘État reprennent le contrôle d’un système qui génère inégalités et corruption.

“Il faut qu’une commission gouvernementale encadre strictement les agences d’intérim. Une commission avec des moyens, des médiateurs, du pouvoir, qui mettrait fin à l’exploitation des travailleurs et qui permettrait de remettre de l’argent dans les caisses de l‘État.

“Si je vivais de l’exploitation de travailleurs sous-payés, ça m’empêcherait de dormir la nuit et je ferai autre chose.”

Le reprise est bien réelle. Mais elle s’est bâtie au prix d’une prolifération d’emplois précaires permettant à peine de survivre. Et le problème dépasse la nature des contrats. Depuis la crise de 2009, les salaires ont baissé de 10% au Royaume-Uni.

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POUR ALLER PLUS LOIN :

Nicola Smith : ‘‘Les emplois créés sont pour la plupart mal payés et précaires’‘

Euronews a rencontré la syndicaliste Nicola Smith à Londres. L’interview dans son intégralité est à retrouver ici (en anglais).

Adrian Gregory : ‘‘Une nouvelle ruse est inventée chaque mois’‘

Adrian Gregory est le paton de l’agence d’intérim “Extraman” à Londres. Il dénonce les méthodes de ses confrères, qui arnaquent les emplyés précaires en détournant des déductions fiscales à leur profit. Son interview intégrale est disponible ici (en anglais).

Geoff Southern: ‘‘Les agences d’intérim ont l’habitude de contourner la loi’‘

Euronews a rencontré Geoff Southern, politicien de gauche opposé aux contrats “zéro heure”. Regardez l’interview intégrale ici (en anglais).

Gino Risoli : ‘‘Jetons le code du travail à la poubelle !’‘

Pour écouter l’interview intégrale de l’entrepreneur Gino Risoli, cliquez ici (en anglais).

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