La frêle Lituanie face au géant russe Gazprom

La frêle Lituanie face au géant russe Gazprom
Par Hans von der Brelie
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La société russe Gazprom a-t-elle enfreint la législation européenne en surfacturant ses livraisons de gaz naturel à la Lituanie ? La Commission

La société russe Gazprom a-t-elle enfreint la législation européenne en surfacturant ses livraisons de gaz naturel à la Lituanie ? La Commission européenne a lancé une enquête anti-trust. Alors, comment les États baltes peuvent-ils assurer leur indépendance énergétique ? La réponse dans ce numéro de Reporter.

Comme tous les matins, ces hommes s’apprêtent à embarquer à bord du Victoria amarré dans le port lituanien de Klaipeda situé dans le Nord-Ouest du pays. Après une courte traversée, ils rejoignent le gigantesque terminal flottant de gaz naturel liquéfié ou terminal LNG (Liquified Natural Gas) baptisé Indépendance. Tout un symbole. Depuis quelques mois, le méthanier stocke le gaz naturel importé de Norvège par la Lituanie et destiné à alimenter le réseau de pipelines de la région de la Baltique.

La mission de Romas et de son équipe : assurer la protection du nouveau terminal afin de garantir l’autonomie énergétique de la Lituanie. Jusque-là, le pays dépendait exclusivement du russe Gazprom pour ses approvisionnements en gaz naturel. Désormais, la donne a changé. Et Vilnius peut enfin choisir ses fournisseurs.

Tadas Matulionis, directeur du terminal LNG de Klaipeda :

“Avec ce navire et ce terminal, pour la première dans l’histoire lituanienne, nous ne dépendons plus d’un seul et unique fournisseur de gaz naturel – Gazprom. On peut s’approvisionner auprès de n’importe qui à travers le monde. Et aujourd’hui, nous avons du gaz naturel qui transite de Lituanie vers l’Estonie en passant par la Lettonie. Une situation inimaginable, il y a encore un an.”

En avril dernier, la Commission européenne a ouvert une enquête pour abus de position dominante à l’encontre de Gazprom. Le géant russe est soupçonné de pratiques anticoncurrentielles dans 8 pays de l’Union européenne (Bulgarie, République Tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Slovaquie). Gazprom aurait notamment surfacturé de 40 % certaines de ses livraisons de gaz. Faux rétorque Moscou !

Alors, pour aider les pays de la Baltique à rompre le monopole de Gazprom, l’Union européenne encourage la coopération régionale. Un nouveau réseau de gazoducs est programmé entre l’Estonie et la Finlande et entre la Pologne et la Lituanie. Un renforcement des capacités des réseaux existants est également prévu de la Lettonie vers la Lituanie, ainsi que vers Klaipeda et le terminal Indépendance.

Ce pipeline devrait être achevé d’ici à la fin de l’année. Il acheminera alors le gaz importé de Norvège. Le coût du dernier tronçon de 110 km qui doit assurer la jonction avec le terminal de Klaipeda s‘élève à 64 millions d’euros. L’Union européenne en finance la moitié, car elle y voit un “projet d’intérêt commun” qui cadre parfaitement avec la refonte de sa politique énergétique. L’Union européenne entend en effet achever la libéralisation de son marché de l‘énergie et procéder au “dégroupage” des activités de production et de transport. En clair, une même société ne devrait pas pouvoir être propriétaire à la fois du gaz et des réseaux de distribution. Une règle qui n’est pas du goût de Gazprom. Qu’importe, sur le chantier, on se félicite de l’avancée des travaux, à l’image de Darius Dudutis :

“Nous sommes en train de construire un gazoduc encore plus grand de Klaipeda à Kursenai. Cette nouvelle infrastructure est suffisamment importante pour transporter le gaz naturel livré à la Lituanie via le nouveau terminal LNG. La capacité du pipeline existant – plus petit – était insuffisante. L’ancien pipeline était vraiment trop petit.”

Gazprom a jusqu‘à l‘été pour répondre aux griefs de la Commission européenne qui portent notamment sur sa grille tarifaire. Vu le montant de l’amende encourue – quelque 10 milliards d’euros – le géant énergétique russe envisagerait – dit-on – de trouver un accord à l’amiable avec les autorités européennes de la concurrence. Notre demande d’interview en tout cas est restée lettre morte.

De son côté, Vilnius, se réjouit de disposer d’une alternative au gaz russe.

Andrius Dagys, directeur technique, Amber Grid :

“Ce pipeline est très important, car il permet de fournir plus de 80 % de la demande en gaz des 3 États baltes.”

Pour la Lituanie, l’action intentée par la Commission européenne est une excellente chose qui devrait mettre un terme “au chantage politique et économique encouragé par le Kremlin”. Vent debout, la Russie juge cette procédure “inacceptable”.

Voici ce qu’en pense Rokas Masiulis, le ministre de l‘énergie lituanien :

“La Lituanie a décidé de disposer d’une deuxième source d’approvisionnement pour l‘électricité et pour le gaz afin de ne plus dépendre à 100 % des Russes. Et c’est là, que la punition est tombée. Nos factures de gaz ont augmenté de 20 % par rapport à celles de nos voisins. Cette nouvelle tarification était clairement politique et nous avons dû nous défendre et contre-attaquer. Des milliards d’euros sont en jeu ici. En Europe, nous devons montrer que nous avons des règles et qu’elles sont faites pour être respectées non seulement par les Européens, mais également par les pays tiers, y compris Gazprom donc.”

Autre sujet de discorde : la marine russe perturberait délibérément la pose d’un cable électrique sous-marin en mer Baltique. Sommé de s’expliquer, l’ambassadeur de Russie en Lituanie évoque de simples manœuvres militaires.

À terre, on s’active pour terminer d’ici au mois de décembre le raccordement de cette interconnexion électrique d’une capacité de 700 mégawatts entre la Suède et la Lituanie. Un second câble de 500 mégawatts doit relier la Lituanie et la Pologne.

Objectif pour Vilnius : connecter ses installations électriques au Réseau continental européen afin de s’arrimer définitivement à l’Europe de l’Ouest au grand dam de la Russie.

Le point avec Daivis Virbickas, le PDG de Litgrid, la compagnie d‘électricité lituanienne :

“La stratégie à long terme des États baltes et donc de la Lituanie est de se synchroniser avec l’Europe continentale. Actuellement, nous sommes synchronisés sur le système électrique de l’ex-Union soviétique. Un réseau qui a été conçu il y a 50, 60 voire 70 ans. Notre tâche est de créer une interconnexion avec nous voisins de l’Union européenne sur le plan économique, mais aussi technique.”

La sécurité énergétique de la Lituanie et plus largement de l’ensemble des États membres passe aussi par une réduction de la consommation.

Plusieurs programmes de rénovation de l’habitat ont ainsi été lancés à travers toute l’Union, largement financés par la Banque européenne d’investissement, comme ici dans la capitale lituanienne où les immeubles hérités de l‘ère soviétique retrouvent une seconde jeunesse.

Gediminas Purvelis de l’association des résidents du quartier :

“Avant les travaux, le système de chauffage collectif était complètement défaillant. Dans les appartements situés en angle, il faisait un froid de canard alors que dans ceux situés au centre du bâtiment, il faisait si chaud qu’il fallait ouvrir les fenêtres en plein hiver. Maintenant, chacun peut régler les radiateurs à sa convenance. Et puis l’autre argument, c’est l’argent. Le gouvernement subventionne 40 % des coûts de rénovation, et même jusqu‘à 100 % pour les personnes qui reçoivent des aides sociales. Oui, jusqu‘à 100 %.”

Un millier de projets de réhabilitation similaires sont prévus cette année en Lituanie. Les travaux réalisés dans l’appartement de Ruta, par exemple, ont coûté 9 mille euros, mais au final, elle n’aura déboursé que 5 mille euros grâce aux aides du gouvernement lituanien et de l’Union européenne. Une aubaine pour la jeune femme :

“L’hiver, on payait en moyenne autour de 90 euros par mois, une sacrée somme pour nous. Avec les travaux, j’espère économiser 30 % sur ma facture de chauffage. Après la réhabilitation totale, notre cadre de vie sera beaucoup plus agréable, et plus, sain pour les enfants, nos factures de chauffage vont baisser et notre appartement sera mieux chauffé et aura une meilleure efficacité énergétique.”

Mais que se passerait-il si la Russie décidait d’arrêter d’approvisionner les États baltes en gaz et en électricité ? La réponse est désormais simple et beaucoup moins angoissante que par le passé : il leur suffirait de se tourner vers d’autres fournisseurs.
En diversifiant leurs sources d‘énergie, la Lituanie et ses voisins limitent ainsi le risque de voir brusquement la lumière s‘éteindre.

‘‘Gazprom doit respecter les règles de concurrence de l’UE’‘

Pour visionner l’interview de Marius Juonys, spécialiste des règles de concurrence de l’UE, utilisez ce lien. Basé à Vilnius, il travaille pour Lawin, un cabinet d’avocats d’affaires qui intervient dans les trois États baltes. L’interview est en anglais.

‘‘Les Russes ont essayé de nous punir’‘

Le ministre lituanien de l‘énergie, Rokas Masiulis, nous explique (en anglais) la raison pour laquelle son pays a investi massivement dans de nouvelles infrastructures énergétiques. euronews l’a rencontré à Vilnius, où il nous a parlé de l’enquête ouverte à l’encontre de Gazprom pour abus de position dominante. Il a également évoqué avec nous le nouveau terminal méthanier de Kleipena et le gazoduc qui doit relier la Lituanie à la Pologne.

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