Mahamat Hassan Abakar: Les nouvelles autorités tchadiennes n'ont pas changé de méthodes

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Par Euronews
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Interview: Mahamat Hassan Abakar.

“Les nouvelles autorités tchadiennes n’ont pas changé de méthodes.”

Mahamat Hassan Abakar est un avocat tchadien réputé, qui fut responsable de la Commission d’enquète sur les crimes du régime d’Hissène Habré, nommée après la chute de l’ancien dictateur tchadien en 1990, par le gouvernement d’Idriss Déby.
Au micro de Valérie Gauriat, il souligne l’importance du procès qui s’ouvre à Dakar au Sénégal ce mois-ci pour juger Hissène Habré, tout en déplorant les manquements du gouvernment tchadien actuel en matière de respect des droits de l’homme.

Mahamat Hassan Abakar:

“J’ai été nommé president de la commission d’enquète sur les crimes et détournements du Président Hissène Habré. C‘était juste après la fuite du Président Hissène Habré, et l’installation de nouvelles autorités. Il m’a été confiée la mission d’enquèter sur les crimes commis par le régime de Hissène Habré durant les 8 ans de son règne.
C’est ce rapport qui est aujourd’hui à la base des poursuites contre Hissène Habré.

“Les responsables africains ne tirent jamais les leçons de l’histoire”

L’enjeu est quand même important parce que vous voyez, même aujourd’hui ça n’a pas beaucoup changé malgré le rapport que nous avons produit. Les nouvelles autorités tchadiennes n’ont pas changé de méthodes. Ils continuent à tuer aussi. C’est cela le grand malheur des tchadiens et des africains.

Les responsables africains ne tirent jamais les leçons. Sinon, moi lorsque j’ai produit le rapport, nous avons fait plusieurs recommandations: “jugez ces gens qui ont fait tant de mal, instaurez une réelle démocratie, une alternative démocratique pour que les gens puissent choisir ce qu’il veulent”.. Mais aucune de ces recommandations, il y a 12 recommandations dans notre rapport, aucune n’a été suivie d’effets.”

“Tous ces dictateurs, s’ils n’avaient pas l’appui de l’Occident ils ne pourraient pas aller aussi loin”

“Tous ces dictateurs, s’ils n’avaient pas l’appui de l’Occident ils ne pourraient pas aller aussi loin. Habré, à l‘époque a été adopté par l’Amérique de Reagan. Il le voyait comme le grand défenseur de l’Afrique noire contre l’expansion Khaddafiste. En ce qui concerne la vie des citoyens à l’intérieur ils ont fermé les yeux. L’USAID, une agence américaine, faisait face à l’horrible centre de détention de Habré.
Ils voyaient tous les jours je crois, le pick up qui sort des morts pour aller les enterrer à quelques kilomètres de N’DJamena ici. Ils n’ignoraient pas cela. Mais vous savez l’Occident, lorsqu’elle a un intérêt quelque part, ferme les yeux sur les droits de l’homme qui sont devenus seulement un instrument pour se positionner ou encourager l’un ou l’autre.”

VG: Vous dites le Tchad n’ pas tiré les leçons de l’histoire et que le régime actuel continue à tuer ?

MHA: Oui, le régime actuel continue à tuer. Il y a plusieurs chefs de partis politiques, plusieurs opposants qui ont été assassinés. Il n’y a jamais eu une enquète pour déterminer et conduire à un procès ou à un jugement.
Et puis il y a des centres de détention dans lesquels la justice n’a pas droit de regard. On arrête les personnes sans mandat, sans mandat judiciaire. Ils peuvent rester un an, 6 ans, parfois ils peuvent disparaitre. Et ces centres existent aujourd’hui! A l‘époque la police politique de Habré s’appellait DDS; mais aujourd’hui il y en a une autre qui fait à peu près le même travail, c’est l’ANS.

VG: Avec la torture ?

MHA: “Oui! Bon… Ils ne respectent pas les règles de procédure. Un juge n’a pas de droit de regard. C’est une zone de non droit. C’est pourquoi je dis, c’est vrai, les hommes ont changé, Habré est parti, Idriss Déby est venu. Mais les méthodes de répression, les assassinats, n’ont pas disparu.
Aujourd’hui s’il avait les moyens d’arrêter ce procès, je crois que le président actuel l’arrêterait.
Il ne peut pas. S’il avait les moyens d’arrêter ce procès de Dakar il le ferait. Au début quand ils étaient rentrés de la rébellion, sur le champ ils ont accepté de créer cette commission. Mais quand on crée une commission pour voir ce qu’a fait le régime précédent, c’est pour tirer les leçons et les conclusions, pour ne pas retomber dans les mêmes bêtises et les mêmes horreurs! Or ce pouvoir qui a remplacé Habré n’a rien changé de toutes les méthodes horribles de Habré.
Il a peur du procès Habré. Surtout que lui aussi n’a pas changé de méthodes. S’il était conséquent avec lui même, et qu’il avait changé de méthodes, ce serait une démocratie réelle. S’il avait respecté les droits humains, il pourrait avoir la tête haute et ne pas avoir peur d’un quelconque procès.

Le plus important dans ce procès là c’est de combattre l’impunité. On ne peut pas tuer, massacre, piller ses propres citoyens et aller se réfugier dans un pays qui ne respecte pas les droits humains non plus, et puis y passer le reste de sa vie. Si vous commettez des crimes, contre vos populations, contre vos concitoyens, vous devrez payer un jour. Cela c’est la leçon la plus importante. Quel que soit l’individu. Qu’il soit ministre, Président de la République, il n’est pas au dessus de la loi. Et tôt ou tard, s’il commet des crimes, il doit en répondre.

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