Pourquoi la Pologne a-t-elle peur d'accueillir des réfugiés ?

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Par Euronews
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Musulmans dans un pays profondèment catholique, les Tatars sont présents depuis plusieurs siècles en Pologne. Nous nous rendons dans le nord-est du pays dans une mosquée qui est un symbole pour cette communauté de quelque six mille membres à l‘échelle nationale qui vivent parfaitement intégrés. “Nous habitons ici depuis plus de 600 ans – et exactement 300 ans sur cette terre à Kruszyniany -, explique l’imam local Janusz Aleksandrowicz, mon sang est mêlé au sang polonais parce que les premiers colons tatars étaient des soldats, des jeunes gens qui fondaient des familles avec de jeunes Polonaises. Nous les Tatars, indique-t-il, nous partons d’une situation particulière.”

Aujourd’hui, avec la crise des réfugiés en Europe et les craintes que l’arrivée de migrants notamment musulmans suscite chez certains, au sein de la communauté tatare, on dit redouter les amalgames. Dżenneta Bogdanowicz dirige un restaurant qui sert de la cuisine traditionnelle tatare. Habituellement prête à discuter, elle est réticente à nous parler. Sa famille et elle ont récemment reçu des menaces. “Les Tatars se sont vite intégrés à la population d’ici, ils se sont adaptés aux conditions de vie, mais aussi à la religion prédominante, dit-elle. Nous sommes musulmans, nous allions à la mosquée, nous y allons toujours, cela n’a jamais dérangé personne parce que c’est notre affaire et nous n’avons jamais mis cela en avant,” assure-t-elle.

Des communautés bien intégrés, une certaine idée de la “solidarité”

En Pologne, comme ailleurs dans l’Union européenne, la question des réfugiés a enflammé bien des esprits. Ici aussi, des manifestations ont eu lieu en faveur ou contre leur accueil et d’après de récents sondages, deux tiers des Polonais s’opposent à l’arrivée aussi bien de migrants que de réfugiés. Une opinion qui prédomine aussi dans des pays comme la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie. Mais pourquoi de telles réticences en Pologne, l’une des économies les plus stables de l’Union et le berceau de Solidarnosc – “solidarité” en polonais – ?

Konstanty Gebert a rejoint ce syndicat en 1980. Il est aujourd’hui, journaliste et membre actif de la petite communauté juive de Pologne. Il critique le manque de “solidarnosc” de la Pologne à l‘égard des réfugiés, mais rappelle aussi les sentiments mitigés qu’inspire l’Europe. “Dans tous nos pays d’Europe centrale et orientale, souligne-t-il, on estime – assez légitimement d’ailleurs – qu’on a été trahi à la fin de la guerre, qu’on a souffert pour assurer la paix et la tranquilité pour les autres et qu’ils doivent nous en être redevables. C‘était vrai au milieu des années 80, mais ce n’est certainement plus le cas aujourd’hui, affirme-t-il. Les autres nous ont beaucoup aidés et aujourd’hui, on a une dette envers eux et nous remboursons cette dette en aidant d’autres populations ; mais cette vision n’est pas encore installée dans l’esprit des gens, dit le journaliste. Le citoyen lambda en Pologne ou en Hongrie ne se considère pas comme un Européen riche qui aurait des obligations vis-à-vis du reste du monde, il se voit comme une pauvre victime du communisme et il pense que le monde lui est encore redevable,” conclut-il.

Accueillir avant tout les populations des pays de l’ex-Bloc soviétique

La Pologne compte onze centres d’accueil pour réfugiés qui hébergent environ 1500 personnes. Cela peut sembler peu pour un pays de 38 millions d’habitants. Dans l’une de ces structures, nous nous rendons compte que la plupart des pensionnaires viennent d’Ukraine ou de Tchétchénie. Ils reçoivent une allocation d’une cinquantaine d’euros par mois et peuvent faire scolariser leurs enfants et accéder à des cours gratuits de polonais et à des soins médicaux. Pour Pavlo Tseona et sa fille, la Pologne ne manque pas de solidarité. “On est venu d’Ukraine il y a huit mois parce que la situation là-bas était difficile, il y avait des bombardements, des gens étaient tués, raconte-t-il. Nos trois filles vivaient dans la cave et après tous ces évènements, poursuit-il, on a décidé de partir pour Marioupol, puis de venir en Pologne.”
“Ma maison me manque parce que c’est très loin, confie sa fille Natalia. Mais ici, c’est mieux. Il n’y a pas la guerre et on nous donne plus d’argent que ce qu’on avait avant.”

Si les Ukrainiens semblent s’intégrer facilement, pour les Tchétchènes, les choses sont parfois moins évidentes, un grand nombre d’entre eux étant musulmans. Mais quelle que soit leur confession, la Pologne ne fait pas mystère qu’elle veut avant tout aider les populations qui souffrent dans les pays de l’ex-Bloc soviétique. “On est arrivé de Tchétchénie il y a environ trois ans, précise une réfugiée tchétchène qui témoigne anonymement. Mon mari avait été battu, notre fils avait disparu et on ne savait pas où il était ; en Pologne, on se sent un peu plus libre, on aime la culture et le respect que les gens ont pour les autres et pour nous,” ajoute-t-elle.

Achmed Tashaev a quitté la Tchétchénie il y a huit ans. Il dirige une troupe de jeunes réfugiés tchétchènes. Leur talent a d’ailleurs été remarqué dans une célèbre émission de télévision polonaise. A l’image de leurs performances, leur intégration est une réussite.

Des réticences liées au contexte social et à un racisme latent

Mais si la Pologne s’avère aussi respectueuse et accueillante envers ces étrangers, pourquoi a-t-elle accepté de ne prendre en charge que sept mille migrants sur les deux prochaines années ? Certains comme Achmed Tashaev estiment que c’est dû au contexte polonais. “S’il y avait en Pologne, les bonnes conditions sociales qu’il y a en Allemagne, en France ou dans d’autres pays de l’ouest de l’Europe, insiste-t-il, peut-être que les Polonais seraient plus volontaires pour accueillir des refugiés.”

D’autres évoquent une xénophobie latente. Il faut rappeler que la Pologne est l’un des pays les plus homogènes d’Europe avec 96% de Polonais de souche et 94% de catholiques. Il y a aussi la crainte – fondée ou non – que des extrêmistes se trouvent parmi les milliers de personnes qui cherchent asile en Europe.

C’est ce que redoute Miriam Shaded, polonaise d’origine syrienne. Elle dirige une fondation baptisée Estera qui a favorisé l’arrivée de 55 familles syriennes chrétiennes en Pologne. Alors que la moitié d’entre elles sont reparties pour l’Allemagne en quête de meilleures conditions de vie, elle estime malgré tout que sa mission est un succès. “Chaque famille a été acceptée par la société, les églises, des gens de bonne volonté qui les ont aidés à trouver un travail ici, à s’intégrer, souligne-t-elle. Bien sûr, personne ne veut aider des gens qui viennent ici et qui pourraient représenter une menace même pour la population polonaise comme des Islamistes par exemple, poursuit-elle, il peut y avoir des personnes qui cachent leur véritable identité : les Islamistes là-bas veulent essayer d’imposer leur religion aux Chrétiens et on peut supposer qu’ils voudront faire la même chose ici en Europe.”

Ironie du sort

Ces inquiétudes risquent d’alimenter encore le débat sur l’accueil des réfugiés en Europe et en Pologne. Pour autant, la situation actuelle en rappelle une autre : celle des Polonais qui dans l’Histoire, ont dû eux aussi quitté leur pays. “Ce sont des gens avec des enfants, des familles qui fuient la guerre et qui veulent sauver leur vie comme les Polonais l’ont fait autrefois pendant les guerres et lors de l‘état de guerre instauré en 1981, souligne l’imam Janusz Aleksandrowicz, ils cherchaient un endroit où ils pouvaient vivre sereinement et aujourd’hui, eux aussi, c’est ce qu’ils cherchent.”

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