Quel avenir pour les mineurs isolés réfugiés en Allemagne ?

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Par Hans von der Brelie avec Stéphanie Lafourcatère
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Parmi les nombreux réfugiés qui arrivent en Allemagne comme dans d’autres pays européens, on compte de plus en plus de jeunes mineurs venus sans

Parmi les nombreux réfugiés qui arrivent en Allemagne comme dans d’autres pays européens, on compte de plus en plus de jeunes mineurs venus sans leurs parents. Ont-ils un avenir dans leur nouveau pays ? Nous nous sommes rendus à Bonn dans l’ouest de l’Allemagne pour voir dans quelles conditions ils sont accueillis et comment les équipes qui s’occupent de leur prise en charge tentent de faire face.

Trente mille arrivées depuis le début de l’année

Dans une boulangerie de Bonn, nous rencontrons Tshilenge : il y a quatre ans, il a quitté la République démocratique du Congo seul alors qu’il était encore mineur. S’il a pu trouver une formation professionnelle dans cette entreprise, qu’en est-il de l’avenir des jeunes isolés qui viennent chercher plus de sécurité dans le pays ? On estime que trente mille adolescents seraient arrivés sur le territoire allemand depuis le début de l’année, peut-être plus. Souvent, leur accueil s’avère problématique et leur intégration, délicate. Après dix ans de séjour en Allemagne, seuls 60% des réfugiés ont un emploi.

Tshilenge reconnaît que les obstacles sont nombreux. “La langue, c’est la clé, lance-t-il, vous avez besoin de cette clé pour ouvrir la porte vers votre nouvelle vie. Au tout début, je n’y arrivais pas, je pleurais presque, poursuit-il.Plus tard, ce serait génial si je pouvais ouvrir ma propre boulangerie ; mais c’est difficile : d’abord, il faut que je passe tous les examens pour avoir mon diplôme de maître boulanger,” explique le jeune homme.

Un statut protégé jusqu‘à 18 ans

A Bonn, comme dans les autres villes allemandes, c’est le service d’aide sociale à la jeunesse qui prend en charge les réfugiés mineurs. Face à l’affluence, de nouvelles règles en place depuis le début du mois prévoient qu’ils soient mieux répartis sur le territoire afin de soulager les grandes villes. “Il faut admettre qu’on a été débordé et surpris par le grand nombre de jeunes arrivants, dit Udo Stein, directeur du service. Aujourd’hui, on a encore de grandes difficultés à leur trouver des logements et on a aussi du mal à mettre à disposition les personnels nécessaires comme les travailleurs sociaux ou les tuteurs légaux qui doivent s’occuper de tous ces jeunes,” affirme-t-il.

Les réfugiés mineurs isolés sont extrêmement protégés par la législation allemande. Leur statut a d’ailleurs été renforcé récemment : désormais, ceux âgés de 16 à 18 ans ne risquent plus l’expulsion.

Nous rencontrons un groupe de jeunes Afghans et Syriens arrivés à Bonn il y a quelques jours. On nous autorise à les filmer en cachant leur visage pendant qu’ils jouent au foot avec leurs traductrices. L’un d’entre eux âgé de 17 ans témoigne anonymement. Il revient sur les conditions de son départ d’Afghanistan : “C’est un voyage tellement long et risqué que c’est plus facile de s’en tirer seul, sans nos parents, estime-t-il. Mais si je suis parti seul, c’est surtout parce qu’on manquait d’argent, ajoute-t-il, mes parents vivent à la campagne et ils n’avaient pas de quoi payer pour que toute notre famille parte, donc ils m’ont envoyé, moi.”

Un accompagnement 24h sur 24

Comme le prévoit le dispositif légal concernant l’accueil des réfugiés mineurs, Yasemin Mentes qui est travailleuse sociale vit aux côtés de ces jeunes, 24 heures sur 24. Elle les accompagne au quotidien et se heurte à des difficultés administratives. “Dans notre maison, nous avons des jeunes âgés de 14 à 18 ans et la plupart de ce que les parents font habituellement, c’est nous que le faisons, indique-t-elle. Par exemple, on les accompagne chez le médecin, ce qui est assez compliqué, ils n’ont pas d’assurance santé, ils n’ont pas de carte d’assuré : comment se faire soigner dans ce cas ? Ils n’ont même pas de papiers !” s’indigne-t-elle.

A Bonn, les jeunes réfugiés sont par exemple logés près de la gare centrale, dans un bâtiment que l’Eglise protestante utilisait dans le passé pour héberger des sans-abris alcooliques et des drogués. Deux adolescents nous font visiter les lieux et nous présentent le kit de bienvenue qu’ils ont reçus. Un dictionnaire en fait partie. Mourad a quitté la Syrie pour la Jordanie avec ses parents qui l’ont ensuite envoyé seul en Allemagne. “Je suis très triste d‘être séparé de ma famille, confie-t-il. Mais d’un autre côté, je suis optimiste parce que je sais que j’ai une chance de devenir quelqu’un plus tard et c’est ce qui m’aide à avancer et à rester fort, assure-t-il, je prévois de rester en Allemagne après mes études universitaires et je ferai venir ma famille ici.”

Services sociaux : “On n’est pas totalement débordé”

Le psychologue et le directeur du foyer s’accordent à dire que ces adolescents qui se retrouvent sans leurs parents dans un pays étranger ont besoin d’une attention intense. Une tâche rendue délicate alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à arriver.

“A l’heure actuelle, on a trop de travail et on est sous pression, ça ne fait aucun doute, reconnaît
Klaus-Jürgen Graf, directeur du service d’aide de l’Eglise protestante. On a beaucoup de collègues qui font le maximum, ils sont vraiment sous pression, mais (…) que ce soit nous, mais aussi la société dans son ensemble, on n’est pas totalement débordé : on peut faire face,” ajoute-t-il.

Des symptômes de traumatismes

Le psychologue du foyer, Hasan Akdogan a des origines kurdes, il exerce son premier emploi ici. Il nous précise que tous les pensionnaires ne viennent pas de zones de guerre, mais quand c’est le cas, ils sont bien sûr traumatisés. “Ils ont peur ; parfois, ils crient et ils se mettent à pleurer dans leur chambre; certains dorment avec la lumière tout le temps allumée, dit-il. Assez souvent, les membres de leur famille sont séparés : leur mère se trouve quelque part dans un camp de réfugiés en Turquie pendant que le père est ailleurs, en train de se battre ou mort et eux, ils sont ici : leur ancien univers n’existe plus.”

L’Allemagne garantit le droit au rapprochement familial. Certains parents envoient leurs adolescents dans le pays pour en bénéficier par la suite. Taim originaire d’Alep en Syrie veut faire venir sa mère qui est restée au pays. Son père est décédé.

“Quand je suis arrivé en Allemagne, j’ai été très heureux, je me suis senti en sécurité, insiste l’adolescent, maintenant, je suis très loin de tous les bombardements et de la situation dangereuse qu’il y avait dans notre ville, on vivait là-bas sans électricité, sans eau, j’ai beaucoup de proches qui sont morts. Aujourd’hui, conclut-il, je peux faire quelque chose de ma vie.”

Face au nombre de jeunes à aider, les familles d’accueil et les professeurs de langue manquent. Des projets voient le jour pour faciliter l’adaptation des réfugiés à leur nouveau pays : par exemple, les pensionnaires du foyer développent une application pour smartphone destinée à fournir des informations en plusieurs langues notamment sur le dispositif des tuteurs légaux pour les mineurs isolés.

Ahmad, 16 ans, enregistre la version en dari. Il vient d’arriver d’Afghanistan. “Enormément de choses sont détruites dans tout l’Afghanistan, dit-il, moi, je rêve de devenir ingénieur dans la construction. Si je réussis, peut-être que je pourrai un jour participer à la reconstruction de mon pays, qui sait !” souligne-t-il.

A 18 ans, de nombreux jeunes sont expulsables

Compatriote d’Ahmad, Faisal est en Allemagne depuis l‘âge de 15 ans. Son père l’avait confié à un homme qui devait l’amener en Europe. L’adolescent ne connaissait pas sa destination. Aujourd’hui, il mène un projet qui vise à expliquer aux nouveaux arrivants, le fonctionnement des transports en commun de la ville. Mais depuis qu’il a 18 ans, son statut a changé : il est désormais soumis aux régles des majeurs en matière de droit d’asile. “Je suis ici depuis presque trois ans maintenant, insiste Faisal. J’ai fait une première demande d’asile qui a été refusée, mais j’essaye encore : j’aimerais signer un contrat d’apprentissage, j’ai fait plusieurs candidatures, mais je n’ai eu que des refus parce que je n’ai pas de permis de séjour permanent. Or la plupart des entreprises veulent des gens qui l’ont,” regrette-t-il.

Faisal a expliqué sa situation à la chancelière allemande. Il est fier de nous montrer une photo où il se tient à ses côtés. Grâce à une association d’aide aux réfugiés, Faisal vient de trouver une place de mécanicien. Un répit de quelques temps car aujourd’hui, il est expulsable, même vers l’Afghanistan.

Reporter - underage refugees in Germany

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