Pologne : le droit à l’avortement en question

Pologne : le droit à l’avortement en question
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Par Ewa Dwernicki
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La question de l’avortement suscite toujours beaucoup d’émotion en Pologne. En témoignent les manifestations organisées dimanche dernier dans plusieurs villes du pays. En effet, des milliers de femmes, souvent accompagnées de leur famille, se sont rassemblées ce jour-là pour protester contre le durcissement de la législation concernant l’IVG (interruption volontaire de grossesse), déjà l’une des plus restrictives d’Europe.

En cause, un projet de loi prévoyant l’interdiction totale de l’avortement que des associations anti-IVG ont déposé récemment au Parlement. En parallèle, l’Eglise catholique a fait débuter sa messe de dimanche dernier, dans presque toutes les paroisses du pays, par la lecture d’une lettre de l’épiscopat polonais appelant le gouvernement à légiférer en sens.

Une législation parmi les plus restrictives d’Europe

En matière d’IVG, la Pologne dispose de l’une des législations les plus restrictives d’Europe. L’avortement n’y est autorisé que dans trois cas : quand il existe un risque pour la santé de la mère, si de graves pathologies sont constatées chez l’embryon, ou quand la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste. Ce « compromis », trouvé en 1993 entre l’Eglise et l’Etat, est aujourd’hui remis en question par l’Eglise et les organisations se proclamant “pro-vie”. Ces dernières sont encouragées par la présence au pouvoir des ultraconservateurs du parti Droit et Justice (PiS) qui bénéficie de la majorité absolue au Parlement. Selon le projet de loi qui a déclenché le débat, la peine maximale pour ceux qui pratiquent illégalement un avortement passerait de deux à cinq ans. Le seul cas d’avortement qui resterait toléré serait celui pratiqué dans le but de sauver la vie de la mère.

L’IVG : une question qui continue à diviser profondément la société polonaise

Selon les derniers sondages réalisés par la société CBOS, la majorité des Polonais se prononcent pour le maintien de la loi sur l’avortement dans ses termes actuels. Ainsi 80% des personnes interrogées sont pour l’autorisation de l’IVG quand il existe un risque pour la vie de la mère, 73% sont pour l’avortement quand la grossesse est le résultat d’un viol ou d’un inceste et 53% si de graves pathologies sont constatées chez l’embryon. En revanche, trois quarts des sondés sont contre l’autorisation de cette pratique en raison de mauvaise situation matérielle ou personnelle de la mère ainsi que dans le cas du manque de désir d’enfant chez la femme.
D’après un autre sondage, réalisé pour le quotidien Dziennik, seuls 23% des Polonais soutiennent un durcissement de la législation actuelle, alors que 51% de la population souhaiteraient une plus grande libéralisation.

La majorité parlementaire dans l’embarras

La remise en question du « compromis » existant en matière d’avortement provoque non seulement beaucoup d’émoi dans la société civile polonaise mais met aussi la majorité conservatrice dans une situation pour le moins embarrassante.
Son leader Jaroslaw Kaczynski, qui a d’ors et déjà déclaré que « l’immense majorité, ou même tout le groupe parlementaire, soutiendra l’initiative », se trouve en réalité devant un dilemme. Soit il soutient le projet de loi radical pour satisfaire l‘Eglise catholique, sa principale alliée politique, et pour ne pas froisser son électorat majoritairement anti-IVG ; soit il bloque, comme en 2007, toute initiative de modification de cette loi controversée, évitant ainsi de nouvelles protestations à l’encontre du gouvernement PiS de la part de l’opposition. Selon la majorité des observateurs de la vie politique polonaise, le scénario le plus probable serait le durcissement de la loi en vigueur sans aller à l’interdiction totale de la pratique de l’avortement.

Le gouvernement PiS achèvera-t-il sa révolution conservatrice ?

Difficile pour l’heure de savoir quel sera le sort du projet de loi qui semble s’ajouter aux précédentes mesures de la révolution conservatrice menée par le gouvernement PiS depuis le début de son mandat. Une chose est pourtant sûre : si la loi aboutit, ses résultats risquent d’être dramatiques pour les femmes polonaises. Non seulement la loi provoquera l’augmentation du nombre déjà considérable d’avortements illégaux pratiqués en Pologne (entre 80 000 et 200 000 par an) mais elle fragilisera encore plus les femmes aux revenus modestes qui ne peuvent pas se permettre d’avorter dans un cabinet privé ou à l’étranger.

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