Zeid Ra'ad Al Hussein : "Bachar el-Assad pourrait bien être jugé"

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Par Euronews
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Zeid Ra’ad Al Hussein occupe le poste de Haut-Commissaire aux droits de l’homme à l’ONU. Une énorme responsabilité en ces temps aussi troublés. En

Zeid Ra’ad Al Husseinoccupe le poste de Haut-Commissaire aux droits de l’homme à l’ONU. Une énorme responsabilité en ces temps aussi troublés. En pleine crise des réfugiés, cinq ans après le début du conflit en Syrie, avec de nouvelles formes de guerre qui poussent les démocraties occidentales dans leurs derniers retranchements, comment défend-il les droits de l’homme ? Conflit en Syrie, crise des réfugiés, accusations d’abus sexuels commis par des forces onusiennes, il nous répond sans détour.

Audrey Tilve, euronews :
“Tout d’abord, cet accord controversé que l’Europe et la Turquie tentent de mettre en oeuvre. La Grèce a commencé à renvoyer des migrants et des réfugiés en Turquie. Il est prévu de le faire de manière massive. Vous critiquez cette mesure. Pourquoi ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire aux droits de l’homme à l’ONU :
“Il y a quatre points qui nous préoccupent : le premier, c’est le fait que les centres de traitement deviennent des centres de détention – et c’est ce qu’on voit déjà sur l‘île de Lesbos -.
Deuxièmement, on s’inquiète des conditions humanitaires. Ensuite, on se demande si la Turquie doit être considérée comme un pays tiers sûr. Et enfin, il semble y avoir une contradiction inhérente entre une volonté de renvoyer tous les migrants et l’examen des cas individuels.”

#Europe cannot shrug off its responsibility for #migrants & pass the buck to #Turkeyhttps://t.co/EBBKq6lWgO#EUCOpic.twitter.com/GoR0995rID

— UN Human Rights (@UNHumanRights) 16 mars 2016

Audrey Tilve :
“Les voisins de la Syrie sont en train de porter un immense fardeau. Près de cinq millions de personnes ont fui la Syrie et la plupart d’entre elles vivent aujourd’hui en Turquie, mais aussi au Liban et dans votre pays : la Jordanie.
Il y a deux mois environ, le roi Abdallah de Jordanie a dit que le point de rupture était atteint. Qu’est-ce qu’il voulait dire ?”

Syrie : “le Conseil de sécurité a une responsabilité spécifique”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“Quand on regarde le ratio de la dette – le ratio dette-PIB -, il augmente à cause de cette responsabilité qui a été confiée aux pays voisins, en particulier le Liban ou la Jordanie. Et – je pense – on a l’impression que c’est extrêmement injuste.
Le conflit dure maintenant depuis cinq ans et la responsabilité de mettre un terme à ce genre de conflit incombe principalement au Conseil de sécurité de l’ONU où il y a cinq Etats – cinq Etats membres – qui portent une responsabilité toute particulière.
Ce mécanisme mis en place après la Seconde Guerre mondiale pour prévenir ces conflits n’a pas été efficace dans le cas de la Syrie. Les conséquences, ce sont l’expansion de l’Etat islamique de la Syrie vers l’Irak et ce flux de réfugiés.”

Audrey Tilve :
“Vous dites que c’est parce que le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas été capable de s’entendre sur une position commune que la situation est ce qu’elle est aujourd’hui en Syrie ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“Eh bien, le Conseil de sécurité a une responsabilité spécifique en veillant à mettre un terme aux conflits de cette nature qui peuvent être centrifuges, très dangereux et qui peuvent faire intervenir de nombreux acteurs – c’est le cas pour la Syrie -. Et clairement, le fait qu’il se poursuive au bout de cinq ans prouve que le Conseil de sécurité a échoué.”

Biographie : Zeid Ra’ad Al Hussein

  • Exerce en tant que Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme depuis le premier septembre 2014.
  • Etait auparavant, Représentant permanent de la Jordanie auprès de l’ONU à New York.
  • La justice pénale internationale, le droit international, les opérations de maintien de la paix de l’ONU et les opérations de consolidation de la paix après un conflit lui sont de longue date familiers.
  • Il a joué un rôle central dans la création de la Cour pénale internationale et il est très impliqué dans la lutte contre l’exploitation sexuelle et les abus sexuels perpétrés lors de missions de maintien de la paix de l’ONU.

Audrey Tilve :
“Vous avez été le premier musulman à être nommé Haut-Commissaire aux droits de l’homme. Il y a de plus en plus de tensions vis-à-vis de la communauté musulmane en Europe du fait des attaques terroristes commises au nom de la religion.
Et même si je sais et vous aussi que ce bain de sang n’a rien à voir avec la religion, il y a une méfiance croissante à l‘égard des Musulmans en Occident. Compte tenu de cela, quel message voudriez-vous faire passer aux Musulmans d’Europe ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“Selon moi, un examen plus prudent de ces derniers développements devrait amener à penser que ces groupes – ces groupes takfiristes* – ont visé des musulmans – d’autres musulmans – dans une proportion beaucoup plus grande que les non-musulmans, à l’exception de certains groupes en Irak par exemple.
Mais les takfiris considèrent que ceux qui ne partagent pas leur idéologie – quels qu’ils soient – sont des apostats et ne sont pas dignes de vivre. Et c’est à ça que le monde islamique a dû se confronter avant l’Europe. Et il est clair que nous devons faire plus dans le contexte islamique. C’est clair.
Mais dans le cas de l’Europe, il faut aussi avoir clairement conscience que faire des amalgames produit des résultats épouvantables. L’Histoire européenne en comporte beaucoup d’exemples et je n’ai pas besoin de les préciser.”

*sous-branche du salafisme qui se distingue notamment par son appel aux armes.

Audrey Tilve :
“La lutte contre l’impunité est l’un des grands défis que vous relevez et vous avez joué un rôle important dans la création de la Cour pénale internationale en 2002. Quatorze ans plus tard, je crois que seulement trois personnes ont été condamnées par cette juridiction. Toutes ces condamnations et presque toutes les enquêtes en cours concernent un seul continent : l’Afrique. Pourquoi ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“Vous devez comprendre comment cette Cour fonctionne. Elle travaille sur une base juridictionnelle qui ne s’exerce que vis-à-vis des pays qui ont accepté sa compétence ou dans le cas où le Conseil de sécurité défère la situation au Procureur.”

Une CPI à la portée limitée

Audrey Tilve :
“Donc, la portée de la Cour est-elle limitée par le fait que de nombreux pays ne la reconnaissent pas ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“Oui. Oui ou alors, ce peut être parce que le Conseil de sécurité n’a pas la volonté de saisir la CPI et pour cette raison, elle n’est pas compétente. Quand on s’est entendu pour la première fois sur son statut, je crois qu’on a pensé que le monde changerait du jour au lendemain. On a cru que ce serait un tel pas en avant en vue d’en finir avec l’impunité que le monde changerait du jour au lendemain. Avec le recul, vous aurez compris que cela prend beaucoup de temps pour que les dirigeants du monde entier comprennent qu’il ne peut pas y avoir un exercice incontrôlé du pouvoir, qu’il y a une limite dans la manière de mener des opérations militaires et qu’il n’y a pas de volonté de la part du Haut-Commissariat aux droits de l’homme ou d’autres services des Nations Unies d’accepter des amnisties quand il s’agit d’essayer de conclure un accord de paix par exemple.”

Audrey Tilve :
“J’aimerais vous poser une question très concrète sur un exemple concret. La Syrie ne reconnaît pas la Cour pénale internationale. Y a-t-il une chance que par exemple, Bachar el-Assad soit jugé par cette Cour un jour ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“Il y a une chance et je crois que cela pourrait bien arriver. On ne peut pas affirmer que toutes ces personnes dont on pense qu’elles ont commis des crimes échapperont de toutes façons à la justice.
Parce qu’on a vu un certain nombre de cas…”

Audrey Tilve :
“Comment faire ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein:
“On collecte des preuves, il y a de plus en plus d’agences qui collectent des preuves et à un moment donné, on espère que ces preuves seront présentées à une cour de justice qui jugera la personne accusée.”

Casques bleus accusés d’abus sexuels : “c’est à leur pays de les juger”

Audrey Tilve :
“L’image des missions de maintien de la paix de l’ONU a été sérieusement ternie par de nombreux cas d’abus sexuels ces dernières années.
Récemment, plus d’une centaine de cas ont été signalés en République centrafricaine. La règle, c’est de renvoyer chez eux, les soldats qui ont commis ces abus, ainsi que toute leur unité. Mais il n’existe pas encore d’obligation de les juger. Est-ce suffisant ?”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“Merci de soulever cette question. C’est absolument répugnant que des personnes en lesquelles les victimes, les membres de communautés vulnérables placent leur confiance soient accusées de ce genre d’allégations horribles. Il incombe au pays d’origine – au pays de la nationalité des soldats – de s’assurer qu’il n’y ait pas d’impunité. Le maximum que l’ONU puisse faire, c’est les relever de leurs fonctions en les renvoyant chez eux.”

Audrey Tilve :
“Donc si ces pays ne veulent pas les juger, il n’y a rien que vous puissiez faire…”

Zeid Ra’ad Al Hussein :
“On peut maintenir une pression sur eux. L’ONU peut dire : “Nous n’accepterons plus de soldat de votre pays” ou faire une pression de ce genre. Mais au final, c’est à eux de réaliser que la responsabilité leur revient.”

#CAR: Investigations under way into sickening allegations of sexual abuse by peacekeepers https://t.co/H6fXmiR7Jcpic.twitter.com/XRqY7nRaVp

— UN Human Rights (@UNHumanRights) 31 mars 2016

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