Un réacteur nucléaire suisse devenu gruyère ?

Un réacteur nucléaire suisse devenu gruyère ?
Par Stéphanie Lafourcatère
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Les craintes liées au nucléaire s’expriment de plus en plus notamment en Europe depuis la catastrophe de Fukushima au Japon le 11 mars 2011. Des

Les craintes liées au nucléaire s’expriment de plus en plus notamment en Europe depuis la catastrophe de Fukushima au Japon le 11 mars 2011. Des contrôles des sites ont été mis en place dans de nombreux pays ces dernières années et les installations les plus vieillissantes sont souvent montrées du doigt à la suite d’incidents. C’est le cas en Suisse par exemple où se trouve le plus ancien réacteur du monde. Insiders donne la parole aux militants, au gestionnaire et aux autorités en charge de la sûreté nucléaire. Leurs points de vue sont inconciliables.

Comment attaquer une centrale nucléaire ? Leo Scherer a son idée sur la question, il l’a déjà fait ! Un an après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, il a mené avec Greenpeace, une action commando pour alerter sur le risque terroriste : il s’est approché du site de Beznau en Suisse qui abrite le plus ancien réacteur du monde (mis en service en 1969) et a placé des câbles électriques sur certaines installations. Depuis, l’exploitant a renforcé son dispositif de sécurité.

Menace terroriste ? Risque de crue ?

Nous avons rencontré Leo Scherer alors qu’il se rend chez son ami Heini Glauser, lui aussi résidant des environs de Beznau. Aujourd’hui, tous deux s’inquiètent d’une autre menace : les crues, la centrale étant construite sur une île fluviale. L’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN) est elle convaincue de sa résistance. “Son rapport est rempli d’affirmations qui sont tout simplement fausses,” lance Heini Glauser. Leo Scherer lui demande : “La centrale de Beznau peut donc être totalement inondée à tout moment ?” “Oui ! répond Heini Glauser. Et on ne parle pas d’une crue d’un ou deux mètres, mais de beaucoup plus : on pourrait avoir la même situation qu‘à Fukushima,” affirme-t-il.

Leo Scherer renchérit : “Ils nous mentent, ils font des calculs qui sont complètement faux.” Son ami ajoute en lui montrant des photos sur son ordinateur : “Quand la rivière est en crue, elle se déchaîne, dit-il. D’après les autorités, en cas de crue, l‘élévation peut aller jusqu‘à 37 centimètres ; or après des chutes de pluie, les vagues peuvent faire plus d’un mètre : c’est absurde ! lance-t-il. Des experts indépendants m’ont dit que la vitesse du courant ne serait pas de six mètres par seconde maximum, mais de neuf-dix mètres par seconde,” insiste-t-il.

Sur réquisition de l’IFSN, Axpo – la société publique qui exploite la centrale – a renforcé son réseau électrique de secours en cas de crues. Plus largement, sur ces trois dernières années, elle a investi l‘équivalent de 641 millions d’euros pour moderniser le site.

#nuclear power plant #Beznau: a threat for Europeans? #euronewsreport#Switzerland OnAir in April #insiderspic.twitter.com/eQUQrkvfZA

— Hans von der Brelie (@euronewsreport) 17 mars 2016

A dix kilomètres de Beznau, à Brugg, Heini et Leo veulent nous montrer les repères des crues historiques. Heini qui est architecte a mené des recherches approfondies sur le sujet dans le cadre d’une vaste étude lancée par l’Office fédéral de l’environnement. Depuis un pont surplombant l’Aar, il indique : “En bas, on voit le niveau atteint par la crue de 2007 ; en comparaison, en 1852, l’eau est montée deux mètres et demi plus haut et en 1480 et 1570, poursuit-il, elle a même atteint ce niveau en inondant une partie de la ville : l’inondation avait été énorme.” Leo s’interroge : “Qu’est ce que cela peut signifier pour la centrale de Beznau ?” Heini lui répond : “Une catastrophe.”

Des “trous” dans la cuve de pression ?

Axpo ne nous autorise à filmer la centrale qu‘à bonne distance. Les deux militants nous accompagnent à proximité.Leo Scherer nous rappelle les facteurs de risque : “Cette centrale nucléaire ne résisterait ni à une crue, ni à un séisme et le plus important, ajoute-t-il, c’est que très récemment, des points de faiblesse ont été constatés au niveau de la cuve de pression du réacteur. Il est ancien, il ne devrait jamais redémarrer,” estime-t-il.

L’an dernier, le réacteur numéro 1 – le plus ancien – a été arrêté après la découverte de près d’un millier de défauts dans les parois de sa cuve de pression : des “trous” d’après les écologistes, des “irrégularités” selon l’exploitant. Leur taille est en tout cas de 0,7 centimètres. Leo Scherer insiste : “C’est le problème principal de cette centrale : Beznau I a été mis en service il y a 47 ans. Dans le monde, il n’y a aucun autre site de ce type qui ait été exploité aussi longtemps, assure-t-il. C’est une expérience qui est menée et on est des cobayes : ils essaient de faire fonctionner le réacteur jusqu‘à ce qu’il casse,” estime le militant.

“Aucune fissure” d’après l’exploitant

La société exploitante rejette ces accusations et assure que les facteurs de fragilisation sont scrupuleusement surveillés par des physiciens et des mathématiciens spécialistes des phénomènes d’usure et des calculs de probabilité. Nous tentons d’avoir des précisions sur la date de l‘éventuelle remise en service du réacteur numéro 1.Le discours de nos interlocuteurs évolue au fil du temps. La remise en service était annoncée pour octobre dernier. Ensuite, on a parlé de février. Maintenant, on nous parle de juillet prochain.

Pour tirer les choses au clair, nous demandons une interview à Axpo. Dans un premier temps, ses responsables de la communication nous avaient indiqué qu’aucune interview face caméra ne nous serait accordée. Finalement après quelques semaines de tractations, nous obtenons une réponse positive. “Bien entendu, il n’y a aucun trou, aucune fissure, ce sont juste quelques irrégularités, nous les avons découvertes dans l’acier qui constitue la cuve de pression du réacteur, précise Antonio Sommavilla, porte-parole d’Axpo. C’est vrai qu’il y a une sorte d’effet de fragilisation, reconnaît-il avant d’ajouter : Mais selon nos premières constatations, on estime que de manière générale, il n’y a aucune raison liée à la sécurité qui nous empêcherait de relancer le réacteur.”

Un discours qui ne rassure pas les anti-nucléaires qui habitent les environs de la centrale. Ce jour-là, ils ont sorti leur cor des Alpes pour manifester devant les locaux de l’autorité nucléaire, l’IFSN. L’institution est accusée d‘être trop proche du lobby du nucléaire. Selon son statut, elle est indépendante. C’est ce que nous rappelle son responsable de la communication. “Aujourd’hui, il revient au gestionnaire de la centrale de nous donner des précisions sur l’ampleur des irrégularités qu’il a détectées, explique Sebastian Hueber. Il doit en particulier nous apporter la preuve de manière définitive, de l’impact que ces irrégularités pourraient avoir sur l’intégrité de la cuve de pression du réacteur ; s’il ne peut pas prouver qu’elle est préservée, ajoute-t-il, on ne donnera pas le feu vert à son redémarrage.”

INSIDERS - Nuclear power in SwitzerlandUne initiative populaire à l’automne

Les partisans de l’abandon du nucléaire ne baissent pas la garde pour autant. Leur mobilisation prend toutes les formes notamment celle d’une initiative populaire soumise à votation cet automne. Elle portera sur la longévité des centrales. “Il revient aux Suisses, indique Nicola Bossard, organisateur ce jour-là d’une manifestation à vélo contre le nucléaire entre Brugg et Beznau, de décider s’il faut mettre à l’arrêt les réacteurs nucléaires après quarante-cinq ans d’exploitation et donc de fermer celui de Beznau dès l’an prochain.”

Ce débat ne concerne pas que la Suisse. Parmi ses voisins, la France envisage une prolongation de la durée de vie de ses centrales.

BONUS

Sebastian Hueber : ‘‘Les gens n’ont pas à s’inquiéter de la centrale de Beznau’‘

Sebastian Hueber, responsable de la communication de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), répond aux doutes qui s’expriment de plus en plus sur la sécurité du plus ancien réacteur du monde, Beznau I, situé en Suisse près de la frontière allemande. L’interview complète est disponible en allemand.

Antonio Sommavilla : ‘‘L’Europe ne devrait pas avoir peur de cette centrale’‘

Antonio Sommavilla est le porte-parole d’Axpo, la société suisse exploitante du site de Beznau qui abrite le plus ancien réacteur du monde. Face à euronews, il reconnaît qu’un effet de fragilisation est en cours au niveau de la cuve de pression de ce réacteur tout en assurant que le site est sûr (interview en allemand).

Horst-Michael Prasser : Des ‘défauts de fabrication’ dans la cuve de pression du réacteur

Horst-Michael Prasser est l’un des plus éminents physiciens pro-nucléaires de Suisse. Sur les réseaux sociaux, certains le surnomment le “pape du nucléaire.” Pour lui, les irrégularités découvertes dans Beznau I correspondent à “un phénomène nouveau ou un phénomène découvert tout récemment qui nécessite des tests spécifiques.” Retrouvez son interview complète en anglais.

Florian Kasser : ‘‘Nous risquons une contamination radioactive du Portugal à l’Oural’‘

Florian Kasser dirige la campagne anti-nucléaire de Greenpeace Suisse. Beznau I est “la centrale nucléaire la plus âgée au monde et dans la cuve du réacteur, on a trouvé mille problèmes matériaux : ces pièces ne doivent pas rompre, sinon on aura un accident majeur en plein coeur de l’Europe.” Son interview est disponible en français.

Rudolf Rechsteiner : L’IFSN ‘‘prend délibèrement le risque de provoquer un massacre’‘

Ancien député fédéral socialiste, Rudolf Rechsteiner mène la lutte pour obtenir des changements dans la législation suisse sur l‘énergie. Ses mots sont extrêmement durs à l‘égard de l’IFSN : il affirme que cette agence indépendante selon son statut “prend délibèrement le risque de provoquer un massacre.” Retrouvez sa déclaration en allemand.

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