Brexit : aubaine ou coup fatal pour la sidérurgie britannique ?

Brexit : aubaine ou coup fatal pour la sidérurgie britannique ?
Par Valérie Gauriat
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A quelques jours du référendum sur une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, beaucoup s’interrogent sur les conséquences économiques de l’issue du scrutin quelle qu’elle soit, en par

A quelques jours du référendum sur une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, beaucoup s’interrogent sur les conséquences économiques de l’issue du scrutin quelle qu’elle soit, en particulier dans la sidérurgie. Un secteur déjà fragilisé notamment parce que le groupe indien Tata Steel a annoncé récemment vouloir vendre ou fermer tous ses sites dans le pays. Sur fond de mécontentement à l‘égard du gouvernement de Londres, l’hypothèse d’un Brexit divise au sein des métallos : les uns estiment qu’il sauverait leurs usines, les autres pensent qu’il aggraverait leur situation.

Sauver l’acier britannique, c’est ce que plusieurs centaines de sidérurgistes réunis ce jour-là à Londres sont venus réclamer au gouvernement. Un mois plus tôt, le groupe indien Tata Steel avait annoncé sa volonté de vendre ou de fermer l’intégralité de ses sites de production en Grande-Bretagne, menacant quelques 15000 emplois.

“La sidérurgie au Royaume-Uni est à un tournant, indique Mark Turner, représentant du syndicat Unite. La production d’acier pourrait finir par s’arrêter au Royaume-Uni, on est là pour s’assurer que cela n’arrive pas,” lance-t-il. Steve Davies, métallurgiste, renchérit : “On demande de l’aide depuis longtemps maintenant et ils font la sourde oreille, on nous a fait des promesses, mais elles n’ont pas été tenues, dit-il avant d’ajouter : Aujourd’hui, il est temps d’agir, il est temps d’avancer.”

“Il faut que les acheteurs potentiels sachent qu’on a un pied en Europe”

Faire partie ou non de l’Union européenne changera-t-il quelque chose au destin des sidérurgistes britanniques ? Nous sommes venus leur poser la question à Port Talbot, leur fief du sud du pays de Galles.

De ses aciéries dépendent des milliers d’emplois dans toute la région. C’est là que nous retrouvons Steve Davies, rencontré à Londres. Il a commencé comme apprenti à l’usine il y a 37 ans, ses parents y étaient employés, son fils y travaille aujourd’hui. “Beaucoup de gens ici travaillent sur le site depuis quatre, cinq ou six générations, raconte-t-il. Sans les aciéries de Port Talbot, il n’y a pas de Port Talbot : les conséquences seraient catastrophiques, toutes les entreprises feraient faillite, ce n’est pas juste l’usine qui serait affectée, mais les transporteurs, tous les commerces, les épiceries, les marchands de journaux, les coiffeurs, énumère l’ouvrier. Il faut prendre en compte tout le contexte autour de l’aciérie et c’est l’ensemble qu’il faut sauver, poursuit-il. Il faut qu’on reste dans l’Union européenne, on est en train de chercher des acheteurs potentiels et je crois que c’est très important qu’ils sachent qu’on a un pied en Europe,” estime-t-il.

Sinistré par la chute de son industrie minière dans les années 80 et la fermeture de sites sidérurgiques au début du siècle, le pays de Galles bénéficie de fonds structurels européens importants. Une aide qui pour nombre d’habitants, ne répond pas aux incertitudes qui pèsent sur l’avenir économique de la région. Beaucoup ici restent sceptiques face au plaidoyer européen d’un gouvernement qui disent-ils, ne fait rien pour soutenir la sidérurgie britannique.

Non au gouvernement, donc non à l’Europe

“Les militants pro-Brexit nous ont assuré que 70% de la population locale allait voter pour la sortie de l’Union européenne : cela reste à voir,” indique notre reporter Valérie Gauriat avant d’aller prendre la température dans un café très fréquenté par les métallurgistes.

Peu acceptent de s’exprimer devant la caméra. Hors micro, les avis sont partagés et les partisans du Brexit que nous croisons disent vouloir avant tout prendre le contre-pied du gouvernement Cameron. “Le gouvernement ne fait rien pour nous, il s’acharne contre nous ; alors, maintenant il faut qu’on se lève et qu’on dise : ça suffit ! souligne Paul David Smith, garagiste. Votons pour sortir de l’Europe et marcher sur nos propres jambes : il faut bien voir où va l’argent, il faut garder l’argent qui rentre au Royaume-Uni et ne pas le donner à l’Union européenne,il faut remettre le pays sur ses deux pieds.”

Steelworkers should vote for Brexit. Mad that we can't cut steel energy costs because of EU rules (1/2) #VoteLeave#InOrOut

— Boris Johnson (@BorisJohnson) 3 juin 2016

Moins d’investissements au Royaume-Uni en cas de Brexit ?

Deuxième producteur d’acier en Europe, Tata Steel y exporte plus de 40% de sa production. Pour l‘économiste David Blackaby, un Brexit ne tuerait pas le secteur, mais pourrait le priver de ses principaux débouchés. “Il y aura toujours une industrie sidérurgique au Royaume-Uni, qu’on reste ou non dans l’Union européenne, indique-t-il. Mais en cas de croissance, on aura une industrie plus forte si on reste dans l’Union européenne, beaucoup d’entreprises, de multinationales sont venues dans cette partie du monde à cause de l’Union européenne, assure l‘économiste. Si on la quitte, on risque de voir les investissements diminuer au pays de Galles, que ce soit dans l’industrie sidérurgique, dans l’indutrie automobile ou autres,” insiste-t-il.

Nous retrouvons des militants pro-Brexit au centre-ville de Port Talbot. Qu’il s’agisse des règles sur la concurrence, les aides d’Etat, les marchés publics ou de l’insuffisance des mesures anti-dumping, le cadre communautaire – disent-ils – ne fait qu’enfoncer la sidérurgie.

“Sortir de l’Union pour sauver notre sidérurgie”

“Pas loin d’ici, ils sont en train de construire un parc d‘éoliennes avec de l’acier chinois à cause des règles sur les marchés publics, on ne pouvait pas exiger qu’on utilise l’acier de Port Talbot qui est produit juste à côté ! s’indigne Llyr Powell, militant pro-Brexit et membre du parti europhobe UKIP. Il y a aussi les taux d’imposition des entreprises : on ne peut pas les baisser, à cause de la loi européenne sur les aides d’Etat:“http://www.touteleurope.eu/les-politiques-europeennes/concurrence/synthese/le-controle-des-aides-d-etat.html”, on n’a pas le droit de favoriser nos aciéries, ajoute-t-il. Alors si on quitte l’Union européenne, on pourrait réduire les imôts sur les entreprises, utiliser notre propre acier dans tous les domaines, les éoliennes, le transport ferroviaire, les mines… Il y a beaucoup de bénéfices à tirer d’une sortie de l’Union pour sauver notre sidérurgie,” assure-t-il.

Le camp du Brexit s'empare de la crise de l'acier britannique (retrait de Tata Steel menaçant des milliers d'emplois https://t.co/mo7z6FfG5G

— Philippe Bernard (@canalbernard) 30 mars 2016

“Le plus gros problème, ce sont les règles européennes sur les entreprises, notamment en matière d‘énergie, l’effet est terriblement nocif sur toutes les industries qui consomment beaucoup d‘énergie, estime Morgan Brobyn, coordinateur de la campagne Vote Leave au Pays de Galles. De plus, on ne peut pas adopter de mesures anti-dumping sans le consentement de la Commission européenne, c’est une compétence exclusive de l’Union européenne, dit-il. Hors de l’Union, nous pourrions nous référer de nouveau aux règles de l’Organisation mondiale du commerce et cela nous permettrait d’imposer des tarifs douaniers beaucoup plus élevés comme ils l’ont fait aux Etats-Unis pour protéger leur industrie,” suggère-t-il.

Brexit : “Ce serait un coup fatal porté au secteur”

Les Etats-Unis imposent des taxes de 236% sur les importations d’acier chinois contre 20% dans l’Union européenne. Un seuil que Bruxelles voudrait relever. C’est le gouvernement britannique qui y est le plus opposé, rappelle le député travailliste de cette circonscription d’Aberavon, Stephen Kinnock.

Sortir de l’Union – dit-il – coûterait cher à une industrie qui exporte la moitié de sa production dans l’Union sans barrières tarifaires. “Si on sort de l’Union européenne, il faut commencer à négocier un nouveau type de relation commerciale : reste-t-on dans le marché unique ou pas ? lance l‘élu. Si on en sort, quels seront les tarifs douaniers qu’il faudra payer ? Quelles seront les taxes sur les exportations d’acier ? Quelles seront les taxes sur les voitures que l’on va exporter sachant qu’une part énorme de l’acier produit à Port Talbot sert à les fabriquer ? La plupart de ses clients sont dans l’industrie automobile : on se retrouvera dans une situation qui à mon avis, portera un coup fatal porté au secteur,” estime-t-il.

Rester dans l’UE : la meilleure option ?

A Port Talbot, Scott Bamsey est le plus jeune des représentaux syndicaux de l’usine. Sa famille travaille dans la sidérurgie depuis des générations. Ses membres sont comme beaucoup, partagés à l‘égard de l’Union européenne. Mais un Brexit – disent-ils – est trop risqué. “So on sort de l’Europe, on n’a aucun droit de regard sur ce qu’ils décident en Europe, il faut rester dans l’Union et se battre pour freiner le dumping chinois,” affirme-t-il.

Peter Bamsey, son père, ajoute : “On doit rester dans le marché européen, on ne va pas se mettre à essayer de grapiller de nouveaux marchés en Asie, en Amérique, au Canada.”

Scott Bamsey reprend : “Sortir de l’Europe soulèvera tellement d’inconnues, c’est plus sûr de rester où on est. Il faudrait trouver de nouveaux accords commerciaux si on sort et cela ne ferait qu’aggraver une situation déjà compliquée, explique-t-il. Donc moi, je pense que rester sera la meilleure option pour nous et pour l’industrie sidérurgique.”

Cameron urges country to stay in the EU and stop China and US 'dumping' cheap steel: Stephen Kinnock warns Brexit… https://t.co/zpjbnSzclT

— cardiffjournal (@cardiffjournal) 8 juin 2016

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