Nuit debout : le pouvoir au peuple ?

Nuit debout : le pouvoir au peuple ?
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Par Valerie Zabriskie avec Stephanie Lafourcatere
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Le 31 mars dernier, un nouveau mouvement citoyen a vu le jour dans l’ombre de la mobilisation massive contre le projet de loi Travail en France : Nuit debout.

Le 31 mars dernier, un nouveau mouvement citoyen a vu le jour dans l’ombre de la mobilisation massive contre le projet de loi Travail en France : Nuit debout. Il consiste en une occupation permanente de la place de la République à Paris et en l’organisation d’assemblées générales sur place. L’initiative alimentée notamment par le succès du documentaire “Merci Patron” de François Ruffin a fait converger différentes causes et a été déclinée dans plusieurs villes françaises. Mais au fil des semaines, le mouvement semble s’essouffler alors que le texte législatif est désormais en débat au Sénat. Pour s’assurer un avenir, Nuit debout doit-il devenir un parti politique comme Podemos qui trouve ses racines dans la mobilisation des Indignés ?

Manifester, c’est presque une tradition en France, mais cette fois, on pense aux grandes mobilisations qui ont marqué l’histoire sociale du pays. Depuis plusieurs mois, la lutte contre le projet de loi Travail s’organise sous la forme de rassemblements et de grèves. Un mouvement spécifique a aussi vu le jour : Nuit debout.

“Nuit debout représente le peuple qui prend conscience que le système politique ne convient plus et que c’est à lui de reprendre les rênes de la politique,” explique Sophie Tissier, membre du mouvement. Autre militante, Héléna Aujames renchérit : “Il y a plein de gens qui considèrent que la force du mouvement, c’est justement de constituer une agora où la parole publique redevient publique et c’est une fin en soit.”

“Ces mouvements de violence sont inhérents à toute manifestation”

Au-delà des affrontements qui parfois, opposent les plus radicaux à la police anti-émeutes, la mobilisation veut exprimer un message dans un contexte de souffrance sociale liée à la crise : les citoyens ne sont pas assez entendus par les responsables politiques. euronews s’est rendu au QG de Nuit debout sur la place de la République que le mouvement occupe depuis le 31 mars. Jules Ragueneau, participant au mouvement, n’est pas étonné par les débordements : “Ces mouvements de violence sont inhérents à toute manifestation. J’ai fait beaucoup de manifestations et il y a toujours des mouvements comme cela à la fin des manifestations, cela ne m’inquiète pas plus que cela en realité,” insiste-t-il.

Nuit deboutNuit debout veut créer un espace où chacun peut prendre la parole. Des assemblées générales sont organisées sur la place tous les jours. Au coeur des discussions : ce projet de loi qui ne favorise pas l’emploi comme l’affirme le gouvernement, mais le menace d’après les participants. Chacun peut montrer son approbation en levant ou en agitant les mains.

“Nuit debout est un mouvement qui se revendique de l’horizontalité, de l‘égalité entre toutes les personnes, souligne Jules Ragueneau. Il n’y a pas de prime d’ancienneté ou d’expérience, il y a des personnes qui sont là depuis le début, d’autres qui sont arrivées plus tard, encore d’autres qui sont arrivées en cours de route et celles qui arriveront encore plus tard, ce n’est pas cela qui va déterminer l’importance des personnes,” ajoute-t-il.

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— Nuit Debout (@nuitdebout) 13 juin 2016

Depuis son lancement, il y a deux mois et demi, le mouvement attire tous types de profils et fédère de nombreuses causes. Education, immigration, droit des femmes… Dans chacun de ces domaines, certains profitent de cette plateforme pour alerter sur leurs revendications et inciter d’autres à les rejoindre. Sur la place de la République, comme nous l’indique notre reporter Valerie Zabriskie, il y a “Orchestre debout”, “Ecologie debout”, “Anti-Tafta debout”. Au sein de commissions et de comités, chacun peut s’exprimer. Mais sans programme politique, ni leader, Nuit debout peut-il véritablement avoir un impact dans la société ?

Le rôle joué par le documentaire “Merci Patron”

Pour le savoir, nous nous rendons à Marseille où ce jour-là, le collectif Marseille debout a invité François Ruffin, le réalisateur de “Merci Patron”. Dans son documentaire, le fondateur du journal de gauche radicale “Fakir” épingle Bernard Arnault, le patron de LVMH. Il y prend fait et cause pour un couple qui s’est retrouvé au chômage après la décision du groupe de luxe de délocaliser la plupart de ses activités textiles en Pologne. Dès sa sortie en février dernier, ce film coup de poing fait converger différentes luttes qui se retrouveront dans Nuit Debout.

Son réalisateur reconnaît avoir accompagné l‘éclosion du mouvement. “Pendant toute la tournée d’avant-première du film “Merci Patron”, on sentait que dans les salles, il y avait beaucoup d‘énergie et que les gens à la fin demandaient : ‘Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?” raconte-t-il. Donc il y a eu une proposition qu‘à la fin de la prochaine manifestation contre la loi Travail, on aille occuper une place et c’est ce qui s’est passé le 31 mars, il y a eu l’occupation de la place de la République qui a démarré d’ailleurs par la projection de “Merci Patron” le soir-même,” dit-il.

Qui est François #Ruffin, journaliste engagé et réalisateur de « Merci Patron ! » ?https://t.co/FZ6CwDYmUPpic.twitter.com/P4ws5a5bY8

— Yahoo Actualités (@YahooActuFR) 28 avril 2016

Sous l’impulsion de François Ruffin notamment, le mouvement s’est organisé. Il s’est aussi étendu à d’autres villes de France. Pour Kamel Bendjeguellal, membre de Marseille debout, tout repose sur les individus. “Nuit debout pour moi, ce sont les citoyens qui reprennent les choses en main, explique-t-il. Donc, il y a des romanciers, il y a des pièces de théâtre, il y a le film “Merci Patron”, tout le monde amène sa pierre, tout le monde est là, il y a “Avocats debout”, il y a plein de petites choses qui se font, énumère-t-il. Mais je pense que tout ce monde intellectuel doit converger avec le monde social, c’est le plus important”, conclut-il.

“On est plus fort qu’on le croit”

François Ruffin précise pour sa part : “Moi, je suis pour la politique des petits pas, mais je sais combien à la fois, il y a un sentiment d’impuissance. La première chose, ajoute-t-il, c’est de montrer que des fois, on peut gagner et c’est vrai que le film amène cela, on gagne quelque chose et on gagne quelque chose contre des gens puissants, dit-il. Donc les gens se disent que peut-être qu’on est plus fort qu’on ne le pense et peut-être qu’ils sont plus fragiles qu’on ne le croit et il s’agit de reproduire cette leçon-là, mais de manière beaucoup plus massive, c’est ce qui est tenté autour de la bagarre sur la loi Travail,” souligne le réalisateur.

Mais ces petits pas amèneront-ils des résultats sans que ce mouvement ne débouche sur une formation politique comme cela a pu se faire ailleurs ? Depuis sa création, beaucoup comparent cette initiative française à d’autres mouvements comme Occupy Wall Street aux Etats-Unis, mais surtout aux Indignés. De cette mobilisation espagnole est né le parti Podemos.

Est-ce que Nuit debout a besoin d’avoir un parti politique français à la Podemos ? demande notre reporter Valerie Zabriskie au politologue Gaël Brustier qui a écrit un livre sur ce mouvement français. “Certains estiment dans le mouvement que Podemos est le pire qui puisse arriver à Nuit debout parce que Podemos au fond, ce sont les nouveaux partis de la radicalité qui ont déjà trahi l’esprit des Indignés, c’est-à-dire qu’on peut changer le monde sans prendre le pouvoir, explique-t-il. Toute aspiration à prendre le pouvoir est par nature, une trahison des aspirations progressistes révolutionaires, c’est très présent, c’est dans la culture de Nuit debout dès le début, mais ce n’est que l’une des vérités de Nuit debout, concède-t-il. D’autres gens estiment au contraire qu’il faut entrer dans les institutions et que c’est comme cela progressivement qu’on change les choses,” fait-il remarquer.

#Nîmes : quel avenir pour Nuit Debouthttps://t.co/Jd2ZKyNKJXpic.twitter.com/OV3ec4QA27

— Midi Libre Nimes (@MidiLibreNimes) 15 juin 2016

Essoufflement de la mobilisation ?

En attendant, le projet de loi Travail en partie revu par le gouvernement suit son chemin parlementaire : le vote du texte est prévu début juillet au Sénat. Ce qui fait dire à certains que le mouvement a montré ses limites et qu’il est peut-être temps pour Nuit debout d’aller se coucher.

Héléna Aujames, l’une de ses membres, nous indique : “Je ne sais pas si Nuit debout va continuer ou pas, si quelque chose y mettra un terme, je sais simplement que quoi qu’il se passe après, il y aura eu cette expérience qui permet de faire prendre conscience aux gens qu’ils ont quelque chose à dire, qu’ils peuvent investir le domaine politique et que ce n’est pas quelque chose de privé, estime-t-elle. Admettons que Nuit debout échoue, poursuit-elle, il y aura certainement d’autres contestations dans les années qui viennent, les gens se rappelleront de ce qui s’est passé ici, qu’ils ont un pouvoir en tant que citoyen et cela, c’est un acquis pour nous.”

N’en déplaisent aux manifestants, Nuit debout est aujourd’hui en plein doute alors qu’il s’essouffle en province et qu’il ne réussit pas à essaimer dans les quartiers populaires. Aujourd’hui, deux tiers des Français pensent que le mouvement va s‘épuiser rapidement.

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