Où sont passés les milliards dus à la Grèce?

Où sont passés les milliards dus à la Grèce?
Par Christophe Garach
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Dette grecque : les profits cachés des banques centrales nationales

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Sans le plan de sauvetage de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, la Grèce aurait sans doute fait faillite en 2012.
Elle aurait sûrement fini par abandonner l’euro au risque d’ébranler tout le système bancaire de l’eurozone.
Parmi les centaines de milliards mobilisés pour soutenir le pays, près de 27 milliards auraient été utilisés par les Banques centrales de la zone euro pour acheter de la dette grecque afin de stopper la spéculation.
Cinq ans plus tard, on sait à présent que ces achats d’obligations souveraines ont été très lucratifs. Dans une lettre adressée récemment à des eurodéputés, Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, a révélé que les Banques centrales nationales de la zone euro ont engrangé 7,838 milliards d’euros d’intérêts depuis 2012. Qui en a le plus profité et qu’est devenu cet argent ? Euronews a enquêté.

Opacité
Nous avons demandé à la Banque centrale européenne de nous éclairer sur la façon dont ces milliards d’intérêts ont été répartis parmi les Etats membres de la zone euro. En vain. « Pour des raisons légales, il n’est pas possible pour les Etats membres de déclarer des montants spécifiques transférés par les banques centrales nationales à la Grèce », explique une source européenne.

Nous avons donc posé la même question à plusieurs Banques centrales nationales.
Impossible d’en savoir plus en Irlande, en Italie, ni même en Grèce. En Espagne, par exemple, la Banco de Espana, qui aurait engrangé, selon nos calculs, 984,42 millions d’euros, nous a répondu qu’elle ne pouvait nous communiquer aucun détail « sur la redistribution des revenus générés par le programme d’achat d’obligations publiques de Grèce, cette répartition n‘étant pas publique »… conformément à sa propre réglementation.

Au Luxembourg, c’est la presse qui a dû également faire ses propres calculs.

Quant à la Banque de France, elle nous a renvoyé vers un document de la Cour des comptes. qui nous a permis d’y voir un peu plus clair.

Grèce / Zone euro – Crise grecque: les prêts à Athènes ont rapporté 7,8 milliards d’euros à la BCE https://t.co/oNTSTQphjHpic.twitter.com/Tl8hYpYYC9

— RFI Éco (@RFI_eco) 11 octobre 2017

Qui a perçu quoi ?
Selon nos calculs, c’est la Buba (Bundesbank), la Banque centrale allemande, qui a tiré le plus profit de ces intérêts avec quelque 2,003 milliards d’euros d’intérêts. Logique : la Buba est le premier actionnaire de la Banque centrale européenne.
Mais la presse allemande, qui cite des sources proche du gouvernement, a évoqué un chiffre moins important (1,34 milliard d’euros).
Deux autres banques centrales ont aussi perçu d’importants revenus. C’est le cas de la Banque de France (avec près de 1,578 milliard d’euros) et de la Banque d’Italie (près 1,370 milliard d’euros). A titre de comparaison, Malte, le plus petit Etat de la zone euro, aurait perçu 7,21 millions d’euros.

Voici le tableau récapitulatif :

D’où viennent ces intérêts ?
Il s’agit des revenus provenant de titres grecs achetés par les Banques centrales nationales de l’Eurosystème dans le cadre du SMP (Securities Market Programme ou PMT en français, Programme pour les marchés de titres). Ces achats ont permis d’acheter de la dette publique sur les marchés secondaires “de manière à empêcher une hausse excessive des taux d’intérêt des États membres de la zone euro touchés par la crise de la dette publique », rappelle la Cour des comptes française.

De l’argent pour la Grèce ?
En vertu d’un ‘accord conclu entre les créanciers de la Grèce en 2012, les Etats membres de la zone euro qui avaient acheté des obligations grecques s‘étaient engagés à reverser les intérêts perçus à la Banque centrale de Grèce.
Or cinq ans plus tard ce n’est pas tout à fait le cas.
La Cour des comptes française en rappelle les raisons. Suite à la décision des autorités grecques de rejeter (en juin 2015), le plan de réformes proposé par ses créanciers en contrepartie du déblocage de la dernière tranche d’aide, « l’Eurogroupe (composé des ministres des finances des pays de la zone euro) a décidé de suspendre le reversement à la Grèce des revenus tirés des portefeuilles PMT et ANFA».
Autrement dit, une partie seulement des intérêts ont bel et bien été restitués. Selon Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, « 4,3 milliards d’euros » auraient été réellement redistribués depuis 2012. Mais selon des eurodéputés grecs de la gauche radicale, ce sont près de 6,213 milliards qui manqueraient toujours à l’appel (en cumulant les intérêts perçus au titre du Programme SMP et ceux du programme ANFA.

Dès lors, qui a restitué l’argent et qui ne l’a pas fait ? Ici aussi, le secret bancaire reste encore jalousement gardé. Selon nos informations, la Banque de France et la Banque du Luxembourg auraient bien décaissé les intérêts perçus. Quant à savoir si ces intérêts ont bien été restitués à La Grèce le ministère français de l‘économie n’a pas souhaité répondre à nos questions. En Allemagne, la presse a indiqué que depuis 2015 les intérêts (allemands) étaient bel et bien restés en Allemagne.
Une “sorte de punition » doublée « d’un moyen de pression “, explique Christopher Dembik, responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank.

Pertes et profits
Selon un économiste d’une grande institution bancaire, les sommes non reversées seraient placées sur des comptes propres à chacune des Banques centrales nationales pour des jours meilleurs en attendant surtout que la Grèce honore ses engagements vis-à-vis de ses créanciers. Mais la Cour des comptes française laisse supposer « que l’absence de versement à la Grèce des montants dus au titre de 2015 et 2016 » serait « définitive ». Quoiqu’il en soit, si la Grèce parvient à récupérer l’intégralité des 7,8 milliards qui lui sont dus “cet argent servira sans doute à payer de nouvelles échéances pour sa dette”, estime Christopher Dembik.

Rendez-vous en 2018
La promesse de restituer les intérêts perçus par les pays de la zone euro à la Grèce pourrait revenir sur le devant de la scène d’ici le second semestre 2018, lorsque le troisième plan d’aide à Athènes arrivera à son terme.
Récemment, l’Eurogroupe a indiqué avoir repris des négociations qui pourraient aboutir dans les mois qui viennent… ou non.

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