Terrorisme en France : qui est fiché "S", pourquoi, comment ?

Prétexte surveillance fichés "S" après attaque Trèbes.
Prétexte surveillance fichés "S" après attaque Trèbes.
Par Joël Chatreau
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Radouane Lakdim a mis en échec les renseignements français en frappant par surprise. Que le tueur islamiste ait été fiché "S" ravive la foire d'empoigne politique. Mais "S" ou pas "S", la lutte contre la radicalisation est bien plus compliquée que cela. Voyons comment fonctionne le fichage.

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Le terroriste franco-marocain Radouane Lakdim, qui a exécuté quatre personnes vendredi dernier à Trèbes et Carcassonne, dans le sud du pays, était pourtant fiché "S" depuis mai 2014, et il était toujours suivi de près. Mais, a reconnu le procureur de Paris, François Molins, "cela n'a pas permis de mettre en évidence des signes précurseurs d'un passage à l'acte".

Voilà bien le grave problème auquel se heurtent les autorités françaises depuis le début des vagues d'attentats sanglants en 2014. Ce problème est sécuritaire et politique car à chaque fois, l'extrême droite s'en empare et alimente la polémique. Marine Le Pen, la présidente du Front National, a accusé le gouvernement de "défaillance profonde". Laurent Wauquiez, le président du parti de droite Les Républicains, a attaqué de son côté le président lui-même, parlant de "coupable naïveté" d'Emmanuel Macron.

Alors pourquoi ce fameux fichier "S", dont les Français entendent malheureusement trop régulièrement parler, est-il un casse-tête ?

"S", pour commencer - peu de gens le savent - signifie "Sûreté de l'Etat". A chaque fiche correspond une personne qui est repérée par la sécurité intérieure mais pour des menaces très différentes, la radicalisation pouvant se faire à l'intérieur d'un groupuscule raciste, antisémite, au sein d'une secte ou donc dans un mouvement islamiste. 

Le fichier "S" contient un maximum de données personnelles sur les individus potentiellement dangereux. Il est un outil précieux pour la police, la gendarmerie, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), autrement dit les services secrets français. Il leur permet de suivre les suspects à la trace, de vérifier ce qu'ils font, quels sont leurs contacts, s'ils sont en lien avec d'autres fichés "S", s'ils franchissent les frontières...

La surveillance peut être physique mais les forces de sécurité manquent de bras. Elle est souvent technique, par exemple grâce à des écoutes téléphoniques. Cependant, les islamistes radicaux ont trouvé la parade, en utilisant notamment des messageries cryptées. L'objectif est bien évidemment d'agir sans que jamais le radicalisé ne se rende compte qu'il est fiché. 

19 745 radicalisés recensés, 4 000 jugés dangereux

Pour passer au stade supérieur de la lutte contre les candidats au Jihad (la "guerre sainte"), la France a mis au point en 2015 un outil encore plus performant : le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Actuellement, selon le ministère français de l'Intérieur, 19 745 personnes y sont recensées, *19 744, devrait-on rectifier, puisque Radouane Lakdim, le tueur de Trèbes abattu par les gendarmes d'élite du GIGN, en faisait partie.

Ce fichier est un concentré de la radicalisation islamiste à tous niveaux, de l'homme signalé parce qu'il ne veut plus serrer la main des femmes dans l'entreprise où il travaille, jusqu'à celui qui est en contact avéré avec le groupe Etat islamique, en passant par les jeunes gens, parfois mineurs, qui se sont convertis à l'islam et regardent assidûment de la propagande islamiste sur les réseaux sociaux. Y sont bien sûr également notés en rouge les Français qui sont partis combattre dans les rangs de Daech en Irak ou en Syrie.

Le FSPRT est mis à jour par des responsables de la lutte antiterroriste qui se réunissent régulièrement dans chaque département de France sous l'autorité d'un préfet. D'après des données officielles, sur 19 744 personnes (voir * plus haut) encore inscrites, plus de 12 000 radicalisées étaient toujours suivies fin 2017.

- Parmi elles, 4 000 étaient sous étroite surveillance car considérées comme les plus dangereuses; à noter que certains individus sont surveillés particulièrement, même s'ils se trouvent déjà en prison.

- 3 557 se trouvaient "en veille", selon le jargon de l'antiterrorisme; comprenez qu'ils étaient suivis de moins près.

- Enfin, 4 604 semblaient "rangés"; ne présentant plus de danger, leurs fiches allaient être fermées. 

En conclusion, il faut être réaliste. Bien que ce système sécuritaire soit sophistiqué, les jihadistes les plus malins arrivent à passer à travers les filets, comme l'a démontré Radouane Lakdim. Et, ce qui est encore pire, rappelle le Centre (français) d'analyse du terrorisme, c'est que 60% des terroristes islamistes qui ont ensanglanté la France depuis 2014 n'étaient absolument pas fichés.

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