Saad Hariri : "La Russie a gagné la guerre en Syrie"

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Par Noemie Wira
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Notre interview exclusive du Premier ministre libanais Saad Hariri

Le Liban est un pays souvent considéré comme au bord du chaos. Les 15 ans de guerre civile ont laissé des marques partout ici, et la situation politique du pays est régulièrement bouleversée par la guerre. Sans nul doute, c’est un pays aussi complexe qu’un puzzle. Et pour certaines personnes, ici, le seul capable de rassembler les pièces ensemble, c'est Saad Hariri, le Premier ministre libanais.

Anelise Borges, Euronews : Monsieur le Premier ministre, merci beaucoup d’avoir accepté cette interview pour Euronews. C’est une année chargée pour le Liban, vous avez tenu des élections parlementaires pour la première fois depuis une décennie. C’était en mai et vous n’avez toujours pas réussi à constituer un gouvernement. Pourquoi est-ce si difficile ? Est-ce que cela veut dire qu’il vous sera pratiquement impossible de réellement gouverner le pays ?

Saad Hariri, Premier ministre du Liban : Non, je pense que nous allons y parvenir. C’est un gouvernement qui va durer 4 ans, je pense que les gens ont besoin de comprendre cela et d’y réfléchir. Comme vous venez de le souligner, ceci vient après dix ans d’absence de procédures électorales. Le Parlement a de nouveaux membres, les tailles de chaque groupe politique ont changé. Le challenge de créer un gouvernement d’unité nationale ou un gouvernement de consensus sera un peu compliqué. Il y a tellement de partis différents à convaincre, qui veut plus ici ou là, et c’est la seule raison pour laquelle nous rencontrons des difficultés.

Euronews : Gouverner un pays comme le Liban n’est pas une chose aisée. Vous en avez fait l'expérience. Vous devez tenir compte des équilibres confessionnels. Et il y a un contexte régional de guerre. J’ai discuté avec beaucoup de gens ici qui m’ont dit que vous étiez l’homme capable de réunir toutes les pièces du puzzle. Qu’en pensez-vous? Pourquoi êtes-vous l’homme de la situation au Liban?

Saad Hariri : Je pense que vous le savez. Je pense au Liban avant même de penser à moi-même. Nous avons besoin de quelqu’un qui peut parler à tout le monde au sein des divers partis politiques du gouvernement. Si vous souhaitez un gouvernement qui marche, tout le monde doit faire quelques concessions. Parfois, je fais plus de compromis parce que je considère que le pays est plus important que mon parti politique ou qu’un autre.

Euronews : L’année dernière, vous avez annoncé votre démission lors d’un discours télévisé d’Arabie Saoudite. Je pense que le fait que vous ayez démissionné et la façon dont vous l’avez fait a surpris. C’était une grande surprise pour vos partisans mais également pour le monde entier. Que s'est-il passé ? Pourquoi avoir fait ça ?

Saad Hariri : Je voulais faire bouger le système politique car j’étais persuadé que le gouvernement allait dans le mauvais sens, que nous n'étions plus en mesure de gouverner. Vous connaissez les défis que nous avons dans la région et il ne faut pas que le Liban prenne une quelconque position. Ma décision avait pour but de produire un effet positif, de faire prendre conscience aux gens que ce n’est pas la bonne méthode pour aller de l’avant. La solution n’est pas de rendre le pays neutre mais de le dissocier de tous les conflits auxquels nos voisins arabes sont confrontés.

Euronews : Encore une fois, je pense que c’était plus votre façon de vous exprimer et le lieu d'où vous vous exprimiez...Cela rendait le message encore plus fort. Pouvez-vous nous parler des relations que vous entretenez avec l’Arabie Saoudite ?

Saad Hariri : Mes relations avec l’Arabie Saoudite sont excellentes. C’est pour le bien du Liban et de l’Arabie Saoudite. Il faut comprendre que la région du Golfe traverse une période difficile à cause de ce qui se passe au Yémen. C’est pourquoi au Liban, nous avons besoin de connaître nos intérêts nationaux, j’entends par là : nous engager au Yémen ou en Syrie ne nous apportera que des problèmes. Je comprends qu’il y a des partis politiques qui pensent différemment au Liban et c’est ce qui tue, je ne veux pas dire tuer mais qui paralyse notre pays car nous mettons nos convictions politiques avant le bien du pays.

Euronews : De quoi le Liban a-t-il besoin et quelles sont ses priorités ?

Saad Hariri : Les réformes, nous avons besoin de réformer, de nous concentrer sur notre économie. Nous avons un problème : les réfugiés. Nous avons 1 million et demi de réfugiés et c’est un problème que nous devons résoudre d’une seule voix au Liban. Il y a certaines initiatives qui viennent d’ici et là. Aujourd’hui, un projet venant de la Russie avec qui nous devrions coopérer pour trouver une solution viable. Nous souhaitons que les réfugiés décident de leur plein gré. Nous avons besoin de soutien de la part des Nations Unies. Nous avons besoin de financement, de garantir que le régime ne fera pas n’importe quoi afin de ne pas les blesser. C’est quelque chose qui nous afflige et si nous ne commençons pas à réfléchir sur une sortie de crise et comment y arriver, nous allons décevoir le Liban et perdre l’intérêt des libanais.

Euronews : J’aimerais juste revenir sur votre démission. L’année dernière, vous avez mentionné reprocher à l’Iran, je cite, "les désordres et la destruction" survenant au Liban. Vous avez dit que "le Hezbollah était sous la coupe de l’Iran et qu'il avait imposé « un fait accompli » au Liban par le pouvoir de ses armes, et que maintenant le Hezbollah et ses alliés contrôlent la majorité du Parlement". Qu’est-ce que cela veut dire ?

Saad Hariri : Ils ne contrôlent pas la majorité, c’est juste une impression de la communauté internationale ou de certains médias. Mais le Hezbollah a uniquement 30 ou 40 membres au parlement. Je pense que le parlement actuel est divisé en 3 ou 4 blocs avec des personnes du centre, de droite et de gauche, avec des gens proches des deux partis. Lorsque j’ai prononcé mon discours, j’ai évoqué tout cela. Nous avons des différends politiques, le Hezbollah sait cela et je sais qu’ils n’accepteront jamais ma politique vis-à-vis du Golfe. Je n’accepterais jamais non plus leurs politiques vis-à-vis de l’Iran et d’autres choses mais cela ne veut pas dire que notre pays doit s’arrêter de fonctionner. Oui, nous aurons toujours ces différences et nous nous disputerons toujours à ce sujet. Mais que devons-nous faire ? Est-ce que nous restons sur nos positions ou est-ce que nous essayons de dialoguer et d’en parler calmement afin de voir quelles sont les solutions possibles et comment nous pouvons résoudre ces problèmes ? Et en même temps, il y a plus de choses qui nous rassemblent que de choses qui nous séparent. Ce que je veux dire, c’est que nous pouvons changer beaucoup de choses dans le pays. Je pense à l’économie, tout le monde à un intérêt à lutter contre la corruption, tout le monde a un intérêt à réformer le pays.

Euronews : Les forces de l’opposition ont pratiquement capitulé en Syrie. Il y a une dernière place forte à Idleb. Des sources font état d’offensives massives, cela pourrait marquer la fin de la guerre en Syrie. Qu'est-ce que cela signifierait pour le Liban ?

Saad Hariri : Je pense que la Russie aura obtenu ce qu'elle voulait. La Russie contrôle la Syrie, donc nous aurons affaire aux Russes.

Euronews : Quelles sont vos relations avec la Russie ?

Saad Hariri : Elles sont très bonnes. J'ai de très bonnes relations avec la Russie et j'ai de bonnes relations avec le président Poutine pour qui j'ai beaucoup de respect. Et je pense que nous pouvons travailler avec lui.

Euronews : Donc, vous ne pensez pas que vous aurez affaire à Bachar al-Assad ?

Saad Hariri : Je préférerais parler avec le président Poutine.

Euronews : Il y a un autre leader international avec qui vous semblez vous entendre très bien, c’est le président des Etats-Unis, Donald Trump. Vous avez dit que vous appréciez son rôle de leadership dans la région. Est-ce qu’il fait du bon travail au Moyen-Orient ?

Saad Hariri : Je pense que le président Trump est quelqu’un de très clair : quand il dit quelque chose, il le fait. Le problème que nous avons eu dans le passé est que nous ne savions pas quelle était sa politique. Au moins aujourd’hui, je connais sa politique et comment je peux trouver un arrangement avec les Etats-Unis. Au moins, il y a quelqu’un avec qui nous pouvons parler de la situation. Je pense que vous savez que ce qui se passe en Syrie, c'est un échec de la communauté internationale qui n’a rien fait pour le peuple syrien. Vous savez que la communauté internationale a un poids important, notamment les Etats-Unis et l’Europe. Dans le passé, les politiques menées ont échoué. Jusqu’à 2015, vous n’aviez pas de Daech, pas de front Al-Nosra, vous n’aviez personne. Des personnes se révoltaient contre leur gouvernement. A cause de la division de la population, à cause de l’utilisation de tous ces gaz et à cause de toutes les atrocités commises, des djihadistes et des gens tarés sont arrivés. Ces gens méritent ce qui leur arrivent. Ils ont ruiné toute la révolution syrienne.

Euronews : Monsieur le Premier ministre, merci pour cette interview.

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