Rapport sur l'Islam de France : le pour et le contre des propositions

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Par Samia Mekki
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Le rapport de l'Institut Montaigne sur l'Islam de France propose des solutions pour tenter de stopper l'islamisme dans ce pays. Riva Kastoryano, professeur à l'Université américaine de Harvard, analyse le pour et le contre de ces propositions.

Le rapport de l’Institut Montaigne sur l’Islam de France et les solutions qu’il préconise pour contrer la montée de l’islamisme en France continuent à faire couler beaucoup d’encre. Ce rapport a été rédigé par Hakim El Karoui, un proche du président Emmanuel Macron et ancien conseiller de l’ex-Premier ministre Jean-Pierre Raffarin.

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Euronews a interviewé Mme Riva Kastoryano, professeur à l’Université de Harvard aux Etats-Unis. Elle donne son point de vue sur les propositions comme la taxe halal et l’enseignement de la langue arabe à l'école française. Quels sont, d'après elle, les moyens de combattre un discours religieux fondamentaliste qui pousse les jeunes Français de confession musulmane à l’ostracisme et à la recherche d’un modèle d'identité hors des frontières de leur pays.

Que pensez-vous des propositions contenues dans le rapport de Hakim El Karoui ?

Ces recommandations sont très sensées. L'auteur fait bien d’alerter la population française sur ce qui se passe notamment sur certains sites internet, et sur l’importance du discours et de la rhétorique qui sont employés, qui ont tant d’importance pour les jeunes.

Lorsque le rapport propose aux musulmans un discours alternatif, c’est pour moi une bonne approche. Mais ce que j’apprécie encore plus, c’est la recherche d’un discours républicain fort qui va créer une certaine identification. Je suis plus sceptique quant à l’identification que va créer un discours religieux musulman alternatif par rapport au discours qui existe déjà sur internet et qui a une telle force de mobilisation. Un discours qui aura la même force de mobilisation, venant de la société dans laquelle vivent les jeunes musulmans, est à mon sens très important.

L'ex-président Nicolas Sarkozy a essayé d’organiser l’Islam de France avec la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), afin de repenser le financement des lieux de culte musulman. En quoi l’approche d'Emmanuel Macron peut être différente ?

De toute façon, il n’y aura jamais une institution représentative de toute une population. Je ne sais pas combien de musulmans s’identifient à une institution créée par l’Etat. C’est inconcevable. Mais cette institution (que Karoui appelle de ses vœux) aura la capacité de négocier les intérêts d’une certaine population. Et c’est bien cela qui va créer une certaine identification. Une institution qui défend les intérêts et aussi une approche identitaire.

Le CFCM n’est peut-être pas un échec puisqu’il existe, mais la présence si importante des pays d’origine dans ce genre d’institution est une grande erreur, même si tous les pays n’ont pas la même fonction. J’ai fait une recherche sur le Maroc et celui-ci représente en pratique la politique d’intégration en France. Il y a des politiques d’intégration transnationales. Leur objectif est le suivant : essayer de nationaliser l’islam. Car le danger de ces discours sur internet, c’est l’islam global, autrement dit la globalisation de l’islam et de l’islamisme. Mais en même temps, nationaliser l’islam, c’est le « franciser », avec l’aide des pays d’origine peut-être mais le « franciser » quand même.

Mais ces jeunes ne s’identifient pas à ces pays, aux pays de leurs parents.

Absolument.

Pensez-vous que « la mainmise » de ces pays sur les institutions religieuses en France est vraiment le cœur du problème ?

Ces pays-là jouent la carte politique. Ils ne jouent pas la carte identitaire des jeunes. C’est plutôt l’islam global qui joue cette carte. Ils ne représentent rien pour ces jeunes. En revanche, ces pays jouent leur pouvoir de négociation au seins des pays d’émigration.

Je suis d’accord avec vous que ces jeunes ne s’identifient pas au pays d’origine de leurs parents, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie... C'est peut-être moins vrai pour la Turquie qui joue un peu la carte nationale. Elle joue même la carte nationale avec la carte de l’islamisme global, c’est pour cela que les jeunes s’identifient à ce pays, même les Maghrébins s’identifient à la Turquie. Donc, il faut éviter que ces pays s’appuient sur les pays d’émigration pour utiliser leur jeu de pouvoir

Quelles sont les implications de ces propositions par rapport à la laïcité, prônée par l’Etat français ? Ne peut-on pas percevoir cette initiative comme une atteinte à la laïcité, l’Etat interférant dans les affaires religieuses d’une communauté ?

De toute façon, la laïcité est à redéfinir, à négocier. On ne sait plus du tout ce qu’est la laïcité. Elle a eu dix-mille définitions depuis l’affaire du foulard en 1989. L’Etat a toujours mis la main sur les religions à travers les institutions représentatives. Et ces institutions sont des intermédiaires entre l’Etat et les populations appartenant à cette confession.

Cela ne remet pas en cause la laïcité, bien au contraire. C’est bien la laïcité qui a été à l’origine de la création de ces institutions. Pour moi, la laïcité est remise en cause par sa définition, par son application et par son implication dans la vie publique d'aujourd’hui. Prenons par exemple « le mariage pour tous ». Lorsqu'une partie de la France marche et met en avant les valeurs religieuses, cela n’a-t-il pas un effet sur la laïcité ? Bien sûr que oui. On ne sait plus du tout si la laïcité est quelque chose d’institutionnel.

Le rapport propose même qu’il y ait une formation des cadres à la laïcité dans l’éducation nationale, puisqu’il n’y a plus de laïcité telle qu’on l’entendait dans le passé. Il faudrait définir ce concept en tenant compte des populations qui ont une autre perception de la société, et arriver à un mélange de conceptions françaises, qui va comprendre toutes les préoccupations religieuses.

Comment ces propositions, une fois adoptées, seront-elles accueillies par les musulmans de France, à votre avis, et comment arriver à les faire accepter ?

C’est rassurant de voir que le diagnostic fait dans ce rapport concerne une petite partie de la population, mais qu'elle constitue quand même un danger. Il y a certes une influence mais beaucoup de jeunes musulmans ne se reconnaissent pas dans le discours islamiste en France et dans le monde. C’est donc un constat très important pour éviter tout amalgame. Le danger que souligne ce rapport ne concerne qu’une petite partie de la population musulmane.

Parmi les propositions se trouvent une taxe halal et l’enseignement de la langue arabe à l’école. Qu’en pensez-vous ?

Je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’on apprenne l’arabe à l’école. Mais je pense qu’il doit être enseigné comme langue parlée, de communication et d’usage, et non pas comme langue « religieuse ». C’est difficile de faire la distinction mais une langue littéraire peut contrer la force du discours sur internet qui est plein de haine.

Mais ces messages violents ne sont pas véhiculés par la langue arabe.

Ah, raison de plus, vous voyez !

Ces jeunes, dans leur grande majorité, ne parlent pas l’arabe.

Alors, il faut qu’ils l’apprennent. Cela va leur apporter une autre fierté que la fierté religieuse.

Pensez-vous que les propositions suffisent à endiguer le phénomène du fondamentalisme en France ?

Il faut un début. Je pense même que l’on est déjà en retard. A vrai dire, celui-ci ne date pas d’aujourd’hui. J’ai personnellement écrit sur la force du discours et sur les ambiguïtés de la laïcité. D’autres l’ont fait aussi. Mais il est important d’accepter le constat pour pouvoir passer à l’action.

Ce rapport nous dit ouvertement qu’il y a un danger. Il est important de prendre des précautions et de définir des politiques. Ce n’est peut-être pas suffisant, on le verra avec le temps. Mais Il s’agit quand même d’une étape importante.

La réponse à ce phénomène ne serait-elle pas d’abord sociale et économique puisque le terreau de l'idéologie islamiste est plutôt l’exclusion et la misère sociale. Pourquoi ne commencerait-on pas d’abord par ce chantier ?

On a essayé depuis des années. Je suis d’accord avec vous, il y a un phénomène socio-économique, un phénomène de marginalisation. Maintenant, on est à une phase identitaire. La question est comment combiner cette phase identitaire avec la question d’intégration sociale et économique. La clé est là. Mais on est un peu piégé par nos propres politiques et nos propres valeurs. On a tellement insisté sur la citoyenneté, l’égalité et les droits de l’Homme que cela s’est transformé en question identitaire, sociale, politique et économique.

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Encore une fois, je suis d’accord avec vous, le problème vient de la perte de valeurs dans la société car il n’y a pas que ceux qui sont nés musulmans, il y a aussi 30% de convertis parmi ces jeunes qui passent à l’action. Donc, il y a bien un malaise social de ne pas se sentir à sa place. Tout cela a une influence. Jouer la carte économique et sociale, la France n’y arrive pas. Est-ce que le fait de se concentrer sur le côté identitaire peut aboutir à quelque chose ? En disant à ce jeune musulman : non, tu n’es pas marginalisé, tu fais partie de cette société. Je fais tout pour toi, pour que tu aies un travail et on fera tout pour les banlieues mais commençons d’abord par le volet identitaire. Il faut que le jeune sache d’abord qui il est.

Pourquoi, à votre avis, parle-t-on d’un Islam de France et non pas d’un Islam en France? En Grande-Bretagne par exemple, est ce que l’on parle d’un Islam de Grande-Bretagne? On ne parle pas non plus d’un christianisme de France même si celle-ci est appelée la fille aînée de l’Eglise. Ces propositions ne risquent-elles pas de pousser une partie de la population musulmane au retranchement, à voir ces recommandations comme une ingérence ?

Je ne suis pas d’accord. On dit bien judaïsme français. Pourquoi dit-on les Juifs de France ? Car il y a de la "francisation" là-dedans. C’est une façon de vivre son judaïsme à la française, vivre son islam à la française. Il s’agit là d’immigration, d’intégration, de vivre dans un pays qui n’a pas la même culture, la même langue. On apprend bien le français lorsqu'on arrive en France. Il y a un mode de vie qui s’impose, auquel on s'adapte et qu'on adopte. J’irai même au-delà d’un Islam de France, je préconise un Islam français.

On est arrivé au stade d’une religion de minorité, même si la France rejette le concept de minorité. Ce sont des minorités de France et les institutions sont françaises. Il faudrait intégrer cette minorité de manière à ce qu’elle se sente bien chez elle, dans cette France. Je suis aux USA, je vois ici beaucoup de jeunes issus de l’immigration maghrébine. Ils sont Français, musulmans français. Donc je veux un Islam français. Dire Islam de France, c’est comme si on avait additionné quelque chose, comme si on avait adopté les musulmans.

C’est à nous d’abord de les accepter comme Français. Il faudrait développer un islam national par rapport à l’islam global. Car toute cette mobilisation sur internet est à propos de l’islam global justement. Je ne sais pas comment ces propositions vont être traduites sur le plan juridique et institutionnel. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’il est important de développer un discours religieux alternatif, par rapport à celui des islamistes et des djihadistes, et qui doit être en même temps un discours d’identification à la République. Les fondamentalistes ont réussi à faire adopter leur discours et les Etats n’y arriveraient pas ?

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