Euroviews. Les dirigeants mondiaux doivent soutenir Jacinda Ardern par une action concrète ǀ Point de vue

Les dirigeants mondiaux doivent soutenir Jacinda Ardern par une action concrète ǀ Point de vue
Tous droits réservés REUTERS/PHILIPPE WOJAZER
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Par Jean-Charles Brisard
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Le contenu terroriste en ligne s'est avéré maintes fois un sujet de préoccupation mondiale, et la déclaration commune de Jacinda Ardern et d’Emmanuel Macron se voulait un appel aux dirigeants de la planète.

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Alors que les détails de l'horreur inimaginable de la fusillade de Christchurch parvenaient à peine en Europe, le Premier ministre néo-zélandais, Jacinda Ardern, prenait déjà des mesures pour lutter contre l'extrémisme dans son pays. Sa réaction à l’atrocité par le refus de prononcer le nom du terroriste, la modification rapide de la législation néo-zélandaise sur les armes à feu et la désapprobation de l’idéologie à l’origine de cette haine ont été la marque d’une véritable dirigeante. Elle a pris une décision forte, directe, mettant fin à la division. Les éloges reçus à juste titre des autres dirigeants du monde sonneront creux si l’action ne suit pas les paroles.

Le 16 mai dernier, Mme Ardern et le président français Emmanuel Macron ont fait ce que de nombreux pays ont échoué à faire en réunissant les dirigeants des plateformes numériques accusées d’héberger du contenu terroriste et extrémiste, et les dirigeants mondiaux, pour l’"Appel de Christchurch", un engagement pour débarrasser les plateformes numériquesde ce genre de contenu. Se tenant en marge de la réunion “Tech for Humanity” des dirigeants du G7, la réunion avait pour objectif de définir les attentes de tous les horizons afin de mettre un terme à la propagation de l'extrémisme en ligne. Mais n’avons-nous pas déjà essayé l’autorégulation auparavant ?

Alors qu’Emmanuel Macron cherche une renaissance européenne, une action décisive contre le terrorisme au niveau européen peut être le premier exemple d'une politique cohérente et nécessaire qui aborde un problème commun à tous les citoyens européens pour les années à venir.
Jean-Charles Brisard
Président du Centre d’Analyse du Terrorisme

Le manque d'engagement concret sur cette question reste déconcertant, étant donné les expériences de nombreux citoyens européens depuis la montée en puissance de l'Etat islamique. Il est révélateur, et extrêmement préoccupant, que cette initiative soit dirigée par des dirigeants de pays qui ont connu des attentats tragiques, d’autres dirigeants mondiaux ne souhaitant offrir que des incantations et non pas des politiques répondant à ces événements.

Le partenariat avec Emmanuel Macron ne devrait pas surprendre, étant donné les pertes de vies humaines que la France a subies au cours des dernières années et en grande partie à cause de la radicalisation en ligne de jeunes. Emmanuel Macron, plus que beaucoup d'autres dirigeants occidentaux, comprend la nécessité de faire pression sur ces plateformes.

Le contenu terroriste en ligne s'est avéré maintes fois un sujet de préoccupation mondiale, et la déclaration commune de Jacinda Ardern et d’Emmanuel Macron se voulait un appel aux dirigeants de la planète. De la possibilité que les combattants de l'Etat islamique rentrent dans leurs pays européens au risque d'attaques futures sur tout le continent, l'extrémisme n'est plus un sujet que les dirigeants peuvent éluder. À travers Christchurch, les dangers inhérents à l’extrémisme numérique ont maintenant été montrés au monde.

Une recherche rapide sur Google avec le mot-clé “Christchurch shooting” présente des centaines de références au manifeste de l'auteur, avec des événements similaires se déroulant dans une synagogue de San Diego il y a quelques semaines. Les groupes néo-nazis, suprémacistes blancs et d'extrême droite maintiennent une présence sur Facebook, le troisième site Web le plus visité au monde. Même si la plateforme interdit explicitement de tels discours de haine dans ses règles d’utilisation, ce type de contenu continue à apparaître. En septembre 2018, le Counter Extremism Project (CEP) a identifié et surveillé une sélection de 40 pages Facebook appartenant à des sites de vente en ligne proposant des vêtements, de la musique ou des accessoires de groupes suprémacistes blancs ou néonazis. Les pages ont été identifiées en recherchant des mots-clés connus de l’univers suprématiste blanc ou du néonazisme. Les chercheurs du CEP ont enregistré des informations pour chaque page, telles que le nombre de likes, la date de création et des exemples de contenu suprématiste blanc ou néonazi. Après deux mois, CEP a signalé à Facebook les pages (35 sur 40 maintenues en ligne) et constaté que seules quatre pages avaient finalement été supprimées. Cet exemple montre les limites du processus de surveillance et de suppression des contenus ne respectant pas ses règles d’utilisation que met en œuvre Facebook.

Si le mode d’action en ligne de la jeunesse radicalisée reste inchangé, les terroristes ont maintenant pris goût à l'infamie en ligne. Dans sa réponse à l'attaque de Christchurch, Jacinda Ardern a assuré que cela ne serait plus toléré et cherche maintenant à empêcher que de telles actions soient encore possibles.

Jacinda Ardern a appelé les chefs d’État à faire preuve de plus de résolution. Son leadership, ainsi que celui d’Emmanuel Macron en la matière ces derniers mois ont été exemplaires et ne peuvent qu’inciter leurs homologues à suivre l’exemple en unissant leurs forces et en faisant de ce sujet une priorité. Le Président français a fait preuve d’une grande détermination lors de sa discussion avec le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, le 10 mai. La possibilité d’adopter un équivalent français à la Netzwerkdurchsetzungsgesetz (Netz DG) y a notamment été discutée. Une législation nationale visant à lutter contre les contenus préjudiciables au public français n’est potentiellement que la première étape que M. Zuckerberg sera forcé d’accepter. Le gouvernement propose également la création d’une autorité dans chaque pays de l’UE pour surveiller l’application des principes de transparence sur les réseaux en ligne. Pour les propriétaires de la plateforme, la limitation de la législation au niveau national est une priorité, mais cela ne fournirait pas la protection requise pour tous les européens. Alors qu’Emmanuel Macron cherche une renaissance européenne, une action décisive contre le terrorisme au niveau européen peut être le premier exemple d'une politique cohérente et nécessaire qui aborde un problème commun à tous les citoyens européens pour les années à venir.

La volonté des décideurs politiques est partagée par Chris Hughes, co-fondateur de Facebook qui a cessé ses activités depuis 2007, et qui souligne la nécessité de limiter le pouvoir détenu par M. Zuckerberg. Dans un article publié dans le New York Times, Hughes a appelé le gouvernement américain à retirer les services Whatsapp et Instagram du contrôle de Facebook. Quelle justification les dirigeants européens peuvent-ils trouver à leur inaction, alors même qu’un des co-fondateurs de Facebook fait le constat qu’il faut réguler la plateforme de l’extérieur ?

Les décideurs politiques européens seraient avisés de tenir compte de son conseil, alors que plane de sérieux doutes sur la capacité et la volonté des dirigeants de Facebook de s’assurer que leur plateforme ne facilite pas les contenus préjudiciables.

Plus de deux mois après les terribles attaques de Christchurch, Mme Ardern espère des mesures qui changeront les conditions de la lutte contre le terrorisme numérique. Pour de nombreux dirigeants du monde, y compris le président Macron, cette décision sera infiniment plus facile que les défis qui ont déjà été surmontés, et constituera un énorme pas en avant pour mettre fin à ces menaces en ligne.

Jean-Charles Brisard est le président du Centre d’Analyse du Terrorisme et conseiller senior du Counter Extremism Project (CEP).

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