Fermetures de lits en réanimation pédiatrique à Paris : l'appel au secours des parents

Archive : un médecin s'occupe d'un prématuré dans un service de nénatologie au  Centre Hospitalier de Lens, 4 décembre 2013
Archive : un médecin s'occupe d'un prématuré dans un service de nénatologie au Centre Hospitalier de Lens, 4 décembre 2013 Tous droits réservés Philippe Huguen, AFP
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Par Marie Jamet
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"On parle de services où c'est la vie et la mort qui se jouent (...) Se dire que l'on menace l'équilibre de ces services pour des raisons budgétaires, bassement matérialistes, c'est tout simplement insupportable."

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C'est un cri de colère aussi puissant que celui d'un père ou d'une mère dont l'enfant est entre la vie et la mort. C'est le cri d'une centaine de familles dont les enfants sont passés par les services de réanimation pédiatrique et néonatale des hôpitaux publics d'Île-de-France. Leur message est clair : il faut sauver ces services aujourd'hui en danger.

Ils ont lancé samedi 4 janvier une pétition en ligne pour alerter la ministre de la Santé française Agnès Buzyn, ainsi que les Français, de la situation. Cette pétition a recueilli 31 000 signatures en trois jours.

Tout est parti d'un reportage publié par le quotidien français Libération le 18 décembre dernier dans lequel la journaliste Sevin Rey-Sahin explique comment trois services de réanimation pédiatrique de la région parisienne ont déjà dû fermer des lits en raison de manque de personnel : trois lits au Kremlin-Bicêtre, quatre à Garches et même neuf à l'hôpital Necker. Quatre autres sont menacés à Trousseau.

Elle a eu l'idée de couvrir la situation des services de réanimation pédiatrique après y avoir passé un mois suite à un grave problème de santé de son fils. C'était en juin 2019 ; c'était l'été. Lorsqu'elle propose le sujet à sa rédaction qui l'accepte, elle pense couvrir quelques difficultés de travail, "les horaires à rallonge, des cas de burn-out, mais je ne savais pas trop ce que j'allais trouver en allant enquêter sur place". Elle passe trois jours sur place, en hiver, alors que démarrent les épidémies de bronchiolites, de gastro-entérite et de grippe. Le manque de places pour les patients, par manque de personnel, est alors criant. "Mais ce n'était pas que, physiquement, il n'y avait pas de place et trop d'enfants ; c'est qu'il n'y avait pas assez d'infirmières." Et, elle l'explique dans son article, les soins sont tellement lourds en réanimation qu'il existe un quota de trois infirmiers par enfant.

Lorsque le quota n'est pas rempli, comme c'est le cas essentiellement pour des problèmes de recrutement, un lit est fermé. L'objectif est de ne pas diminuer la qualité des soins apportés aux autres patients. Mais comment recruter des infirmiers pour 1 600 € par mois en région parisienne pour des postes très exigeants et pour lesquels les soignants "donnent tout" quand un simple poste de jour est payé 2 000 € par mois en clinique privée ? Alors, lorsqu'un lit ferme, il faut trouver une autre place ailleurs. Et parfois, cet ailleurs est à plusieurs centaines de kilomètres de là. Pour Sevin Rey-Sahin, il est clair que son fils n'aurait pas survécu à un tel voyage.

Quand Pauline Lavaud lit l'article de Libération, c'est un "électrochoc". Son fils Elias a passé neuf jours dans le service de réanimation de l'hôpital Trousseau avant de décéder. "Je me suis dis que c'était impossible de rester là à ne rien faire" explique-t-elle à Euronews. "Comme un peu de temps s'est écouler depuis que je suis passée par ce service, je me suis dit que c'était quasiment un devoir d'agir, d'alerter et de faire savoir à quel point ce sont des services vitaux, essentiels".

Entendre cette information lui a été "insupportable". "Nous on sait, on a vu ce que sont ces services : ce sont des services d'excellence, des services de pointe, des soignants dévoués qui font tout ce qu'ils peuvent pour soigner des enfants. On parle de services où c'est la vie et la mort qui se jouent, des services critiques. [...] Se dire que l'on menace l'équilibre de ces services pour des raisons budgétaires, bassement matérialistes, c'est tout simplement insupportable. Ça m'a profondément révoltée."

Se dire que l'on menace l'équilibre de ces services pour des raisons budgétaires, bassement matérialistes, c'est tout simplement insupportable.
Pauline Lavaud
Initiatrice de la pétition des usagers pour sauver les services de réanimation pédiatrique d'Île-de-France

Elle entre alors en relation avec la journaliste. Elle n'est pas la seule. Sevin Rey-Sahin dit avoir reçu de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux suite à la publication de son article, "notamment sur Instagram où il y a une grande communauté de mères".

Elle a notamment été "particulièrement émue" par le message de Pauline Lavaud, 9mois9jours sur Instagram : "Une phrase m'a vraiment marquée : elle m'a dit 'mon conjoint et moi ne nous sommes jamais sentis autant en colère depuis la mort de notre enfant" un an et demi plus tôt.

"Pour nous, ce sont des héros"

Pauline Lavaud, son conjoint et d'autres parents avec qui ils sont en relation via les réseaux sociaux décident alors de lancer une pétition et une tribune pour faire entendre la voix des usagers de ces services qui, pour certains, sont en grève depuis des mois. Un premier appel lancé via leurs comptes rassemblent la première centaine de signataires.

Pauline Lavaud se dit peu étonnée de la rapidité de la mobilisation : "Personne n'est à l'abri de devoir passer un jour par ce type de service et tout le monde a envie d'être sûr qu'ils fonctionnent bien."
Elle considère que la pétition "fait écho au sentiment que beaucoup ont d'une dégradation des services public [...] Je pense que de nombreuses personnes ne savaient pas et pensaient que les secteurs vitaux étaient 'sanctuarisés' . Quand des textes comme le nôtre circulent, ils font prendre conscience de la situation".

Elle rapportent que les équipes de Trousseau, qu'elle a tenu informées de leur démarche, sont "contents qu'il y ait une prise de parole des usagers" : "Ils ont le sentiment de ne pas être entendus par la ministre. Cela fait des mois et des mois que les services d'urgence sont en grève, que des appels ont été lancés dans la presse par des praticiens hospitaliers, y compris par des professeurs de médecine tout en haut de la hiérarchie pour alerter sur la situation". Sans résultats satisfaisants jusqu'à présent.

La journaliste Sevin Rey-Sahin fait état du même sentiment. Pour elle, "l'effet immédiat de cette pétition est que les soignants ne se sentent pas seuls". Elle souligne qu'en plus des mois de grève, une autre pétition lancée par l'autrice Marie Desplechin début octobre pour défendre l'hôpital public, a rassemblé à ce jour plus de 275 000 signatures, sans faire bouger le gouvernement.

Pour les parents, ces soignants "sont des héros". Mais le soutien est réciproque. Sevin Rey-Sahin rapporte que les infirmières et infirmiers de ces services disent aux parents "notre reconnaissance, c'est vous", lorsqu'ils les "remercie[nt] d'avoir sauvé leur enfant" et de leur soutien humain à, eux, les parents. La journaliste ajoute que pour ces infirmiers, mal payés, peu écoutés par leur hiérarchie et confrontés à la mort quotidiennement, "ce genre de mobilisation leur dit 'vous n'êtes pas seuls" dans votre combat pour sauver l'hôpital public.

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