Comment le changement climatique pousse des Européens à l’exil
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Comment le changement climatique pousse des Européens à l’exil

Par Marta Rodriguez MartinezLillo Montalto Monella
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Chacun d’entre nous peut devenir un sans-abri, même ici en Europe. Euronews est partie réaliser une série documentaire exclusive à la rencontre des Européens forcés de quitter leur ville et leur maison à cause de la crise climatique.

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Pour cette série documentaire exclusive, Euronews est partie à la rencontre des Européens forcés de quitter leur région, leur ville et leur maison à cause de la crise climatique, et aussi de ceux qui ont choisi de rester malgré tout, et malgré le peu qu'il leur reste.

Le changement climatique pourrait bien faire de vous un sans-abri du jour au lendemain, même ici en Europe.

Inondations subites, glissements de terrain et incendies de forêt provoqués par des vagues de chaleur caniculaire sont autant de phénomènes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents du fait du changement climatique.

Et lorsque ces catastrophes détruisent tout ce que vous possédez, vous risquez de vous retrouver migrant climatique, tel Iris, Anne et Jean, Álvaro, Magdalena, Ana et Zekira ou bien encore Julie et Chris. Tous ont été contraints de quitter leur foyer, tous font partie de ces Européens exilés climatiques, une réalité jusqu'à maintenant ignorée par les médias.

"C'est une réalité en Europe, et non pas quelque chose qui va se produire dans des siècles", affirme Dina Ionesco, qui dirige les travaux menés sur les migrations et le changement climatique à l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

On appelle migrants environnementaux les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraints de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent
IOM, 2011:33

Pour trouver ces migrants environnementaux européens, nous nous sommes rendus dans les pays du continent qui ont connu le plus grand nombre de déplacés en raison d'événements climatiques, d'après les données fournies par le Centre de surveillance des déplacements internes (IDMC) : la Bosnie-Herzégovine, l'Espagne, la France et l'Allemagne.

Nous nous sommes également rendus en Moldavie, classée comme le pays d'Europe le plus vulnérable face au climat, et au Portugal, le pays européen avec le plus d'incendies de forêt annuels depuis 2015.

"Les mouvements de population dus aux catastrophes naturelles sont un phénomène mondial, même dans les pays à haut revenu comme ceux d'Europe", explique Alexandra Bilak, directrice de l'IDMC.

Euronews - Données fournies par IDMC

Plus d'événements météorologiques extrêmes, et plus dangereux

Les événements climatiques à l'origine de ces mouvements de population en Europe ont plus que doublé au cours des quatre dernières années, passant de 43 en 2016 à 100 en 2019. Et, rien que sur les deux premiers mois de 2020, les tempêtes Gloria, Brendan, Ciara et Dennis ont déjà fait des ravages sur les façades nord et ouest du continent.

Le changement climatique aggrave ces phénomènes météorologiques extrêmes, les rendant plus meurtriers et augmentant les chances qu'ils se produisent à toutes les latitudes. "Nos projections climatiques montrent que les événements que nous classons aujourd'hui comme extrêmes deviendront plus fréquents à l'avenir... ils deviendront la nouvelle norme", prévient Gianmaria Sannino, responsable du laboratoire de modélisation du climat à l'Agence nationale italienne pour les nouvelles technologies, l'énergie et le développement économique durable (ENEA).

Euronews - Données fournies par IDMC

Derrières les statistiques, une réalité humaine

Derrière chaque catastrophe, en plus de nouveaux chiffres inscrits dans une base de données, il y a des gens qui ont tout perdu. En Europe, la plupart parviennent à reconstruire leurs maisons et à revenir. Mais certains n'ont pas cette chance.

Selon les statistiques, les vagues de canicule en Espagne sont plus nombreuses que jamais, avec une durée moyenne de 15 jours au cours des cinq dernières années, contre une durée moyenne de cinq jours entre 1975 et 2014. Mais ces chiffres, aussi impressionnants soient-ils, ne racontent pas les situations comme celle que vit Álvaro.

Photo: Marta Rodriguez
Álvaro García Río-Miranda, un berger de 30 ans, photographié à Descargamaría, Sierra de Gata, en novembre 2019Photo: Marta Rodriguez

En 2015, ce berger de 30 ans venait de commencer à travailler dans la vallée de la Sierra de Gata, à la frontière entre l'Espagne et le Portugal, lorsqu'un incendie de forêt a tué la moitié de son troupeau. N'ayant pas les moyens d'assurer ses animaux, comme beaucoup de jeunes agriculteurs en Espagne, Álvaro a été contraint de partir à l'étranger pour trouver un autre travail.

L'incendie a été attisé par la plus longue canicule jamais enregistrée dans le pays. Álvaro se souvient : "J'ai couru avec [mes animaux] pendant quatre jours, je ne savais pas où les mettre. Ils ont failli être brûlés vifs dans le village. Tant que cela ne vous arrive pas, vous ne pouvez pas comprendre".

Les inondations soudaines se produisent également plus près de chez nous que nous le croyons, et elles affectent aussi bien des villes européennes que des îles tropicales.

En 2010, La Faute-sur-Mer, une petite ville de la côte atlantique française, a été dévastée par une inondation aggravée par la hausse du niveau de la mer. L'eau a tué 29 personnes et en a délogé des centaines d'autres. Elisabeth a perdu son mari et son petit-fils lorsque sa maison a été inondée en plein milieu de la nuit. Cette même nuit, un autre habitant a perdu sa mère, sa femme et ses deux fils. Si Elisabeth est restée, réticente à laisser le souvenir de sa famille derrière elle, lui n'est jamais revenu.

AP David Vincent
Des rues inondées à La Faute-sur-Mer, sur la côte atlantique, le 01 mars 2010AP David Vincent

700 000 déplacés en Europe au cours de la dernière décennie

Il y a eu 700 000 histoires de ce genre en Europe au cours de la dernière décennie. Et, par nature, les avalanches, les tempêtes, les inondations et les incendies de forêt frappent souvent plusieurs fois au même endroit.

"Je ne suis pas sûr qu'un seul épisode favorise les déplacements de population", estime Yves Tramblay, un scientifique de l'Institut français de recherche pour le développement spécialisé dans les risques hydrologiques. "Cependant, je pense que si ces épisodes se répètent dans les mêmes zones qui sont fréquemment touchées, ils peuvent réellement pousser les gens à se relocaliser ailleurs, s'ils en ont la possibilité".

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Après quelques années à l'étranger, Álvaro a donné une nouvelle chance à la Sierra de Gata et il est revenu avec un nouveau troupeau. Mais la menace constante d'un incendie le rendait paranoïaque chaque été. Sachant qu'il ne supporterait pas un autre incendie, il a décidé de partir pour la Suisse - cette fois-ci pour de bon.

Euronews - Données fournies par IDMC

Diriez-vous que vous êtes un migrant climatique ?

L'impact du changement climatique en Europe est un phénomène suffisamment récent pour que la plupart des migrants climatiques ne se rendent pas compte qu'ils le sont devenus. Selon une étude réalisée par les Nations unies, les migrants ont tendance à sous-estimer le climat en tant que facteur de leur exode.

La plupart expliquent leur déplacement en terme de pauvreté, en négligeant souvent la cause profonde à l'origine de la détérioration de leurs biens et de leurs terres, et de la perte de productivité qui en découle.

"Même dans les cas où il est très clair que les effets du climat sont directement à l'origine de leur migration, comme dans le cas d'une grave sécheresse, les gens ne le reconnaissent pratiquement jamais", explique Beatriz Felipe, une chercheuse espagnole sur les migrations climatiques.

Photo by Patricia De Melo MOREIRA/AFP
Un homme regarde les incendies à Anciao, Leira, au centre du Portugal, le 18 juin 2017Photo by Patricia De Melo MOREIRA/AFP

Ana, une Bosnienne de Domaljevac, une petite ville à la frontière de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie, a décidé de s'installer en Allemagne après une inondation catastrophique survenue dans sa région en 2014.

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C'est une combinaison de nombreux facteurs, un processus complexe, mais les effets du changement climatique ont été un facteur déclencheur du dépeuplement de nombreux villages
Mirza Kušljugić
Ancien représentant permanent de la Bosnie-Herzégovine auprès de l'ONU

Lorsque la rivière Sava a rompu ses digues après trois semaines de pluies torrentielles, 98 % de la ville natale d'Ana a été submergée et sa maison nouvellement construite a été détruite.

"Ces événements m'ont profondément changée, même si j'ai toujours voulu rester et vivre ici", confie-t-elle au téléphone depuis son domicile de Francfort, en Allemagne, où elle a rejoint son mari avec son fils. "Ces inondations m'ont fait réfléchir à ce que je pourrais offrir à mon enfant dans ce village, en Bosnie, dans deux, trois ou dix ans".

Cependant, elle ne peut pas affirmer avec certitude que les inondations ont été la raison de son départ à l'étranger, mais elles ont plutôt été "la cerise sur le gâteau dans notre prise de décision".

Le fait que les mouvements migratoires après un événement climatique extrême peuvent sembler, et même être ressentis, comme étant volontaires, en particulier lorsque les migrants en question disposent d'options qui vont de pair avec des moyens économiques, contribue à ce manque de clarté. Comme l'indique un rapport de l'OIM, la migration environnementale est parfois forcée, parfois volontaire, mais est le plus souvent quelque part entre les deux.

Lorsque vous êtes forcé de faire quelque chose parce que c'est la bonne chose à faire, ce n'est pas la même chose que de prendre une décision parce que vous le voulez
Anne Birault
Habitante déracinée de La Faute-sur-Mer, France

Comment prouver les menaces liées au changement climatique ?

L'utilisation du terme "réfugié climatique" crée beaucoup de buzz, selon Maeve Patterson du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), "mais aussi beaucoup de confusion, car ce terme n'existe pas dans le droit international".

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Pour demander le statut de réfugié, il est nécessaire de démontrer la persécution fondée sur la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l'appartenance à un groupe social particulier. "Mais vous ne pouvez pas démontrer ce genre de persécution liée au changement climatique", déclare Mme Ionesco de l'OIM.

Selon elle, il existe actuellement un débat international sur la nécessité de distinguer les réfugiés climatiques d'une part des migrants climatiques d'autre part. La position actuelle de l'OIM est que l'ouverture de la Convention de 1951 sur les réfugiés pour y inclure l'exode causé par le changement climatique risquerait d'affaiblir l'intégrité du statut actuel de réfugié.

Mme Ionesco estime que les politiques migratoires qui existent déjà - telles que la protection temporaire accordée à une personne qui traverse une frontière en raison d'une catastrophe naturelle - peuvent constituer une partie de la réponse.

Si le statut de réfugié dépend également du fait que la personne a franchi une frontière, Mme Patterson souligne que le changement climatique "crée généralement des déplacements internes aux pays avant d'atteindre un niveau tel qu'il entraîne le déplacement de personnes au-delà des frontières nationales".

Dans la plupart des pays, les lois relatives aux mouvements de population internes, si elles existent, sont focalisées sur les conséquences des conflits - comme c'est le cas en Bosnie-Herzégovine. Ses lois ont été développées à la suite de l'accord de Dayton, l'accord de paix qui a mis fin à la guerre en Bosnie. Bien que certains des principes s'appliquent aux mouvements de population en cas de catastrophe, ils ont été largement négligés dans le droit national.

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Photo courtesy of Miroslav Lucić.
La ville bosnienne de Domaljevac-Šamac a été entièrement submergée en 2014Photo courtesy of Miroslav Lucić.

Compte tenu des autres facteurs cités par les migrants climatiques que nous avons rencontrés dans leur décision de quitter leur foyer, et qui reflètent le récit de la majorité des migrants climatiques, il peut être difficile d'isoler le changement climatique en tant que seul motif de départ - ce qui signifie qu'il est également difficile de le faire entendre devant les tribunaux.

"Si vous êtes exposé à un produit chimique et que vous développez un cancer, vous aurez du mal à prouver au tribunal que le cancer a été provoqué par les produits chimiques", fait remarquer Corinne Lepage, ancienne ministre française de l'Environnement.

Désormais l'avocate spécialiste des questions d'environnement est la plus en vue du pays, elle a représenté les victimes de la tempête Xynthia de 2010 à La Faute-sur-Mer et a obtenu gain de cause dans le procès contre le maire de la ville.

"C'est [en quelque sorte] la même chose pour le climat : même s'il y a une forte présomption, il est très difficile de prouver que [ces] événements ne se seraient pas produits normalement".

Selon Mme Lepage, le cas de La Faute-Sur-Mer devrait être une leçon de droit en matière de changement climatique. Elle estime aussi qu'il y a du travail à faire, étant donné l'absence de législation existante en France pour répondre aux catastrophes climatiques, de plus en plus courantes.

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Dans ce domaine, l'Europe est à la traîne par rapport à l'Afrique. L'Union africaine a en effet adopté la Convention pour la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique, un document juridiquement contraignant et complet. Également connue sous le nom de Convention de Kampala, celle-ci reconnaît le changement climatique comme une catastrophe d'origine humaine provoquant des migrations. L'UE ne dispose pas d'une convention équivalente à l'échelle du continent.

"À l'exception de la Finlande, de l'Italie et de la Suède, aucun pays [européen] ne dispose d'un volet climatique dans son dispositif de protection", explique Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Selon lui, cela rend très difficile la mise en place d'un cadre juridique européen pour la protection de l'environnement.

Photo: Victor Ciobanu
Une maison en ruines à Cotul Morii, Moldavie, en novembre 2019Photo: Victor Ciobanu

L'exemple de la Moldavie

La Moldavie, le pays le plus pauvre d'Europe et le plus exposé au changement climatique, ne dispose pas d'une définition claire de la notion de personnes déplacées internes dans son cadre législatif.

Les lois régissant les migrations dans le pays se concentrent sur les réfugiés et les demandeurs d'asile. En Moldavie, le terme "personnes déplacées" ne désigne que les étrangers.

Interrogé sur la manière d'adapter les politiques du pays pour tenir compte de la réalité toujours plus importante du changement climatique, le président moldave Igor Dodon a répondu à Euronews : "La question n'est pas celle d'un pays ou d'une nation, mais d'une question globale". Il a déclaré qu'il y avait plusieurs plans pour atténuer les effets de la crise climatique dans son pays, mais sans donner ni détails ni exemple précis.

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Selon l'ONU, la Moldavie a subi onze sécheresses entre 1990 et 2015, qui ont coûté au pays plus d'un milliard d'euros.

Il est très difficile de dire combien de personnes ont été déplacées en raison des conditions climatiques
Vasile Scorpan
Directeur du Bureau du changement climatique de Moldavie

De nombreux rapports et analyses ces dernières années ont permis de faire le lien entre les migrations, le changement climatique, et la dégradation de l'environnement. Cependant, ces études mentionnent l'Europe uniquement en tant que "destinataire" de ces flux migratoires.

"Dans l'imaginaire commun, les flux migratoires ne proviennent que d'Afrique ou de pays en développement", déclare le scientifique Sannino de l'ENEA.

La difficulté de suivre les mouvements volontaires (mais sous la pression de catastrophes) de personnes d'un pays européen à un autre, comme la migration d'Ana de Bosnie-Herzégovine vers l'Allemagne, entraîne une sous-estimation généralisée du phénomène, tant par les médias que par les organismes scientifiques.

"Même si le niveau de préparation des pays européens est beaucoup plus élevé que celui des autres, il y a en fait moins d'informations disponibles", explique Alexandra Bilak de l'IDMC. "Non seulement sur le nombre de personnes contraintes de se déplacer chaque année, mais aussi sur ce qui leur arrive sur le long terme ".

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La région européenne est clairement sous-étudiée, reconnaît M. Dumont de l'OCDE, qui cite des raisons allant de l'échelle relativement modeste des déplacements à l'absence de rapports officiels sur les flux de retour après une catastrophe, en passant par le fait que l'on ne dispose pas de définition juridique au niveau national et international.

AFP
Andre Pais, jeune résident de Pedrógão Grande devant son camion incendié à Barraca da Boavista, Portugal, le 09 août 2017AFP

Une question économique

"Nous craignons que les déplacements liés aux catastrophes puissent exacerber les inégalités socio-économiques", affirme Mme Bilak. Elle explique que les familles à faible revenu sont exposées de manière disproportionnée à ces catastrophes et courent un risque plus élevé d'être déplacées par celles-ci, et ce pour des périodes plus longues.

En Bosnie-Herzégovine centrale, un grand nombre des personnes touchées par les inondations de 2014 étaient des personnes vivant avec un revenu annuel de 2 500 euros. Les glissements de terrain ont démoli leurs maisons, et ont causé jusqu'à 50 000 euros de dommages dans certains cas.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, Philip Alston, estime que l'humanité se dirige vers un "apartheid climatique".

"Nous sommes préoccupés par le fait que de nombreux ménages à faibles revenus vont acheter des terrains moins chers pour construire des maisons moins chères dans des zones qui vont être plus vulnérables à ce type d'événements dans le futur, et donc ce schéma de pauvreté et de vulnérabilité ne fera que se perpétuer et s'aggraver au gré des catastrophes futures".

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Karl-Josef Hildenbrand - Dpa/AFP
La ville de Deggendorf inondée, sud de l’Allemagne, le 05 juin 2013Karl-Josef Hildenbrand - Dpa/AFP

Cependant, même en Bavière, dans le sud-est de l'Allemagne, qui est pourtant l'une des régions les plus riches d'Europe, certains habitants n'ont pas les moyens d'assurer leur maison face aux effets des événements climatiques. Karl est un retraité qui vit avec 850 euros par mois. Il lui a fallu plus de six ans pour reconstruire sa maison après les inondations de 2013. Si cela devait se reproduire, il n'obtiendrait pas d'aide financière pour le faire. En effet, en 2019, le gouvernement régional de Bavière a décidé de mettre fin au soutien économique public aux victimes de catastrophes naturelles sans assurance habitation. Cette assurance coûterait aujourd'hui à Karl 1 000 euros par mois.

Où vont les migrants climatiques européens ?

Dans la plupart des cas, les déplacements dus au changement climatique se font à l'intérieur des frontières du pays concerné. Mais bien que forcés d'abandonner leurs foyers et leurs moyens de subsistance, les déplacés internes "sont souvent les plus oubliés et les plus négligés dans les nombreuses situations d'urgences elles-mêmes oubliées et négligées de par le monde", pour reprendre les Principes directeurs relatifs au déplacement interne de personnes, un ensemble de principes internationaux auxquels tous les pays sont tenus de se conformer en vertu du droit humanitaire international.

Les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays sont souvent des réfugiés en tous points, mais elles sont considérées comme les parents pauvres des réfugiés : leur vulnérabilité et leur visibilité sont moins dignes d'intérêt dans les médias, ne serait-ce que parce qu'elles n'ont pas eu à traverser une frontière
IDMC

Après la tragédie de Xynthia, Anne et Jean ont perdu leur maison à La Faute-sur-Mer. Contrairement à beaucoup d'autres Européens, ils ont été indemnisés par l'État français et ont décidé de déménager à 30 kilomètres de là, plutôt que de vivre dans la crainte qu'une autre tempête ne les frappe alors qu'ils dorment.

Euronews/ Lillo Montalto Monella
Anne et Jean Birault, anciens habitants de La Faute-sur-Mer, après la destruction de leur maison par la tempête XynthiaEuronews/ Lillo Montalto Monella

Mais pour eux, "ce n'est pas une question de distance". Ils disent que l'argent ne peut pas racheter ce qu'ils ont perdu en quittant leur maison et les souvenirs de leur vie passée.

De nombreuses victimes d'événements climatiques extrêmes sont obligées d'emménager chez des membres de leur famille à la suite de ces événements, certaines devant même traverser les frontières pour le faire. Dina Ionesco explique : "Très souvent, les gens sont déjà dans une histoire de migration très complexe, avec des membres de leur famille vivant dans des pays différents".

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"Une de mes amies a été recueillie le jour des inondations par son mari," se souvient Ivana, une infirmière bosnienne de Domaljevac. "Il est venu la chercher d'Allemagne, elle est montée dans la voiture et elle est partie. Et sa maison n'a même pas été inondée. Pour elle, c'était simplement un déclic pour partir et ne jamais revenir".

Selon Dana Ionesco, qui dirige les travaux menés sur les migrations et le changement climatique à l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), la discussion au niveau international doit être non seulement politique, mais aussi technique, par exemple sur la façon dont des services consulaires adaptés peuvent être mis à la disposition de ceux qui déménagent à la suite d'un événement lié au changement climatique.

Même son de cloche pour Alexandra Bilak de l'IDMC : "Il devrait incomber aux gouvernements nationaux, en tant que premiers intervenants, de commencer par la collecte de données, de suivre la situation dans le temps et de mettre ensuite en place le bon type de systèmes pour soit reloger, soit indemniser les personnes".

Vers un nouvel exode urbain ?

Les zones rurales sont par nature plus vulnérables que les villes au changement climatique, étant donné que "les activités économiques humaines sont davantage liées à la terre, qui est touchée par les inondations et les sécheresses", selon le chercheur espagnol Beatriz Felipe. "En fin de compte, si la terre ne subvient plus à leurs besoins, les gens doivent s'adapter ou partir".

Mme Bilak souligne que, par conséquent, les personnes vivant dans les zones rurales auront tendance à fuir vers les zones urbaines. Ainsi, permettre aux villes d'être mieux préparées à ce flux de personnes doit être une priorité pour l'avenir.

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Photo: Victor Ciobanu
Une femme âgée de Cotul Morii en MoldaviePhoto: Victor Ciobanu

De plus, le dépeuplement des zones rurales et leur vulnérabilité au changement climatique sont des processus qui se renforcent mutuellement. La leçon apprise dans la région espagnole de la Sierra de Gata après l'incendie de 2015 peut être appliquée à toute l'Europe. "Ici, les montagnes n'ont pas de forêts primaires. C'est un paysage qui a été modifié par l'Homme au cours de milliers d'années", souligne Carmen Hernández Mancha, une journaliste environnementale locale. "Afin qu'il soit sain et qu'il puisse résister au changement climatique et aux incendies, il faut que des gens y vivent" et l'entretiennent.

Héritage émotionnel

Lorsque, l'année suivant l'inondation qui a détruit sa maison à la Faute-sur-Mer, un tsunami frappe le Japon, Anne "se met à trembler de la tête aux pieds".

AFP
Eduardo Abreu, 62 ans, et Luisilda Malheiro, 62 ans, à Figueiro dos Vinhos, Portugal, le 18 juin 2017AFP

Au Portugal, Julie et Chris, des retraités britanniques qui ont survécu aux incendies de 2017 à Pedrógão Grande, ont décidé de plier bagage et de migrer vers la côte. Julie ne peut plus vivre avec la chaleur croissante dans la région, et la menace des incendies les hante la nuit. Avec leur déménagement, ils espèrent aussi laisser derrière eux leurs insomnies, leurs anxiétés et leurs peurs.

Après avoir tout perdu lors des inondations de 2013 en Bavière, Iris Hirschauer a décidé de déménager avec sa famille dans un village voisin pour éviter que le traumatisme qu'ils ont subi ne se reproduise. "Nous ne voulons plus jamais être évacués et devoir nous tourner vers des étrangers", indique-t-elle.

Photo du journal partenaire El Periódico de Extremadura : Toni Gudiel.

En Bosnie-Herzégovine, Šefik Čolić, 68 ans, a perdu sa maison lors des glissements de terrain de 2010. Il a été relogé trois fois avant de s'installer finalement dans une ville délabrée à quelques kilomètres de son domicile. Il confie que lui et sa femme "ont eu besoin d'une aide psychologique pendant un certain temps".

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Photo: Marco Carlone
Šefik Čolić dans sa nouvelle maison, près de Topčić Polje, au centre de la Bosnie-HerzégovinePhoto: Marco Carlone

Déracinés : les défis de la réinstallation

En 2012, la France a élaboré une stratégie nationale relative à la possibilité de relocaliser les communautés côtières jugées en danger. "Mais il y a une très forte résistance au niveau local, même avec une indemnisation adéquate", explique Catherine Meur-Férec, experte en géographie côtière à l'Université de Bretagne Occidentale.

"En France, explique le scientifique Freddy Vinet, nous sommes dans une culture où les gens sont très attachés à leur propriété privée, à leur terre et à leur maison. Il n'y a pas de tradition de mobilité". Pour lui, la conversation porte sur les lieux où des générations de familles ont vécu, sont mortes et ont été enterrées.

"Nous savons que le niveau de la mer monte, alors la vraie question est de savoir comment nous [retirer de la côte] et reconstruire nos vies avec un minimum d'impact social et économique. Nous n'avons absolument aucun moyen de financer un retrait massif du littoral", affirme Laurent Huger, adjoint au maire de La Faute-sur-Mer.

Photo: AP
Une dame passe devant le cimetière de Orašje, Bosnie-Herzégovine, après le déluge de 2014Photo: AP

"Les processus de relocalisation sont très douloureux, délicats et très sensibles politiquement", commente Mme Bilak de l'IDMC. "Il faut les traiter et les gérer de manière très ouverte et consultative. Il y a [beaucoup de] travail préparatoire à faire pour préparer la population [et lui permettre] d'envisager cette option à l'avenir. Et il faut tenir compte des besoins très spécifiques des catégories les plus vulnérables de la population : les personnes âgées, les femmes, les enfants".

Certaines communautés s'opposent coûte que coûte au déménagement. A Cotul Morii, un village moldave à la frontière avec la Roumanie, nous avons rencontré des familles qui vivent dans une ville fantôme depuis plus de dix ans. Après une inondation catastrophique, le gouvernement moldave leur a construit de nouvelles maisons dans un village situé à 15 km de là, mais ces familles ont refusé de quitter leur foyer.

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"On parle très peu de ceux qui ne peuvent pas partir, parce qu'ils n'ont pas de ressources, et aussi de ceux qui ne veulent pas partir", constate Beatriz Felipe, chercheuse en droit de l'environnement à l'université Rovira i Virgil de Tarragone. "Dans la planification des relocalisations, les droits des personnes qui ne veulent pas partir doivent aussi être pris en compte".

Une opportunité de construire des sociétés plus résilientes

Toujours selon Beatriz Felipe : "En Europe, nous avons les possibilités techniques et économiques de nous adapter au changement climatique. Seul manque la volonté politique."

Alexandra Bilak, la directrice de l’Internal Displacement Monitoring Centre, ajoute que les gouvernements européens doivent encore améliorer les politiques et les cartographies relatives aux risques d'inondation. Selon elle, ils doivent aussi travailler sur des mécanismes de compensation garantissant que les habitants déplacés puissent soit rentrer chez eux en toute sécurité, soit construire une nouvelle maison ailleurs, dans des zones plus sûres. Les gouvernements, ajoute-t-elle, devraient également tirer des leçons des pays non-européens habitués à faire face à ce genre de catastrophes, comme le Japon.

Après un événement météorologique extrême, les autorités se précipitent en général pour annoncer que tout a été reconstruit exactement comme avant, pour rassurer leurs populations sur le retour au statu quo. Par exemple, en Serbie et en Bosnie-Herzégovine, les berges des rivières n'ont pas été redressées après la catastrophe de 2014, souligne Vladimir Djurjevic, climatologue à l'université de Belgrade.

Il ajoute : "Ils ne se rendent pas compte que, puisque nous devons nous attendre à de nouvelles inondations, et à des inondations plus importantes, lorsque vous reconstruisez les choses comme elles étaient auparavant, vous ne protégez pas les gens de ce qu'il va se passer dans le futur".

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Mais des communautés plus résilientes peuvent renaître des cendres. Si vous demandez aux habitants de Sierra de Gata ce qu'ils pensent des conséquences de l'incendie de 2015, beaucoup utilisent le mot "opportunité".

Euronews/ Marta Rodriguez
Rodrigo “Bongui” Ibarrondo, fondateur de Reforest Accion, dans les montagnes de la Sierra de GataEuronews/ Marta Rodriguez

Un homme du coin, Bongui, a même lancé un programme pour reboiser les zones brûlées avec des essences d'arbres plus résistantes au feu. Il s'explique : "Le paysage réclamait un changement et ce qui est clair, c'est que la monoculture du pin a été le facteur qui a provoqué des incendies de cette ampleur".

A La Faute-sur-Mer, Laurent Huger, l'adjoint au maire, déclare : "Nous avons créé un réseau qui, en cas de tempête, a l'obligation de veiller sur nos voisins âgés ou handicapés".

Photo: Victor Ciobanu
Ion Sandu, habitant de Cotul Morii, Moldavie, devant sa maison qu’il refuse de quitterPhoto: Victor Ciobanu

Si, dans la capitale moldave Chisinau, il est difficile de trouver des jeunes qui pensent que le changement climatique a un impact sur leur vie, dans la petite ville de Cotul Morii, qui a disparu sous les eaux en 2010, les personnes âgées ne le savent que trop bien.

Ion, 85 ans, a écrit un poème en 2017 en se réveillant et en voyant de la neige dehors - en avril. Sa maison a été inondée par la tempête de 2010 et lui et sa femme, décédée depuis, avaient été alors évacués par l'armée. Lorsque le gouvernement lui a offert une maison dans le nouveau village construit pour les personnes touchées par la tempête, il a refusé de quitter la maison dans laquelle il a vécu toute sa vie. Il en avait hérité à la mort de ses parents et avait promis à son père qu'il s'occuperait de son vignoble.

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Si cette maison est à nouveau inondée, Ion ne sera cette fois-ci pas évacué. Le village dans lequel il vit, lui, n'existe officiellement plus .

Voici son poème :

L'hiver arrive à la veille du mois de mai

Et il s'installe sur ma terre natale

L'hiver arrive en avril

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Et il ne nous apporte que du froid

Quelle serait la faute

D'une petite tulipe

Qui se cache sous la neige

Et qui veut un peu de chaleur

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Et les arbres ont fleuri

Une riche récolte est annoncée

Une nuit, tout a gelé

Quelle tragédie

Le climat a peut-être changé

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Ou peut-être que le monde est cassé.

L’enquête Europe's Climate Migrant a été réalisée grâce au soutien de :

Video editor • Thomas Duthois

Sources additionnelles • Thomas Seymat

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