Portugal : poussés à l'exil par les incendies dus au changement climatique

Portugal : poussés à l'exil par les incendies dus au changement climatique
Tous droits réservés AP Photo
Tous droits réservés AP Photo
Par Francisco Marques
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button
Copier/coller le lien embed de la vidéo de l'article :Copy to clipboardLien copié

Exilés malgré eux, ils ont fui les incendies géants attisés par le changement climatique au Portugal.

PUBLICITÉ

"Une énorme boule de feu s'est abattue sur la maison après avoir dévalé la colline", se remémore Julie Jennings, une Britannique expatriée au Portugal. Cette retraitée de 62 ans y a vécu de très près l'horreur d'un incendie qui a transformé le village où elle résidait en un véritable enfer. "C'était terrible, je n'oublierai jamais ce bruit".

Elle a tout juste eu le temps d'attraper son âne et de s'enfuir. Son compagnon, Chris Nilton, a suivi de près avec les deux chiens. Ils ont dû abandonner la maison de leurs rêves à Mosteiro, qui n'avait été achevée que 18 mois plus tôt.

"J'avais une vingtaine d'oliviers dans le jardin de devant et ils étaient tous allumés comme des chandelles romaines éclatant à 6 mètres de hauteur", se souvient Chris, 72 ans. "Les braises nous tombaient dessus, sur moi et le chien. Je n'étais qu'en short, torse nu et tongs. Je pouvais sentir tous ces bouts de bois brûlants sur ma peau".

Se perdant en quelques secondes dans l'épaisse fumée et les vents violents, Chris s'est dirigé vers une rivière, tout en éteignant avec ses mains les flammes sur sa tête et celle de son chien.

"J'ai sauté dans la rivière, je me suis immergé parce que ma tête était en feu", raconte Chris. "J'y suis resté probablement cinq minutes. Puis j'ai réalisé qu'il fallait que je remonte sur la colline jusqu'à la maison pour voir où diable Julie se trouvait".

WalterTengler / Euronews
Chris Nilton et Julie Jennings regardent quelques photos des incendies de 2017WalterTengler / Euronews

Chris et Julie ont survécu aux incendies de Pedrógão Grande le 17 juin 2017. Hantés par cette expérience, ils ont déménagé vers des climats plus tempérés sur la côte portugaise.

Ce jour-là, les incendies ont tué 66 personnes, dont 30 dans leurs voitures prises au piège des flammes alors qu'elles tentaient de s'enfuir. 17 autres sont mortes dans les parages en essayant de s'échapper à pied.

"Nous avons des amis à Nodeirinho, nous savons que beaucoup de gens ont été tués là-bas", confie Julie. "Et notre voisine, la femme de Carlos, a perdu sa sœur, sa nièce et sa petite-nièce ainsi qu'un neveu qui a tenté d'échapper à l'incendie dans une voiture. Ils ont tous péri".

Un nouveau genre de "méga-incendie"

Le Portugal est un pays habitué aux feux de forêt.

Mais celui qui a frappé Pedrógão Grande il y a trois ans était le premier de son genre en Europe, selon le Fonds mondial pour la nature (WWF).

PATRICIA DE MELO MOREIRA/AFP or licensors
La route nationale EN236-1 le 18 juin 2017 où 47 personnes sont mortes en tentant d'échapper à l'incendie.PATRICIA DE MELO MOREIRA/AFP or licensors

"En juin 2017, pour la première fois sous nos latitudes, le Portugal a subi un nouveau type d'incendie, inconnu à ce jour par la communauté scientifique : un méga-feu de sixième génération clairement lié au changement climatique mondial", a écrit le WWF Espagne dans un rapport.

"Extrême, incontrôlable et mortel. Un type d'incendie qui s'est répété la même année au Portugal et en Espagne, et un an plus tard en Grèce", note l'ONG. "Le changement climatique accélère et intensifie l'apparition de grands incendies à un rythme plus rapide que prévu : nous sommes passés de l'absence de ce type d'incendies à l'apparition des trois plus grands incendies en Europe en deux ans seulement, et dans la même région".

La saison typique des feux de forêt au Portugal s'étend traditionnellement de juin à septembre.

Mais en 2017, les températures élevées tout au long de l'année et les faibles précipitations au printemps et à l'hiver précédents ont entraîné quelque 2 500 incendies répertoriés en avril et 3 000 en octobre. Une indication que le changement climatique prolonge la période des incendies.

En juin, une vague de canicule et une forêt desséchée ont aidé le feu à créer son propre microclimat. Des vents forts et imprévisibles ont aussi attisé les flammes.

Julie se souvient qu'on leur avait conseillé d'arroser le toit de leur maison et la végétation aux alentours, ce qui est normalement une stratégie efficace pour arrêter la propagation du feu. Mais cet incendie était différent.

Etienne Barthomeuf/ Euronews
L'incendie s'est propagé rapidement de Valongo à Nodeirinho et a tué 47 personnes sur la route EN236-1Etienne Barthomeuf/ Euronews

"Personne n'aurait pu l'arrêter", déclare-t-elle à Euronews. "Il a atteint le village et de là, Nodeirinho (5 km à l'ouest) en 7 ou 8 minutes. Voilà à quel point l'incendie était rapide et intense. C'était terrifiant et je n'oublierai jamais le bruit. Pour moi, le bruit était la pire des choses, suivi de près par la chaleur".

À 21 heures, quelques heures après que Chris et Julie se sont enfuis de chez eux, l'incendie atteint son apogée. Il se déplace alors à 5,3 km/h.

PUBLICITÉ

"Cela en a fait un feu complètement hors de contrôle, presque impossible à gérer à certains moments, se transformant en une catastrophe et non plus en un simple gros incendie comme nous en avions l'habitude", souligne Rui Barreira, un technicien forestier de l'Association portugaise pour la nature (ANP). "Ces feux là se caractérisaient par une grande vitesse de propagation. Cela ne peut être lié qu'au changement climatique".

Il a fallu une semaine pour éteindre tous les foyers. Ils avaient alors détruit près de 500 kilomètres carrés de terres, soit une superficie à peu près équivalente à celle d'Andorre.

Puis, quatre mois plus tard, en octobre, la tragédie a de nouveau frappé.

Francisco LEONG / AFP
Les pompiers combattent un incendie en octobre 2017 dont les flammes sont attisées par l'ouragan "Ophelia"Francisco LEONG / AFP

Une vague de chaleur tardive et hors-saison a intensifié la sécheresse et s'est combinée aux vents de l'ouragan Ophelia. Un autre méga-incendie a alors frappé le centre du Portugal, cette fois à environ 50 kilomètres au nord de Pedrógão Grande. Il a tué 45 personnes.

Si l'année 2017 a été exceptionnelle, le Portugal a été le pays méditerranéen le plus touché par les incendies de forêt au cours des trois dernières décennies, toujours selon le WWF.

PUBLICITÉ

"Le Portugal est l'un des pays les plus touchés par le changement climatique", a également déclaré la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. "Les dommages causés au littoral, les ouragans, les inondations et les terribles feux de forêt y ont déjà fait des ravages".

"Nous déménageons à cause du changement climatique"

Malgré l'incendie qui a détruit la maison de leurs rêves, Chris et Julie ont dans un premier temps décidé de rester dans la région.

Mais une anxiété constante et la peur d'un autre incendie les ont fait changer d'avis. "Quand j'allume un feu, je sens la fumée et tout me revient", raconte Chris.

"C'est quelque chose qu'on n'oublie jamais, l'odeur de la fumée nous terrifie", ajoute Julie. "Nous avons décidé de nous installer dans le centre du Portugal, près de la côte, où les températures seront plus fraîches et plus constantes. Nous déménageons à cause du changement climatique".

Chris et Julie ne sont pas les seuls. Rui Barreira a déclaré qu'à la suite des incendies, d'anciens habitants de la région sont venus à Pedrógão Grande et ont emporté leurs parents, disant que la région n'était plus sûre.

PUBLICITÉ

Mais il est difficile de se faire une idée précise du nombre de personnes qui ont quitté définitivement la région à la suite des incendies d'il y a trois ans.

Dina Duarte, présidente de l'Association des victimes de Pedrógão Grande (AVIPG), estime qu'il ne s'agit que de quelques dizaines de personnes, principalement des étrangers.

Mais certains ont décidé de rester. Un couple de Néerlandais, Peter et Marion de Ruite, vivent à Salaborda Velha à deux kilomètres de Mosteiro. Ils ont vu leur maison, avec trois chambres à coucher, détruite dans l'incendie. Ils ont passé un an à vivre dans une caravane à côté de la ruine calcinée de leur ancienne demeure.

Mafalda Gomes/Jornal i
Marion et Peter de Ruite ont dû vivre pendant un an dans une tente et une caravane près de leur maison calcinée.Mafalda Gomes/Jornal i

"La tragédie concerne davantage les personnes qui sont mortes qu'une maison détruite", affirme Peter, qui est arrivé au Portugal il y a 15 ans.

La chaleur et la sécheresse de ces dernières années avaient poussé le couple à envisager de déménager mais ils ont décidé de rester.

PUBLICITÉ

"Si je pars, je laisse derrière moi cette région qui pourrait être très belle si nous y oeuvrons ensemble", assure Peter à Euronews. "Je ne devrais pas simplement l'abandonner. Je pense que nous devrions essayer de rendre cet endroit meilleur".

Néanmoins, des personnes ont bien quitté la région et ce, bien avant 2017. Les jeunes, en particulier, sont partis à la recherche d'un emploi dans les villes portugaises. À Pedrógão Grande, la population a diminué de 20 % entre 2001 et 2016 et pour 100 jeunes, on compte 284 personnes âgées.

"Le fort dépeuplement et le vieillissement de la population, en particulier dans les zones rurales de l'intérieur et des montagnes, ont forcé l'abandon de toutes les activités agricoles traditionnelles", observe le WWF.

"Ainsi la végétation naturelle, les arbustes, les jeunes peuplements forestiers sylvicoles sont là mais les plantations en monocultures (notamment d'eucalyptus et de pins) ont colonisé le paysage. Ils augmentent la combustibilité et l'inflammabilité du territoire".

Ce n'est pas seulement la présence d'eucalyptus qui pose problème pour certains, c'est davantage l'absence de gestion forestière qui est à l'origine des problèmes.

PUBLICITÉ

Essences inflammables mais rentables

En 2009, deux chercheurs, Mark Beighley et Albert C. Hyde, ont soulevé la question dans un rapport sur la stratégie du Portugal contre les feux de forêt.

Ils ont prédit qu'au cours de la prochaine décennie, les feux de forêt brûleraient dans le pays une superficie de 500 000 hectares. C'est arrivé en 2017.

AP Photo/Sergio Azenha
Le 18 juin 2018, des espèces non contrôlées comme l'eucalyptus poussaient déjà dans les zones brûléesAP Photo/Sergio Azenha

En 2018, ils ont déclaré que les problèmes qu'ils avaient identifiés il y a dix ans étaient toujours d'actualité : le pourcentage élevé de terres forestières non entretenues, l'augmentation de la masse totale de matériaux inflammables, le nombre élevé d'incendies accidentels et le changement climatique.

"Ce qu'il reste à voir après la catastrophique saison des feux de forêts de 2017 au Portugal, c'est s'il y a maintenant un consensus pour considérer le problème des incendies comme une véritable priorité nationale", peut-on lire dans leur nouveau rapport.

Julie, pour sa part, a des doutes et pense que le gouvernement n'a pas fait assez pour résoudre certains problèmes.

PUBLICITÉ
Euronews
La maison de Chris Nilton et Julie Jennings à Mosteiro quelques jours après les incendies de 2017.Euronews

"Je sais que depuis les incendies, les gens ont vendu des parcelles de terre qui ont été replantées d'eucalyptus", explique-t-elle. "Et même si je me rends compte qu'il s'agit d'une culture rentable pour les gens et qu'ils doivent gagner leur vie, elle doit être gérée correctement".

Elle ajoute, perplexe : "Si ce n'est pas le cas, cela continuera à se produire. Reboiser ici avec davantage d'eucalyptus ? Je ne comprends pas".

De retour à Mosteiro, Chris et Julie s'interrogent sur le fait qu'ils sont des migrants climatiques.

"Nous avons choisi cet endroit parce qu'il nous rappelait le Lake District : c'était vert et il y avait des arbres et de l'ombre. C'était tout simplement magnifique. Mais regardez maintenant... c'est désolé et nous déménageons à cause du changement climatique. Car c'est ce qui provoque de tels incendies".

Ils concluent : "Pour le Portugal, l'eucalyptus peut atteindre une telle profondeur que la nappe phréatique s'abaisse. Et l'été dernier, avec des températures record, notre petite rivière s'est asséchée. Cela vous en dit long sur ce que je pense du changement climatique. Et c'est triste. Cela me rend très triste".

PUBLICITÉ
Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Sibérie : les fumées des incendies atteignent certaines villes

Vague de chaleur : l'année 2020 va-t-elle battre de nouveaux records ?

Lampedusa débordée après avoir accueilli plus de 1000 migrants en une journée