38°, fonte du permafrost, feux de forêt à répétition... La "nouvelle normalité" de l'Arctique

A gauche : enfants se baignant non loin Verkhoyansk, en Sibérie | A droite : Image satellite d'un incendie dans le cercle arctique
A gauche : enfants se baignant non loin Verkhoyansk, en Sibérie | A droite : Image satellite d'un incendie dans le cercle arctique Tous droits réservés Olga Burtseva via AP/Copernicus
Tous droits réservés Olga Burtseva via AP/Copernicus
Par Rafael CerecedaVincent Coste
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Pour la première fois, la température atteint 38°C au-dessus du cercle polaire arctique. Conséquence de cette vague de chaleur, des feux de forêt prolifèrent.

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Alors que l'Europe tente de trouver sa voie dans le "monde d'après", celui où la pandémie de Covid-19 laisse une trace indélébile, le thermomètre a atteint les 38°C dans la ville russe de Verkhoyansk en Sibérie. Cette température a fixé le nouveau record en la matière dans cette localité située dans la République de Sakha à plus de 4 600 km de Moscou. Et c'est sans doute le record pour l'ensemble du cercle polaire arctique.

Cet épisode de chaleur exceptionnelle a principalement touché la Sibérie, mais d'autres régions polaires ont été concernées par ces températures hors normes. Cette impressionnante hausse de mercure a également contribué a donné naissance à des feux qui ont pris dans les forêts situées au-delà du cercle arctique.

Depuis des années, nonobstant le nouveau coronavirus, l'Arctique connaît lui aussi sa "nouvelle normalité" avec des hausses de températures répétées et, en corollaire, des feux de forêt de plus en plus fréquents.

Verkhoïansk est l'un des endroits au monde où l'amplitude thermique est la plus élevée. En hiver, les températures peuvent descendre jusqu'à -50°C. Normalement, à cette époque de l'année, au début de l'été, il fait généralement 20°. Les 38° enregistrés le week-end dernier sont ainsi pratiquement deux fois supérieurs à la normale saisonnière.

Cependant, pour les scientifiques, ce pic de chaleur n'est pas le problème le plus préoccupant. Non, ce qui est réellement alarmant selon eux, c'est que cette hausse s'inscrit dans une durée. En effet, presque tous les derniers mois ont connu des moyennes de température supérieures aux valeurs normales, comme Copernicus, le Service du changement climatique du réseau européen, l'a récemment mis en évidence.

Pour les Nations unies, cette vague de chaleur, bien qu'éclipsée par la pandémie de Covid-19, est un des signes d'une accélération du changement climatique.

"C'est certainement un signe alarmant", nous confie Freja Vamborg, scientifique travaillant pour Copernicus. Selon elle, ce n'est pas surprenant, car le réchauffement climatique fluctue et les régions polaires subissent des changements plus rapides que le reste de la planète. Mais ce qui est inhabituel, "c'est que des anomalies climatiques, avec des températures plus chaudes que la moyenne, ont persisté dans la zone arctique".

Les conséquences de ce "dérèglement" climatique sont légions. Les écosystèmes et les cycles naturels ont pâti de ces hausses de température qui semble s'installer dans la durée. Un des exemples concrets a été la fonte précoce des glaces recouvrant de nombreuses rivières de cette partie de la Sibérie. Le phénomène a été observé avec deux ou trois semaines d'avance.

Le permafrost subit lui aussi les affres de ce réchauffement généralisé. Ce qui pour la Russie est particulièrement préoccupant. Ce pays a effet bâti dans ses régions polaires de nombreuses villes et infrastructures pétrolières et gazières sur ce sol, en théorie, immuablement gelé.

Illustration, la récente catastrophe dans la région de Norilsk, où 20 000 tonnes de diesel se sont déversées dans la nature, est directement due à la fonte du permafrost. La période allant de décembre 2019 à mai 2020 y a été la plus chaude depuis 1880, début des relevés de températures dans cette région.

De plus, ce phénomène est particulièrement inquiétante, car elle libère des gaz à effet de serre, principalement du méthane. Ces gaz alimentent à son tour l'accélération du changement climatique, dans un cercle vicieux.

Des feux de forêt de plus en plus fréquents

Une autre conséquence de ces températures particulièrement élevées est la prolifération des incendies qui réduisent en cendres les arbres de ces contrées éloignées et difficiles d'accès.

En la matière, les dernières données de Copernicus montrent que le rayonnement émis par les incendies est beaucoup plus élevé que d'habitude en cette période de l'année.

Copernicus
Rayonnement des incendies en Sibérie en 2020 (rouge), en 2019 (jaune) et moyenne historique (gris)Copernicus

Si la tendance se poursuit, 2020 restera dans l'histoire comme l'année des pires incendies dans le cercle polaire arctique. Les émissions de juin dépassent déjà celles de 2019, comme l'a révélé Mark Parrington, scientifique au département de surveillance de l'atmosphère de Copernicus.

La fumée des incendies en Sibérie s'étend désormais sur des centaines de kilomètres, voire jusqu'à 1 500 kilomètres selon certaines estimations.

L'année 2019 avait déjà été marquée par une vague d'incendies sans précédent en Sibérie. Mais ils n'avaient pas démarré si tôt et n'étaient pas d'une si grande intensité.

Certains de ces feux de forêts sont spectaculaires, comme le montre ce cliché réalisé par Pierre Markuse, un expert en imagerie satellite. La zone mise ici en exergue fait en fait en effet, environ 37 kilomètres de long.

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Pierre Markuse
Incendie dans le district autonome de Chukotka, dans le cercle arctique, en RussiePierre Markuse

Ces anomalies de température dans le cercle polaire ne se limitent pas à la Sibérie. Si cette zone est celle où de très fortes températures ont été le plus fréquemment observées, d'autres régions sont aussi concernées. Ainsi, le nord-est du Canada et la Scandinavie connaissent également une fin de printemps et un début d'été exceptionnellement chauds. Et là aussi, les premiers grands incendies commencent à se propager.

Selon les modèles météorologiques, cette chaleur exceptionnelle en Sibérie va se maintenir encore au moins pendant les deux prochaines semaines. Une situation qui va aussi avoir un impact sur l'océan Arctique qui borde la Sibérie. Le niveau des glaces, en raison d'une fonte accéléré, est historiquement bas pour cette période de l'année.

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