Euroviews. Division Est/Ouest : des camions à vide sur les routes européennes ?

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Photo d'illustration Tous droits réservés Denis Charlet/ The Associated Press.
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Par Clotilde Armand, eurodéputée Renew Europe
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Les opinions exprimées dans cet article sont celles de leur auteur et ne représentent en aucun cas le positionnement éditorial d’Euronews.

[Opinion] Clotilde Armand, eurodéputée roumaine du groupe Renew Europe, met en garde contre les difficultés à venir dans le secteur du transport routier et certaines dispositions inquiétantes dans le "Paquet de Mobilité".

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Un secteur vital a maintenu son activité à plein régime ces derniers mois, alors que l’économie européenne était à l’arrêt face au Covid-19 : le service des transporteurs routiers. Une armada de camions a continué de sillonner les routes européennes, livrant des produits de première nécessité ou du matériel médical à des millions de citoyens européens confinés. Ces mêmes camions auront une importance cruciale pour la reprise économique.

Mais cette industrie se confronte à plusieurs problèmes, dont l’un est de taille : le déficit de main-d’œuvre. Il m’est arrivé d’entendre, à une réunion de l’Union Internationale des Transports Routiers, qu’une solution pour les entreprises suédoises serait de baisser l’âge minimum à 16 ans pour un chauffeur de poids lourd : 16 ans, dans la majorité des pays européens, est inenvisageable même pour un permis B !

Avant la crise du Covid-19, plus d’un tiers des emplois étaient vacants dans le secteur du transport routier dans l’Union européenne. En Belgique ce chiffre montait à 50%. Et les perspectives s’annoncent encore plus sombres : environ 40% des camionneurs allemands prendront leur retraite avant 2027, donc 185 000 emplois de moins au niveau européen. En 10 ans, la retraite touchera les deux tiers des camionneurs européens.

Ce déficit de transporteurs peut-il trouver une solution en temps de crise économique ? Dans la plupart des pays occidentaux, où le chômage, notamment chez les jeunes, existait bien avant la crise, il est plus que probable que ce métier pourtant essentiel ne soit pas suffisamment attractif pour combler les emplois vacants.

Face à ces défis, une demande de réforme s’est fait entendre et l’Europe a proposé une régulation, connue sous le nom du Paquet de Mobilité.

Dans le parcours législatif de ces textes, quelques dispositions inquiétantes sont cependant apparues et j’en cite deux : la limitation des services de transport locaux pour les entreprises européennes au profit des entreprises nationales et l’obligation pour les camions de revenir au siège de leur entreprise toutes les 8 semaines. Cette dernière régulation de nature bureaucratique est particulièrement dangereuse pour les entreprises implantées dans les pays périphériques de l’Europe. Elle ne correspond ni à l’intérêt des camionneurs, ni à la protection environnementale : 25% des camions feront des trajets supplémentaires à vide, ce qui ne plaira certainement pas à Greta [Thunberg - ndlr] ! Le coût du transport sera également plus élevé, rançon logique du protectionnisme.

Ces mesures anti-libérales ne sont pourtant pas une surprise. Dès 2016, Emmanuel Macron, alors ministre, imposait aux transporteurs est-européens de rémunérer leurs employés au SMIC français. Est-ce la lutte contre le dumping social ou plutôt la mainmise des camionneurs polonais, roumains, bulgares sur le marché français qui est visée ? Selon les chiffres du journal Le Monde, la part des entreprises françaises dans les transports internationaux depuis la France est passée de 50% à 9% entre 1999 et 2016. Les camionneurs polonais, eux, en 2016 assuraient 25% des transports internationaux en Europe. Ainsi le Paquet de Mobilité acquiert un surnom : le ‘Macron Package’, du fait de sa forte implication dans ce projet.

Ce que les responsables politiques oublient de préciser, c’est que le choc des Français qui ont vu débarquer les camions de l’Est sur leurs autoroutes fait écho au choc des Roumains qui ont vu débarquer des opérateurs français et européens sur l’ensemble de leur marché : la grande distribution (au point où il n’y a plus un seul supermarché alimentaire roumain), les banques occidentales (qui détiennent plus de 80% du marché bancaire) ou les grandes sociétés d’utilités. A Bucarest, je paye ma facture d’eau à Veolia, ma facture de gaz à Engie et l’électricité à Enel. Les flux financiers des entreprises vont bien de l’Est vers l’Ouest, comme le montre l’économiste Thomas Piketty.

Ce que les responsables politiques occidentaux ne reconnaissent non plus en public, c’est que les mêmes chauffeurs de l’Est vont circuler sur nos routes après l’adoption du Paquet de Mobilité, car malheureusement il n’y en a pas d’autres. Ils ont la liberté de choisir leur pays de résidence et leur employeur. Si les chauffeurs bulgares travaillaient pour un transporteur bulgare, dorénavant ils vont immigrer en Allemagne pour faire le même travail, alors que le PIB de la Bulgarie sera impacté de 1.5 à 2% selon une étude de KPMG. N’est-il pas mieux qu’ils restent avec leurs familles en Bulgarie ?

Ce ‘Macron Package’ contraste par ailleurs avec le discours du même Emmanuel Macron qui défend la souveraineté européenne et la nécessité d’une Europe unie sans "repli nationaliste". L’Europe de l’Ouest risque de se mettre à dos les pays de l’Est, et de nourrir un sentiment eurosceptique là où il n’existait qu’à peine, et cela dans une Europe affaiblie par le Brexit et menacée par la crise du Covid-19.

Clotilde Armand, eurodéputée roumaine du groupe Renew Europe, membre de la Commission des Budgets et membre suppléante dans la Commission du Transport et du Tourisme.

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