Élisabeth Moreno : "Il n'y a que 12% de créatrices de start-up en France !"

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Par Anne Devineaux
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Ministre française à l'Égalité femmes-hommes, Élisabeth Moreno estime que "le monde post-Covid devra être plus inclusif et égalitaire", puis évoque l'action de son gouvernement dans la lutte contre les violences intrafamiliales et les discriminations.

Fille d'immigrés du Cap-Vert, Élisabeth Moreno a gravi tous les échelons sociaux pour devenir une puissante dirigeante d'entreprises dans le secteur des technologies. Novice en politique, elle a été nommée l'été dernier, ministre déléguée à l'Égalité femmes-hommes, à la Diversité et à l'Égalité des chances. Elle est l'invitée de The Global Conversation.

Anne Devineaux, euronews :

"Aujourd'hui, votre principale mission, c'est la lutte contre les discriminations. Or la pandémie a creusé ces inégalités. Les femmes, entre autres, sont les grandes perdantes. Que faites-vous face à cette urgence ?"

Élisabeth Moreno, ministre française déléguée à l'Égalité femmes-hommes, à la Diversité et à l'Égalité des chances :

"En écoutant votre question, c'est la citation de Simone de Beauvoir qui me vient à l'esprit quand elle disait qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes conquis de haute lutte régressent. Et c'est exactement ce qui s'est passé pendant cette pandémie. Les femmes ont été à la fois, en première ligne de la crise puisque les femmes ont occupé les métiers essentiels comme ceux de la santé. Elles ont été dans les EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) pour s'occuper des personnes âgées. Elles ont été dans l'éducation, dans la distribution, dans la propreté. Mais elles ont aussi été les premières victimes puisque quand le confinement a été annoncé, ce sont elles qui à la maison, télétravaillaient quand c'était possible, s'occupaient des devoirs des enfants et en même temps, s'occupaient des tâches domestiques.

"Des quotas pour avoir plus de 30% de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises"

De mon point de vue, pour avoir travaillé dans le monde des technologies, j'ai toujours pensé que les technologies étaient des outils puissants pour permettre aux femmes d'avoir davantage de flexibilité et un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Mais en même temps, elles peuvent piéger les femmes. Vous occuper des tâches domestiques et travailler comme si vous étiez au bureau, c'est une pression mentale qui est insupportable, insoutenable.

Nous devons faire en sorte que le monde post-Covid 19 soit beaucoup plus inclusif et beaucoup plus égalitaire, non seulement dans les droits, mais aussi dans les outils qui sont donnés aux femmes pour une meilleure émancipation."

"Les violences intrafamiliales tuent. Elles tuent physiquement, tuent les rêves, tuent les ambitions"

Anne Devineaux :

"Concernant les violences intrafamiliales, là encore, les périodes de confinement ont eu des répercussions dramatiques. Comment se situe la France selon vous par rapport aux autres pays européens ? Est-ce qu'on arrive à faire vraiment mieux que les autres ?"

Élisabeth Moreno :

"Aujourd'hui, les violences tuent physiquement, elles tuent les rêves, elles tuent les ambitions. En 2019, nous avons lancé un Grenelle des violences conjugales dont 46 mesures concrètes et pratiques sont issues, comme les places d'hébergement pour accueillir en urgence les femmes victimes de violences et les bracelets anti-rapprochement pour faire en sorte que les agresseurs restent loin de leurs victimes."

Anne Devineaux :

"Justement, sur cette question des bracelets anti-rapprochement, l'Espagne, par exemple, les met en place depuis plus de dix ans. On est quand même très en retard ?"

Élisabeth Moreno :

"Vous avez raison. Ces bracelets ont été déployés dans toutes les juridictions de France au mois de décembre l'année dernière. Nous sommes au mois de mai. Il faut laisser le temps pour que les choses se mettent en place. Il y a encore quelques années, les violences conjugales n'étaient que des faits divers. Il y a encore quelques années, nous n'avions pas formé 70 000 policiers et gendarmes pour traiter les violences conjugales de manière spécifique. Il y a encore quelques années, les magistrats n'avaient pas été saisis de manière aussi volontariste sur ces questions de violences intrafamiliales. Il y a quelques années, la société, de manière générale, considérait que les violences conjugales étaient des questions privées dont il ne fallait surtout pas s'occuper."

"Les femmes passent à côté de nombreuses opportunités"

Anne Devineaux :

"Concernant le monde de l'entreprise que vous connaissez bien, l'Assemblée nationale vient de voter une proposition de loi pour imposer des quotas dans les sociétés de plus de 1 000 salariés. Il s'agit de quotas imposés de force. Il n'y a donc pas d'autres solutions ?"

Élisabeth Moreno :

"Cette loi comporte plusieurs mesures. Vous mentionnez les objectifs chiffrés pour les entreprises de plus de 1 000 salariés à qui nous allons demander d'avoir plus de 30% de femmes parmi leurs postes de cadres dirigeants. Mais je veux aussi insister sur le fait qu'il n'y a pas que ce sujet des quotas dans cette loi. Nous allons aussi travailler sur l'enseignement supérieur pour avoir davantage de jeunes filles dans des métiers qui sont désertés par les femmes comme les sciences, les technologies, l'ingénierie. Dans le numérique, les opportunités professionnelles sont exponentielles aujourd'hui. Et les femmes passent à côté de ces opportunités. Il n'y a que 12% de créatrices de start-up en France !"

"La France est volontariste en matière de droits des personnes LGBT+"

Anne Devineaux :

"C'était récemment la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie. Les associations dénoncent un grave recul des droits des personnes LGBT dans plusieurs pays européens : la Hongrie, la Pologne, mais aussi en France. La France est pointée du doigt pour son manque d'action. Qu'est-ce que vous répondez aux associations ?"

Élisabeth Moreno :

"Nous avons mis en œuvre 42 actions pour lutter en faveur de la reconnaissance des droits des personnes LGBT+, pour faire en sorte qu'elles aient un véritable accès à tous ces droits pour lutter contre la haine et les discriminations dont elles sont victimes et pour améliorer leur vie au quotidien. Demain, nous voulons que les femmes dans les couples lesbiens, mais également les femmes célibataires puissent avoir accès à la procréation médicalement assistée (PMA). Si, avec toutes ces mesures, on considère que la France n'est pas volontariste, je trouve que c'est injuste.

Lorsque la Pologne a eu cette idée incroyable d'avoir des zones sans LGBT+, nous avons réagi et nous avons écrit à l'Union européenne pour demander à ce qu'il y ait des sanctions parce que l'Union européenne, ce sont aussi des valeurs que nous devons porter et partager ensemble."

"J'ai été confrontée à toutes les discriminations et aujourd'hui, à la place qui est la mienne, je veux aider les autres"

Anne Devineaux :

"En tant que femme d'origine immigrée, vous avez été confrontée personnellement à ces discriminations. Comment y avez-vous répondu?"

Elisabeth Moreno :

"Personnellement, j'ai été confrontée à toutes les discriminations que vous pouvez imaginer. Je suis une femme, je suis noire, je suis immigrée, j'ai un handicap. Je ne vais pas vous raconter toutes les blessures et les humiliations que j'ai subies parce que je suis ce que je suis. En même temps, j'ai eu la chance de grandir dans un pays où j'ai pu bénéficier de l'école républicaine et où je me suis hissée jusqu'à la place qui est la mienne.

Jamais mes parents n'eussent pensé que ce fut possible. Jamais je n'eus pu penser que ce fut possible parce que les personnes comme moi sont dans l'autocensure permanente, parce qu'elles entendent tellement que ça n'est pas fait pour eux. On leur dit : "Pour qui est-ce que tu te prends ? Reste à ta place." Certains baissent les bras. Dans mon cas, j'ai la chance d'avoir eu autour de moi, des personnes qui m'ont accompagnée, qui m'ont tendu la main, qui m'ont aidée. Et à la place qui est la mienne aujourd'hui, c'est exactement ce que je veux faire pour les autres."

Journaliste • Anne Devineaux

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