La Banque Centrale Européenne lance son projet d'Euro numérique, alternative aux cryptomonnaies

Le siège de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort en Allemagne.
Le siège de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort en Allemagne. Tous droits réservés DANIEL ROLAND, AFP
Par Louise Brosolo avec AFP
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Après les Banques Centrales russes, chinoises ou émiraties, c’est au tour de l’Europe de vouloir créer sa propre monnaie virtuelle. Le but, proposer une alternative plus sûre aux cryptomonnaies qui ont explosées pendant la crise du Covid. Elle sera lancée, après une phase de test, d’ici 2025/2026.

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Après les Banques Centrales russes, chinoises ou émiraties, c’est au tour de l’Europe de lancer sa propre monnaie virtuelle. La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé, mercredi 14 juillet, le début d'un projet pilote de deux ans en vue d'introduire un Euro numérique. Cette nouvelle monnaie virtuelle veut être une réponse à la dématérialisation croissante des paiements et à la multiplication des cryptomonnaies, pendant la crise du Covid. Un projet pilote "important" salué par l'Allemagne et la France.

Neuf mois après la publication d'un rapport préliminaire et une vaste consultation publique, la BCE va lancer la "phase d'investigation" du projet d'euro numérique qui a pour objectif d'offrir la "forme de monnaie la plus sûre", celle de la "monnaie de banque centrale", selon un communiqué publié à l'issue d'une réunion du conseil des gouverneurs à Francfort, en Allemagne, mercredi.

La BCE passe à la vitesse supérieure et lance le projet de l'Euro numérique
Christine Lagarde
Présidente de la Banque Centrale Européenne

"Notre objectif est d'être prêt au bout de ces deux ans à commencer à développer un euro numérique, ce qui pourrait prendre environ trois ans", a déclaré mercredi Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE. L'Euro numérique aboutirait donc à un lancement effectif autour de 2025/26.

Pourquoi un Euro numérique ?

À l'heure de l'explosion des paiements dématérialisés, qui s'est amplifiée avec la pandémie de Covid-19, avec pour exemple parlant le projet de Facebook de lancer en 2019 une monnaie virtuelle, désormais baptisée le diem, la BCE craint que cet engouement ne profite à des monnaies virtuelles privées ou à des devises étrangères.

"La monnaie de banque centrale resterait au cœur du système de paiement, renforçant l'autonomie de l'Europe à l'ère de la monnaie numérique", a déclaré Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE.

Plusieurs pays, comme la Chine ou les États-Unis, travaillent aussi à l'émission de leur propre cryptomonnaie. Pékin teste déjà depuis mars le paiement par e-yuan via téléphone portable, avec l'ambition d'en faire une monnaie internationale de référence, concurrente du dollar.

"Le recul de l’utilisation de l'argent liquide et l’émergence des nouvelles technologies, avec en premier lieu le Bitcoin et sa technologie sous-jacente la blockchain font que les banques centrales ne peuvent pas faire l’impasse sur le sujet", analyse Ano Kuhanathan, économiste à l'Institut Rousseau. "Tout d’abord, il y a des opportunités à saisir. Transférer, gérer de l’argent, convertir une monnaie dans une autre devise etc. ont un coût pour les ménages et les entreprises. Une monnaie numérique pourrait drastiquement les réduire. Par ailleurs, cela permettrait également de réduire les pratiques illicites (fraudes à la TVA, blanchiment etc.)."

Quel intérêt pour les consommateurs ?

"Pour les consommateurs, cela assure que chacun ait un compte bancaire directement auprès de la BCE" explique Ano Kuhanathan, ajoutant que "la réduction des frais de transaction est un bénéfice évident pour les entreprises".

L'euro numérique va donc permettre aux ménages et entreprises de déposer directement cette monnaie sur un compte créé au sein de banques commerciales ou d'autres acteurs financiers régulés. Cet argent sera protégé contre tout risque de perte, un argument fort au moment où le projet de garantie européen des dépôts est dans l'impasse.

La BCE promet une utilisation "sans risque, accessible et efficace" pour régler des achats à la caisse d'un supermarché, en ligne via une application sur smartphone par exemple, également hors ligne à l'aide de cartes de paiement similaires à la carte de débit. Même si l'Euro numérique "ne remplacera pas" l'argent liquide assure l'institut de Francfort.

Les utilisateurs pourraient par exemple effectuer des virements ou des paiements entre Européens, en limitant les frais bancaires, avec leur "portefeuille" d'euros numériques assure la BCE.

Quelle différence avec une cryptomonnaie ?

Une cryptomonnaie comme le bitcoin n'est pas un moyen de paiement officiel. Son unité de compte n'est pas définie par un État mais est émise par des organisations privées, ou contrôlée par les participants d'un réseau informatique. L'émission de nouveaux bitcoins est régulée par un algorithme, et non par un comité de politique monétaire.

"Il y a un grand nombre de risques liés à l’émerge de crypto-monnaies privées qui poussent les banques centrales à se pencher sur la question", estime Ano Kuhanathan. "Alors que le système bancaire est régulé et encadré, n’importe quel acteur peut émettre une cryptomonnaie, sans forcément avoir des liquidités en monnaies traditionnelles. Cela pourrait exposer les entreprises et les individus qui y auraient recours à des pertes importantes si, par exemple, cette cryptomonnaie subit une cyberattaque ou si l’entité qui l’émet est en incapacité de convertir sa monnaie en euro ou en dollar à un acteur qui souhaiterait se désengager."

Quelle protection ?

La BCE doit prendre en compte les inquiétudes des Européens sur les risques pour la protection de leur vie privée, première des priorités exprimées dans la récente consultation menée par l'institut.

Les données devraient être mieux protégées avec l'euro numérique qu'avec les équivalents proposés par des prestataires privés, assure la BCE.

Un Euro numérique "garantirait à l’ensemble des usagers d’avoir leurs données de transactions conservées par un acteur public qui à priori ne cherchera pas à en tirer profit."
Ano Kuhanathan
Économiste à l'Institut Rousseau

Pour Ano Kuhanathan, un Euro numérique "garantirait à l’ensemble des usagers d’avoir leurs données de transactions, une mine d’or pour toute entreprise privée, conservées par un acteur public qui à priori ne cherchera pas à en tirer profit."

Mais le chemin est étroit car il n'est pas question d'offrir la même garantie d'anonymat que le cash, pour des raisons évidentes de lutte contre la fraude fiscale et le financement d'activités illicites.

Quels risques ?

Le principal risque est la fuite des épargnants vers cette nouvelle forme de monnaie, qui permet d'éviter les frais d'un compte de dépôt classique, ce qui fragiliserait les banques de la zone euro.

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La BCE songe ainsi à taxer les dépôts en monnaie de banque centrale au-delà d'un seuil, par exemple 3 000 euros, déclarait en juin Fabrio Panetta au Financial Times.

Quel attrait pour les investisseurs ?

Les banques commerciales ou d'autres acteurs financiers régulés devraient se voir confier la gestion des comptes de clients en monnaie de banque centrale, selon "un modèle économique" qui reste à définir, ajoute le communiqué de la BCE.

"Il est difficile à ce stade de présager du succès de ces monnaies numériques auprès des investisseurs", explique Ano Kuhanathan. "Il me semble que cela dépendra du cadre réglementaire. Par exemple, s’il est jugé trop rigoureux, les investisseurs pourraient tourner le dos aux monnaies numériques publiques et aller vers les monnaies privées moins régulées."

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