Amrullah Saleh : « l'UE doit soutenir la résistance nationale afghane »

L'ancien premier vice-président afghan Amrullah Saleh, autoproclamé président depuis la prise de pouvoir des talibans
L'ancien premier vice-président afghan Amrullah Saleh, autoproclamé président depuis la prise de pouvoir des talibans Tous droits réservés AP Photo
Par Masoud Imani KalesarStéphane Hamalian
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Entré en résistance dans le Panshir, l'ex vice-président afghan Amrullah Saleh a accordé un entretien à Euronews. Ce disciple du commandant Massoud estime que le règne taliban ne tiendra pas dans la durée.

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Si le président afghan Ashraf Ghani a fui le pays le 15 août dernier alors que les Talibans étaient aux portes de Kaboul, son premier vice-président a fait le choix de la résistance, dans la vallée du Panshir.

Disciple du commandant Ahmed Chah Massoud, tué en 2001, Amrullah Saleh affirmait à Euronews il y a trois ans ne pas être "prêt à pardonner aux Talibans". Désormais retranché dans cette vallée que ni l'Armée rouge, ni les Talibans n'ont jamais réussi à occuper, celui qui s'est déclaré président légitime de l'Afghanistan mène avec le fils du commandant Massoud, Ahmad, le "front de résistance".

S'il se dit favorable à une solution politique, Saleh dit qu'il n'acceptera pas un accord imposé par le groupe fondamentaliste, alors que des discussions ont déjà été engagées entre les Talibans et des personnalités politiques afghanes, dont l'ancien chef de l'exécutif Abdullah Abdullah.

Notre journaliste Masoud Imani Kalesar a pu s'entretenir avec Amrullah Saleh. Entretien réalisé par téléphone le 26 août 2021.

Interview avec Amrullah Saleh, premier vice-président d'Ashraf Ghani

Euronews : Vous étiez le premier vice-président d'Ashraf Ghani. Vous auriez pu facilement quitter l'Afghanistan comme lui, mais vous êtes resté, pourquoi ?

Amrullah Saleh : Il y avait plusieurs raisons, mais la raison principale est que je suis un soldat d'Ahmad Shah Massoud et la fuite, l'exil ne font pas partie de son langage. De même que le fait de quitter la nation dans les mauvais moments, dans les difficultés et dans l'anxiété. Nous avons un grand héritage sur nos épaules en tant que gardiens de l'héritage d'Ahmad Shah. Si je m'étais échappé, j'aurais peut-être été physiquement vivant, mais après avoir atteint n'importe quel coin du globe, je serais mort instantanément. Nous sommes redevables au sol afghan. C'est un moment difficile, mais nous avons de la fierté et de la dignité.

Les Talibans sont actuellement confrontés à une crise de légitimité. Ils n'ont aucune légitimité externe ou interne. Ce qu'ils ont, c'est la "violence"
Amrullah Saleh
Premier vice-président d'Afghanistan sous la présidence d'Ashraf Ghani

Euronews : Deux jours avant la chute de Kaboul, vous avez dit que vous étiez sûr que les Talibans seraient vaincus. Mais maintenant, ils forment un gouvernement. Est-ce que tout le monde, y compris vous, qui avez une expérience dans le renseignement et la sécurité, avez fait une erreur d'appréciation, en libérant plus de 5 000 prisonniers Talibans et en étant optimiste quant aux pourparlers infructueux de Doha, au Qatar ?

Amrullah Saleh : Je ne suis pas un être humain parfait. Mais dans ma position de vice-président, je ne pouvais pas mettre mon veto à cette décision. Malheureusement, les Américains nous ont demandé de manière très incorrecte et peu diplomatique de libérer ces prisonniers et ont menacé de couper l'aide économique, les armes et l'aide militaire à l'Afghanistan. Nous leur avons fait comprendre que si nous relâchions ces prisonniers, ils retourneraient nous combattre. Les États-Unis se sont fortement appuyés sur leurs pouvoirs diplomatiques et de négociation. Malheureusement, au centre de ces négociations se trouvait un personnage sans principe nommé M. Khalilzad, et je pense que l'un des responsables de cette honte est [Zalmay] Khalilzad.

Euronews : Les Talibans disent au monde et à l'Occident qu'ils respecteront les droits de l'homme des citoyens et des femmes afghanes et qu'ils ne cherchent pas à avoir le monopole du pouvoir. Est-il possible d'établir la démocratie et un gouvernement d'unité nationale dans l'Afghanistan dirigé par les Talibans ? Leur règne en Afghanistan sera-t-il à long terme ou à court terme ?

Amrullah Saleh : Nous n'avons pas beaucoup d'éléments pour savoir si les Talibans ont changé ou non. Par exemple, je peux dire que nous savions depuis deux ou trois jours que les Talibans voulaient mettre fin à la catastrophe de l'aéroport par une série d'attentats à la bombe. Ils ont fait savoir au monde entier que l'Etat islamique voulait commettre des attentats à la bombe. Les Talibans sont derrière l'attentat d'aujourd'hui.
Il y a deux questions qui peuvent donner un visage positif aux Talibans, dans l'esprit du peuple afghan. Premièrement, la manière dont le chef du gouvernement est élu et deuxièmement, la loi selon laquelle les Talibans veulent gouverner. La loi des Talibans est l'émirat islamique, inacceptable pour le peuple afghan, et l'élection d'un chef par un groupe est inacceptable. Il est impossible que le règne des Talibans dure longtemps en Afghanistan.

Euronews : Les Talibans disent qu'ils assiègent le Panshir, où vous êtes basé actuellement et qu'ils sont sûrs à 80% qu'il n'y aura pas de guerre. Cette affirmation est-elle vraie, et si la guerre devient inévitable, serez-vous en mesure d'affronter les Talibans et de sauver le Panshir sans aide étrangère ?

Amrullah Saleh : Le principe le plus important est la volonté d'une nation. Je cite mon leader martyr [Ahmad Shah Massoud] qui a dit que lorsqu'une nation se soulève, aucune arme ne peut briser sa volonté. Et je crois en cette déclaration durable. Les pays de la région ne veulent pas que l'Afghanistan soit une colonie pakistanaise. Tout le monde sait que les Talibans sont un groupe mandataire et qu'ils reçoivent des ordres du Pakistan, et le ministre pakistanais des affaires étrangères joue le rôle de porte-parole des Talibans ces jours-ci. En même temps, les Talibans ne croient pas au pluralisme et à la composition nationale afghane. Ils veulent transformer l'Afghanistan en un "Talibanistan". Les Talibans ont l'occasion de montrer qu'ils croient en une solution politique.

Euronews : Dans quelle mesure espérez-vous le soutien de l'Union européenne. Qu'attendez-vous de cette union et d'un pays comme la France qui a soutenu Ahmad Shah Massoud ?

Amrullah Saleh : Le monde est redevable envers le peuple afghan, en particulier envers la Résistance nationale d'Afghanistan, moralement, politiquement et financièrement. Aujourd'hui, d'un point de vue géographique, nous sommes limités à la vallée du Panshir, mais un message humanitaire du peuple afghan est transmis au monde entier : la dignité humaine et les droits de l'homme doivent être respectés, et il doit y avoir un État de droit.
La nation doit pouvoir s'exprimer afin de choisir le chef de l'État. Les femmes doivent être autorisées à aller à l'école et avoir accès aux services de santé et aux médecins. Il doit y avoir une liberté d'expression et nous ne devons pas étouffer la nation à cause des critiques.
En raison de ces valeurs, l'Union européenne doit assumer sa responsabilité morale et soutenir la Résistance nationale afghane, politiquement et moralement. Nous demandons à toutes les organisations d'aide de considérer le Panshir comme une vallée qui représente aujourd'hui tous les opprimés d'Afghanistan et d'envoyer leur aide.
Permettez-moi de vous rappeler que le Panshir n'est pas seul dans la résistance. Une autre vallée appelée Andarab a courageusement résisté à la tyrannie des Talibans ces derniers jours. Nous avons des parties des provinces de Kapisa, Parwan, Nuristan et Takhar. L'avancée des Talibans n'est pas une avancée profonde et solide. Si les Talibans ne font pas de compromis politique, il ne faudra pas longtemps avant qu'ils ne soient confrontés à une crise militaire très profonde. Les Talibans sont actuellement confrontés à une crise de légitimité. Ils n'ont aucune légitimité externe ou interne. Ce qu'ils ont, c'est la "violence".

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