Janez Janša : "L'UE n'est pas toujours un intermédiaire honnête"

Janez Janša
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Par Efi Koutsokosta
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Le Premier ministre slovène Janez Janša qui a réuni les dirigeants de l'UE sur les perspectives d'adhésion dans les Balkans occidentaux appelle la Commission européenne à "rester en dehors des batailles politiques" alors que son gouvernement est accusé de violer l'État de droit.

Les dirigeants de l'Union européenne se sont réunis cette semaine en Slovénie pour évoquer les perspectives d'adhésion à l'UE de six pays des Balkans occidentaux malgré un pessimisme latent sur le sujet. Bruxelles veut jouer un rôle clé dans la région, mais n'a pas donné pour l'instant, d'échéance claire sur cet élargissement.

Pour évoquer la question, ainsi que les défis auxquels l'Union européenne doit faire face, nous avons interrogé le Premier ministre slovène Janez Janša dont le pays assure actuellement la présidence semestrielle de l'UE. Son gouvernement est accusé de violer l'État de droit. La commissaire européenne en charge des Valeurs et de la Transparence Věra Jourová a notamment épinglé des "développements inquiétants" pour la liberté et l’indépendance de la presse en Slovénie.

"Nous avons réussi de haute lutte à faire inscrire le mot "élargissement" dans la déclaration"

Efi Koutsokosta, euronews :

"Pour vous, y a-t-il un risque que l'Union européenne perde sa crédibilité si les pays qui remplissent les critères pour adhérer n'étaient finalement pas admis dans le club ?"

Janez Janša, Premier ministre slovène :

"Oui, bien sûr, ce risque est évident. Mais depuis quelques années, l'élargissement - tel qu'il a été décidé au sommet de Thessalonique en 2003 où l'adhésion à l'Union européenne a été assurée aux pays des Balkans occidentaux - est de nouveau à l'ordre du jour. Je crois que nous sommes petit à petit en train de revenir à un moment propice même s'il reste un long chemin à parcourir. Néanmoins, nous avons réussi de haute lutte à faire inscrire le mot "élargissement" dans la déclaration. Aujourd'hui, il y a un consensus parmi les 27 États membres sur le fait que cet élargissement est de nouveau sur la table. Nous ne sommes pas en capacité de négocier un délai de dix ans pour ce processus, mais nous ne baissons pas les bras pour l'instant."

Dans les Balkans occidentaux, il faut "rendre les frontières moins importantes"

Efi Koutsokosta :

"Mais on constate que les tensions augmentent dans la région, dans plusieurs pays des Balkans occidentaux. Pensez-vous que l'Union européenne en porte une certaine responsabilité puisque les citoyens perdent espoir de la rejoindre un jour ?"

Janez Janša :

"Cette région - les Balkans occidentaux, mais on peut dire les Balkans en général - a été un territoire de tensions au cours de l'histoire. On peut évoquer par exemple, la question des frontières. C'est un sujet qui est encore très important dans les Balkans occidentaux. Pour moi, il n'y a pas de solution idéale qui puisse être prise sur la base d'un consensus dans la région, mais aussi en Europe. Mais la solution à de tels problèmes, c'est de faire en sorte de rendre les frontières moins importantes et avec l'adhésion à l'UE, celles-ci sont effectivement moins importantes."

Efi Koutsokosta :

"Mais ce n'est pas près d'arriver, du moins pour le moment."

Janez Janša :

"Cela dépend..."

"Nous risquons de perdre cette compétition avec la Russie, la Chine et la Turquie"

Efi Koutsokosta :

"Craignez-vous par exemple que si l'Union européenne ne change pas d'attitude ou qu'elle ne donne pas d'échéance spécifique pour l'élargissement, ces pays ne se tournent davantage vers la Russie ou la Chine ?"

Janez Janša :

"L'Union européenne est le premier investisseur dans la région. C'est très important et ces pays apprécient cela. Mais dans ces territoires, nous avons des concurrents. Vous l'avez dit, la Chine, la Russie et la Turquie sont également présentes. Elles apportent aussi des investissements et elles ne posent pas de conditions à leur octroi. Nous, nous les conditionnons aux standards européens, à l'État de droit, aux réformes et c'est acceptable quand on peut apercevoir le bout du tunnel. Mais si la perspective d'adhésion à l'Union n'est pas assurée, alors je crois que nous risquons de perdre cette compétition, cette concurrence... Il n'y a qu'une seule voie avantageuse de notre point de vue et c'est l'adhésion à l'Union européenne."

Réinstallations des Afghans en danger : "L'UE ne répétera pas l'erreur de certains États membres en 2015"

Efi Koutsokosta :

"Passons à un autre sujet. On voit que la défense européenne et les migrations redeviennent d'actualité. Ce qui s'est passé en Afghanistan a représenté un moment décisif. Parlons de la migration puisque l'Union européenne vient d'organiser un Forum de haut niveau sur les "réinstallations" de ressortissants afghans en danger. L'UE doit-elle prendre des engagements concrets pour que les Afghans en détresse puissent immigrer légalement en Europe ?"

Janez Janša :

"Non."

Efi Koutsokosta :

"L'Union européenne devrait-elle être à la hauteur de ses valeurs humanitaires ?"

Janez Janša :

"Les Afghans en détresse qui rentrent dans cette catégorie sont, je crois, déjà en Europe. Une partie d'entre eux se trouve aux États-Unis. Tous les autres qui veulent immigrer en Europe pour des raisons économiques et non parce qu'ils ont participé aux missions de l'OTAN ne sont pas en danger. Je crois que nous devons utiliser les procédures normales. S'ils remplissent les critères, alors c'est oui. Si ce n'est pas le cas, c'est non. Il n'y aura pas de couloirs humanitaires comme on les a appelés. Non, l'Union européenne ne répétera pas l'erreur que certains États membres ont faite en 2015 après la guerre en Syrie. Je pense que l'Allemagne a fait une erreur. Imaginez : la Slovénie est un pays d'environ deux millions d'habitants. Et en 2015, en l'espace de quelques semaines, un demi-million de personnes ont traversé notre pays. Notre frontière s'est effondrée et celles d'autres pays également. Ce ne sont pas seulement les conséquences finales qui posent problème, mais aussi la manière dont on gère cela et le trajet que les migrants font, etc. Et quand on se souvient de la campagne pour le Brexit, tout ce flux de migrants traversant la Croatie, la Slovénie, cela a été utilisé par ceux qui militaient pour le Brexit."

Efi Koutsokosta :

"Vous parlez au passé. Mais cela fait encore partie de la propagande politique dans certains pays d'Europe."

Janez Janša :

"Vous savez, c'est difficile de voir des milliers de jeunes hommes aptes à se battre militairement traverser les frontières sans leur famille, sans femme, ni enfants et de les accepter tous comme réfugiés. Cela ne va pas. On ne peut pas défendre cette idée."

"L'État de droit est un terme qui est détourné politiquement"

Efi Koutsokosta :

"Je constate qu'il y a différentes approches au sein de l'Union européenne en matière de valeurs humanitaires. Certains États membres soulignent qu'ils veulent défendre l'État de droit et d'autres, en particulier les pays de l'Est de l'Europe, ont une opinion différente bien qu'ils aient signé les traités qui décrivent très clairement ce que sont ces valeurs. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Est-ce que ces divergences sont tenables sur la durée ?"

Janez Janša :

"Il y a d'un côté, ce qui est écrit dans le traité et de l'autre, l'usage politique ou l'utilisation abusive du terme d'"État de droit". Donc il existe une charte européenne des droits de l'homme, mais au niveau politique, en particulier au Parlement européen, tout le monde peut ajouter ce qu'il veut à cette liste. Donc c'est un terme qui est détourné politiquement et qui est utilisé dans le cadre de batailles politiques."

Efi Koutsokosta :

"Mais la liberté de la presse et l'indépendance de la justice font partie de l'État de droit, non ?"

Janez Janša :

"Non, la liberté d'expression qui intègre aussi la liberté des médias et l'indépendance de la justice ne représentent pas uniquement des valeurs : elles font partie du système, non seulement de l'Union européenne, mais du système constitutionnel de chaque État membre. Si ce n'est pas le cas, vous ne pouvez pas devenir membre de l'Union européenne."

Avec les déclarations de la Commission, "on est proche de la violation de l'État de droit"

Efi Koutsokosta :

"Mais considérez-vous que certains États membres - comme votre pays, mais on peut citer aussi la Hongrie et la Pologne - sont attaqués politiquement ?"

Janez Janša :

"Quand vous obtenez la majorité au Parlement européen et c'est cela, la majorité politique, eh bien vous pouvez désigner un pays et lui reprocher des choses. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose. Le Parlement européen, c'est un lieu pour les débats politiques, mais aussi pour les conflits politiques. Mais la Commission européenne et le Conseil européen, ce n'est pas pareil. D'après le traité, la Commission européenne devrait rester en dehors des batailles politiques. C'est ce qu'elle a fait jusqu'à la fin du mandat de la Commission Juncker, mais ensuite les choses ont changé et je pense qu'on est proche d'une violation de l'État de droit parce que la Commission doit être un intermédiaire honnête en gérant des questions..."

Efi Koutsokosta [l'interrompt] :

"Ce n'est pas ce qu'elle est ?"

Janez Janša :

"Pas toujours. Par exemple, la commissaire Věra Jourová fait de mon point de vue des déclarations qui constituent clairement des violations au traité. Mais elle est soutenue par la presse européenne."

"L'UE survivra si nous sommes capables de combiner le niveau national et le niveau européen"

Efi Koutsokosta :

"Mais pouvez-vous encore travailler sur les politiques européennes avec des personnes dont vous pensez qu'elles attaquent votre approche de la démocratie ?"

Janez Janša :

"Je pense que l'Union européenne survivra si nous sommes capables de combiner ces deux niveaux de décision démocratique : l'un, c'est le niveau national et l'autre, c'est le niveau européen. Et parfois, il y a des affrontements à cet échelon. Et c'est compréhensible parce que c'est une création nouvelle."

Journaliste • Efi Koutsokosta

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