France : rendre hommage à Samuel Paty, oui, mais comment ?

Archive : Minute de silence à la mémoire de Samuel Paty, dans un lycée près de Nantes, le 02/11/2020
Archive : Minute de silence à la mémoire de Samuel Paty, dans un lycée près de Nantes, le 02/11/2020 Tous droits réservés SEBASTIEN SALOM-GOMIS/AFP or licensors
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Par Olivier Peguy avec AFP
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Il y a un an, le 16 octobre 2020, Samuel Paty était assassiné près de son collège en région parisienne. Pour commémorer cette date, des manifestations sont prévues ce vendredi dans les établissements scolaires. Exercice indispensable bien que délicat, disent plusieurs enseignants.

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Il y a un an, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie, était assassiné près de son collège en région parisienne. Pour commémorer cette date, des manifestations sont prévues ce vendredi dans les établissements scolaires. Exercice indispensable bien que délicat, disent plusieurs enseignants.

Le souvenir du 2 novembre 2020

A l'heure de commémorer l'anniversaire de la mort de Samuel Paty, de nombreux enseignants se rappellent de l'hommage qui lui avait été rendu le 2 novembre dernier. Et de la crispation que cela avait suscitée.

Le professeur d'histoire-géographie avait été assassiné au dernier jour de classe avant les vacances scolaires de la Toussaint. Les autorités françaises avaient alors décidé d'organiser un hommage le jour de la rentrée suivante, soit le lundi 2 novembre. Mais voilà, entre-temps, le pays s'était reconfiné et le protocole sanitaire avait été renforcé, pour cause de deuxième vague du Covid-19. Ce qui compliquait singulièrement l'organisation de cet hommage. Jusqu'au dernier moment, un certain flou régnait sur le maintien ou non de cet hommage.

Par ailleurs, le ministère de l'Education avait établi des consignes assez précises : "séquence pédagogique" dans les classes, lecture de la "Lettre aux instituteurs et institutrices" de Jean Jaurès et "minute de silence". Trop directif, estimaient alors plusieurs enseignants ou directeurs d'établissements, eux-mêmes éprouvés par le drame.

A lire :Hommage à Samuel Paty : comment les profs se sont organisés pour contourner les consignes de Blanquer

"Garder la main"

Ce que les professeurs voulaient, c'était de pouvoir organiser les choses à leur manière, en tenant compte des réalités du terrain.

Cette année, ce message semble avoir été (en partie) entendu. Le ministère de l'Education a transmis un message aux recteurs d'académie pour l'organisation de l'hommage, prévu ce vendredi 15 octobre.

« Les écoles et établissements pourront organiser un temps de recueillement en mémoire de Samuel Paty, et consacrer une heure de cours à un temps d’échanges, dont le contenu sera laissé au choix des équipes en fonction de leurs situations respectives et en tenant compte notamment de l’âge des élèves. »

« Ce qui est important, c'est qu'il n'y a pas d'injonctions », souligne Rindala Younès, secrétaire académique du SNES-Lyon (principal syndicat des professeurs des collèges et lycées). Pour elle, il était important de « laisser aux équipes, dans chaque établissement, le soin d'organiser les choses. Il est essentiel qu'il y ait un hommage à Samuel Paty, mais on veut garder la main sur ce temps d'hommage ».

Ce vendredi, l'hommage pourrait se dérouler dans les classes ou dans les cours, de manière collective (ensemble des élèves d'un même niveau) ou de manière plus restreinte (par classe).

"Echange sur le métier de professeur"

Dans son courrier aux recteurs d'académie, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education, souhaite que le temps d'échanges porte sur "le métier de professeur, son rôle et sa légitimité".

« L’objectif, explique le ministre, est de penser ensemble le rôle et la place du professeur, auprès de ses élèves mais aussi au sein de la société française. »

Mais là encore, certains enseignants se montrent un peu dubitatifs. « Un tel débat, cela ne se décrète pas », explique Rindala Younès du SNES-Lyon, qui précise que, « sur le terrain, les enseignants l’expérimentent au quotidien. »

EMC

Dans la foulée de l'assassinat de Samuel Paty, le ministre de l'Education avait annoncé en octobre 2020 un renforcement de l'enseignement moral et civique (EMC), qui a succédé en 2015 à l'éducation civique et aborde des notions aussi diverses que la laïcité et la liberté d'expression.

Mais le nombre d'heures consacrées à cet enseignement, le plus souvent dispensé par les professeurs d'histoire-géographie, n'a pas augmenté : une heure par semaine en élémentaire, un enseignement mutualisé avec l'histoire-géographie au collège et une heure toutes les deux semaines au lycée.

« Comme à chaque fois qu'on a un événement dramatique, il y a une multiplication d'initiatives (...) Mais concrètement, dans mon collège, il nous manque un enseignant d'histoire-géo », relève Benjamin Marol, professeur d'histoire à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

« Le problème, c'est le peu de temps dont on dispose pour travailler avec les élèves » sur l'EMC, regrette Christine Guimonnet, la secrétaire générale de l'Association des professeurs d'histoire-géographie (APHG).

Pour que l'enseignement moral et civique soit pertinent, ajoute Rindala Younès, « il faudrait que ces cours d'EMC se déroulent en petits groupes pour favoriser les échanges, mais pas avec des classes entières, à 35 élèves par classe ! »

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La laïcité, sujet toujours épineux

De tous les thèmes évoqués, la laïcité reste un des plus épineux. « C'est quelque chose d'extrêmement compliqué, qui est l'objet de fait d'un conflit des interprétations », résume Pierre Kahn, professeur émérite en sciences de l'éducation à l'université de Caen, qui a coordonné le groupe d'experts chargé de rédiger les programmes d'EMC en 2015.

« En fonction du profil d'élèves qu'on a, il faut parfois peser les mots », reconnaît Vincent Magne, professeur d'histoire et de lettres en lycée professionnel à Troyes (Aube). Cet enseignant expérimenté s'estime "assez armé pour répondre à certaines questions" mais il regrette "l'usage politique" de ce sujet et "les interventions médiatiques, ministérielles ou autres", qui "brouillent parfois le message".

La campagne "C'est ça la laïcité" lancée à la rentrée a fait ainsi débat, tout comme le "Guide républicain", avec vademecum sur la laïcité mis à jour, diffusé dans les écoles en septembre ou le plan de formation à la laïcité sur quatre ans pour tous les enseignants annoncé en juin et mis en place prochainement.

Pour Christine Guimonnet, ces formations "peuvent être utiles, parce qu'il y a des collègues pour lesquels la laïcité, ce n'est pas forcément très clair". Mais d'autres sont dubitatifs voire inquiets.

« Il y a un côté méprisant, estime Benjamin Marol, comme si on nous disait "on va vous réapprendre à faire votre boulot". »

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« On nous pond des petits guides et il faut suivre un mode d'emploi. Mais ce n'est pas ça être prof », réagit Amélie Hart-Hutasse, coresponsable histoire-géographie pour le syndicat Snes-FSU et professeure dans un collège en Côte-d'Or.

« Il n'y a pas de prêt-à-penser sur ces questions, poursuit l'enseignante. Dans la société et le monde politique, il y a des conceptions qui peuvent être divergentes de la laïcité (et) il ne faut pas non plus vouloir éteindre toute controverse, comme si on ne devait apprendre que des vérités définitives à l'école. »

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