États-Unis : la Cour suprême à l'heure du test avec l'examen de la loi anti-avortement du Texas

Des manifestants pro-avortement devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, le 1er novembre 2021.
Des manifestants pro-avortement devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, le 1er novembre 2021. Tous droits réservés Mandel Ngan, AFP
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Par Louise Brosolo
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La plus haute Cour américaine examine lundi une loi texane interdisant l'IVG après six semaines de grossesse. Elle doit déterminer si le gouvernement fédéral peut ou non poursuivre le Texas pour faire annuler la législation la plus restrictive du pays en matière d'avortement.

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La Cour suprême des États-Unis siègeait lundi 1er novembre, pour examiner à nouveau une loi texane interdisant l'IVG après six semaines de grossesse, relançant le débat sur la législation la plus restrictive du pays en matière d'avortement. Le tribunal devait déterminer si le gouvernement peut ou non poursuivre les représentants de la loi texane pour la faire annuler.

Cet examen intervient deux mois jour pour jour après que la plus haute autorité du pays a autorisé l'entrée en vigueur de la loi, mettant fin à la plupart des avortements dans le deuxième plus grand État américain, et inondant les cliniques des États voisins de patientes texanes.

Reflet des immenses enjeux du dossier, des manifestants pro et anti-avortement se sont réunis devant la plus haute cour de justice américaine aux cris de "l'avortement est essentiel" contre "laissez leurs cœurs battre", chaque groupe se faisant face sous l'œil vigilant des forces de l'ordre.

"La loi du battement de cœur"

Le "Texas Senate Bill 8" (S.B. 8), baptisé également le "Texas heartbeat act" (la loi du battement de cœur), entré en vigueur le 1er septembre dernier, représente le coup le plus dur porté au droit à l'avortement en près de 50 ans.

Elle interdit d'avorter dès que les battements de cœur de l'embryon sont perceptibles, soit vers six semaines de grossesse, alors que la plupart des femmes ignorent encore qu’elles sont enceintes, même en cas d'inceste ou de viol. Seul les IVG en cas d’extrême urgence médicale restent permis.

Le président démocrate Joe Biden avait fustigé une loi "inconstitutionnelle" lors de son entrée en vigueur et vilipendé une décision de la Cour Suprême qui crée "le chaos" et "insulte l'État de droit".

Depuis, la bataille judiciaire s'est intensifiée. Le gouvernement de Joe Biden a demandé lundi 18 octobre à la Cour suprême de bloquer la loi texane. S'en sont suivies des décisions contradictoires d'un juge de première instance et d'une cour d'appel.

Une loi "anticonstitutionnelle"

Le seuil des six semaines intervient bien plus tôt que la limite fixée par la Cour suprême elle-même. Après avoir reconnu en 1973, avec l'arrêt Roe v. Wade, le droit des femmes à avorter, le faisant rentrer dans la Constitution américaine, la haute Cour a jugé en 1992, avec l'arrêt "Casey" (“Planned Parenthood v. Casey”) qu'il s'appliquait tant que le fœtus n'était pas viable hors de l'utérus, soit vers 22 semaines de grossesse.

"La loi Texane est massivement anticonstitutionnelle et contraire à la loi fédérale américaine en matière d’avortement."
Maître Christophe Fabre
Avocat au barreau de Paris et spécialiste de la Constitution américaine

Le "Texas Senate Bill 8" est donc "massivement anticonstitutionnel", explique maître Christophe Fabre, avocat au barreau de Paris et spécialiste de la Constitution américaine enseignant à Science-Po. "Cette loi est contraire à la loi fédérale américaine en matière d’avortement." Car "aux États-Unis, la loi fédérale est au-dessus de celles des États et fait autorité dans tout le pays".

"Prime à la délation"

Mais cet État du sud, véritable laboratoire des idées les plus conservatrices, a imaginé un dispositif inédit qui complique l'intervention de la justice fédérale pour l'invalider. Sa loi confie en effet "exclusivement" aux citoyens le soin de faire respecter l'interdiction d'avorter, en les encourageant à poursuivre au civil les personnes et organisations qui aident les femmes à avorter au-delà de six semaines.

En cas de victoire devant le juge, ces citoyens obtiennent ce que les détracteurs de la loi appellent une "prime à la délation" : 10 000 dollars de dédommagements. Ce n'est donc plus l'État qui est le responsable mais n'importe quel citoyen.

En septembre, la Cour suprême s'était abritée derrière ces "questions nouvelles de procédure" pour refuser de bloquer l'entrée en vigueur de la loi.

"Le gouvernement et les cliniques d’avortement qui mènent chacun une action en justice, ont finalement choisi de nommer 'défenseurs de la loi', les juges et les greffiers texans." explique Me Fabre. Ce n'est donc plus l’État du Texas qui doit rendre des comptes mais les représentants de la loi au Texas.

Le mécanisme législatif en question

Ce lundi, les neuf sages ne devaient pas aborder le droit à l'avortement en lui même mais seulement le mécanisme légal créé par le Texas pour faire annuler cette loi.

Dans de nouvelles circonvolutions juridiques, les défenseurs de la loi texane ont invoqué "un précèdent de la loi américaine qui empêche d'arrêter des poursuites pendant un contentieux" détaille Me Fabre. "Il cherchent à gagner du temps en disant : 'pas question d’annuler la loi sans avoir jugé le fond', soit la question de l’avortement", analyse l'avocat spécialiste de la Constitution américaine.

C'était sans compter sur Elizabeth Prelogar, nommée il y a peu au poste de solliciteur général des États-Unis, sorte d'avocate principale du gouvernement devant la Cour suprême. "Pour elle, la loi Texane a été conçue spécialement pour échapper à la loi fédérale et à la Constitution", explique Me Fabre. **_"Il s’agit quasiment d’une fraude à la loi" _**ajoute-t-il. Ainsi, les arguments des défenseurs de la loi anti-avortement ne tiennent plus.

Un point sur lequel les deux juges Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, pourtant des conservateurs nommés par le président Donald Trump, ont semblé adhérer.

L'autre argument était que si la loi texane était maintenue, cela pourrait conduire d'autres États à adopter le même mécanisme pour empiéter sur d'autres droits protégés par la Constitution. Un point également validé par Brett Kavanaugh, suscitant l'espoir des défenseurs de l'avortement.

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Large offensive contre le droit à l'avortement

Mais quelle que soit l'issue de cette bataille, la guerre n'est pas terminée.

Pour satisfaire leurs électeurs de droite et des milieux religieux, les élus des États républicains adoptent régulièrement des lois qui bafouent le droit à l'avortement. Elles sont généralement bloquées par les tribunaux fédéraux mais le 1er décembre prochain, la Cour suprême doit examiner une loi du Mississippi qui interdit d'avorter après 15 semaines de grossesse.

Pour les observateurs, la haute juridiction, qui compte désormais six magistrats conservateurs sur neuf dont trois nommés par l'ex-président républicain Donald Trump, pourrait profiter de ce texte de facture plus classique pour commencer à détricoter sa jurisprudence, sur le critère de "viabilité du fœtus".

Pour Mary Ziegler, professeure de droit à l'Université d'État de Floride, spécialiste du droit à l’avortement, la décision même de la Cour d’accepter d’examiner la loi du Mississipi "en dit long". Elle dit redouter une "menace existentielle sur les droits à l'avortement aux États-Unis."

"Il y a une menace existentielle sur les droits à l'avortement aux États-Unis."
Mary Ziegler
Professeure de droit à l'Université d'État de Floride, spécialiste du droit à l’avortement

"Beaucoup s'attendent à ce que la Cour fasse respecter la loi du Mississipi. Et pour cela, les juges devront annuler tout ou partie de la jurisprudence Roe v. Wade".

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Si le pilier américain du droit à l’avortement était rendue caduque, explique Mary Ziegler, "la moitié des États du pays criminaliseraient l’avortement".

Sources additionnelles • AFP

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