Handicap : l'inclusion sociale, chère au gouvernement français, reste illusoire

Le président français Emmanuel Macron avec un membre de l'équipe de handball handisport, à Créteil (près de Paris), le 09/01/2019
Le président français Emmanuel Macron avec un membre de l'équipe de handball handisport, à Créteil (près de Paris), le 09/01/2019 Tous droits réservés LUDOVIC MARIN/AFP or licensors
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Par Maxime Bayce
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L'Assemblée nationale se penche pour la troisième fois sur la "déconjugalisation" de l'Allocation adulte handicapé (AAH). Une proposition de loi qui n'avance pas, bloquée par un exécutif en contradiction avec ses déclarations sur le sujet.

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Un peu moins de cinq ans après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la politique de la France vis-à-vis du handicap est fortement critiquée. En septembre, l'exécutif a été rappelé à l'ordre par un comité de l’ONU et les tensions se cristallisent autour de la question de la "déconjugalisation" de l’Allocation adultes handicapés (AAH).

Ce jeudi, l'Assemblée nationale s'est à nouveau opposée à l'individualisation de l'Allocation adulte handicapé. Les députés La République En Marche (majorité) ont voté contre l'article 3 de la proposition de loi "portant diverses mesures de justice sociale", qui permettrait de ne plus prendre en compte les revenus du conjoint dans le calcul du montant de l'Allocation adulte handicapée (AAH).

Une mesure que l'on appelle la "déconjugalisation", soit le fait de considérer chacun des membres d'un couple comme un contribuable à part.

Actuellement, dès que les revenus du conjoint atteignent 1 020 euros par mois, l'allocation commence à être dégressive, jusqu'à être supprimée lorsque celui-ci gagne un peu plus de 2 000 euros nets par mois. Les associations et les militants pour les droits des personnes handicapées dénoncent l’infantilisation qui en découle et le risque financier évident qui pèse sur les 1,22 million d'allocataires.

La situation actuelle est inégalitaire.
Lény Marques
Collectif Lutte et Handicaps pour l'Egalité et l'Emancipation (CLHEE)

"C’est un petit peu incompréhensible ! On a l’impression que toutes les oppositions sont en faveur, et la majorité continue à dire que "déconjugaliser", ce serait une rupture d’égalité. Mais c'est l'inverse ! C’est la situation actuelle qui est inégalitaire", commente, lassé, Lény Marques, porte-parole du Collectif Lutte et Handicaps pour l'Egalité et l'Emancipation (CLHEE).

Unanimité contre le gouvernement

La proposition de loi est, en effet, soutenue depuis bientôt deux ans aussi bien par l'opposition de droite que de gauche. Les groupes communiste, Insoumis, socialiste, Libertés et territoires, UDI et LR se sont prononcés en faveur à l'Assemblée nationale. Une unanimité suffisamment rare pour être soulignée.

Son mode de fonctionnement est également dénoncé par les organismes internationaux. Dans un rapport adressé aux autorités françaises début septembre, l’ONU dit sa préférence nette pour une réforme du système actuel. Système qui irait, selon l'organisation, à l’encontre de l’"autonomie" des personnes handicapées.

J'assume complètement de flécher les financements vers les personnes qui en ont le plus besoin en termes de revenus.
Sophie Cluzel
Secrétaire d’Etat française chargée des personnes handicapées

Dans une interview, la Secrétaire d’Etat française chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, assume pourtant la position du gouvernement.

"Si on veut pouvoir continuer une politique ambitieuse d'accompagnement et de nouveaux droits, on ne peut pas battre en brèche la solidarité familiale et nationale. J'assume complètement de flécher les financements vers les personnes qui en ont le plus besoin en termes de revenus", estime-t-elle.

Plutôt qu'une individualisation, le gouvernement soutient un dispositif d'exonération fiscale; un abattement forfaitaire de 5000 euros sur les revenus du conjoint, soit un gain moyen estimé à 110 euros mensuels pour 120 000 couples à partir du 1er janvier. Une formule qu'il juge "plus redistributive".

Budget conséquent

En terme de dépenses consacrées au handicap, la France reste toutefois l’un des bons élèves d'Europe. Avec 2,2% de son PIB, soit 51 milliards par an dépensés, elle se classe juste derrière la Suède et le Danemark. Un budget qui, selon la secrétaire d’Etat, a augmenté de 17% durant le quinquennat.

L’AAH représente, à elle seule, environ 11 milliards d’euros par an, selon les chiffres de l’exécutif.

Depuis son élection, Emmanuel Macron a même plusieurs fois revalorisé cette allocation. En 2017, elle était d’un peu plus de 800 euros, elle est désormais au-delà des 900 euros (903,60 euros) à taux plein. Un montant qui, malgré tout, place encore ses bénéficiaires sous le seuil de pauvreté.

Alors que le candidat Macron avait fait de l’autonomie des personnes handicapées la boussole de sa politique en la matière, ce refus de la majorité a de quoi interroger.

Illusions perdues

François Marien a collaboré en 2017 à l’élaboration du programme d'En Marche sur la question du handicap. A l’époque, il croyait "qu’un président jeune pourrait engager un changement de cap". Cinq ans plus tard, il a complètement déchanté. **"**On a fait du sur place", déplore-t-il.

Pour lui, la position gouvernementale sur l’AAH est à l’image d’un exécutif enfermé dans des représentations dépassées du handicap.

"Ce n’est pas le fait d’augmenter le budget qui va faire que la France sera un pays égalitaire et inclusif. Ce sont des moyens qui sont encore une fois fléchés vers la construction d’établissements spécialisés etc. Ce n’est pas de la politique inclusive". L'un des aspects soulignés par le rapport des Nations unies.

Catalina Devandas-Aguilar, la rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, pousse la France à s’engager sur la voie de la "désinstitutionnalisation", à savoir la fermeture des établissements où se côtoient aujourd’hui uniquement des publics handicapés.

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300 000 personnes placées en institution

En effet, en France, 200 000 adultes et 100 000 mineurs sont placés dans ces institutions où, selon les Nations unies, "leurs libertés sont restreintes" et une "ségrégation spatiale et sociale est à l’œuvre".

"Il y un discours sur l’inclusivité très fort sauf que le résultat c’est que quand on parle de droits des personnes handicapées, eux répondent places pour les enfants autistes ou dans les ESAT (Ndlr: Etablissement ou services d'aide par le travail)", tempête Lény Marques du CLHEE. "L’ONU leur demande qu’on arrête les centres et qu’on mette en place de l’aide humaine au sein de la communauté à hauteur des besoins !".

En février 2020, Emmanuel Macron fixait 12 engagements pour un acte 2 de son quinquennat plus "inclusif".

Symboliquement, le premier d’entre eux portait sur l’accès à l’éducation. L’objectif affiché : qu’en septembre 2020 "aucun enfant ne se retrouve sans solution de scolarisation". Des solutions de scolarisation qui passent souvent par la présence d’une aide personnalisée, au sein de la classe. Ce que l’on appelle les AESH (Accompagnants d'élèves en situation de handicap).

C'est notamment là que le bât blesse. Si les chiffres sont en nette hausse - 125 500 accompagnants, une augmentation de 35% en cinq ans - on reste très loin de l'objectif fixé. Car dans le même temps, les besoins sont énormes, plus de 400 000 élèves sont en situation de handicap.

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Dès lors, beaucoup d’enfants ne peuvent pas être suivis au quotidien et/ou doivent partager avec d’autres leur accompagnant.

Une situation critique qui a d'ailleurs poussé les AESH à faire grève, le 19 octobre dernier, en dénonçant leurs conditions de travail : mi-temps subis, emplois précaires, et salaires très faibles (pas plus de 800 euros net par mois en moyenne).

La France à la traîne

"La Suède dans les années 60 a su désinstitutionnaliser pour faire de l’inclusion dès la maternelle, dès l’école primaire pour que les personnes grandissent ensemble. C’est un virage que la France n’a pas su prendre", analyse, amer, François Marien.

Plus proche, l’exemple italien d’école inclusive permet également de réaliser le retard pris par la France. Dès les années 1970, les gouvernements italiens ont acté le droit des enfants handicapés à être scolarisé dans des écoles "classiques". Aujourd’hui, on compte 176 000 "enseignants de soutien" dans le pays, soit 1,7 par enfant handicapé, deux fois plus qu’en France.

Des manquements et des retards innombrables qui laissent François Marien très sceptique quant au désir réel du politique hexagonal de changer les choses. Enseignant dans le supérieur, davantage que sur "de nouvelles lois ou quotas", il compte sur une jeunesse plus tolérante sur ces questions. "Pour eux, de dire que les citoyens handicapés ne sont pas des citoyens comme les autres est un non-sujet"__.

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"Avec la déconjugalisation, on a assisté à un mouvement, une prise de conscience"
Lény Marques
Porte-parole du CLHEE

Une parole forte, portée par les personnes handicapées elles-mêmes, émerge également depuis plusieurs années.

Pour Lény Marques, il existe aujourd'hui un ras-le-bol lié au sentiment de s’être fait confisquer ses revendications pendant trop longtemps. "Avec la déconjugalisation de l’AAH, on a assisté à un mouvement, une prise de conscience. Il était temps pour les personnes handicapées qu’elles parlent pour elles mêmes. Au final**,** je trouve ça positif parce que ça structure notre mouvement".

Un discours politisé, loin des clichés paternalistes, qui pourrait bien être l'acte fondateur de la société plus inclusive prôné par l'exécutif.

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