France : scandale après les révélations de graves défaillances dans des Ehpad du groupe Orpea

Une maison de retraite à Kaysesberg, est de la France, le 18 décembre 2020
Une maison de retraite à Kaysesberg, est de la France, le 18 décembre 2020 Tous droits réservés Jean-Francois Badias/Copyright 2020 The Associated Press. All rights reserved
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Par Euronews avec AFP
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"Nous étions rationnés : c'était trois couches par jour maximum" : un livre dénonce de graves défaillances dans des Ehpad du groupe Orpea, en France.

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Des personnes âgées "rationnées" ou laissées sans soin pendant des jours : l'obsession de la réduction des coûts au sein des maisons de retraite Orpea se traduit par de graves "dysfonctionnements", selon un livre-enquête qui a suscité lundi des turbulences boursières pour le groupe et les protestations outrées de sa direction.

Dans "Les Fossoyeurs", paru ce mercredi chez Fayard, et dont Le Monde a publié lundi les "bonnes feuilles", le journaliste indépendant Victor Castanet décrit un système où les soins d'hygiène, la prise en charge médicale, voire les repas des résidents sont "rationnés" pour améliorer la rentabilité du groupe d'Ehpad privés. Et ce alors que les séjours sont facturés au prix fort, près de 6 500 euros par mois pour une chambre d'"entrée de gamme" à la résidence "Les Bords de Seine" de Neuilly, pointe ainsi l'auteur.

"Nous étions rationnés : c'était trois couches par jour maximum"

Or, les maisons de retraite, même privées, bénéficient d'importants financements publics, de la part de l'Etat et des conseils départementaux, souligne le journaliste, pour qui "au moins de manière indirecte, une partie de cet argent public ne va pas au bénéfice des personnes âgées".

"J'ai obtenu des témoignages selon lesquels ces dysfonctionnements trouvaient leur origine dans une politique de réduction des coûts mise en place à un haut niveau" de l'entreprise, a résumé l'auteur.

Une auxiliaire de vie, dont M. Castanet a recueilli le témoignage, raconte par exemple à quel point elle devait "se battre pour obtenir des protections" hygiéniques pour les résidents.

"Nous étions rationnés : c'était trois couches par jour maximum. (...) Peu importe que le résident soit malade, qu'il ait une gastro, qu'il y ait une épidémie", raconte cette femme, Saïda Boulahyane.

Le livre revient également sur les conditions de la mort de l'écrivaine et comédienne Françoise Dorin début 2018, des suites d'une escarre mal soignée, moins de trois mois après son entrée dans un des établissements du groupe Orpea.

Dans l'émission C à vous de France 5, diffusée ce mardi, Victor Castanet affirme avoir été dissuadé de poursuivre ses investigations, en échange d'argent.

"On m'a proposé 15 millions d'euros pour que je ne publie pas mon enquête" a-t-il révélé.

Le groupe dénonce une "volonté de nuire"

Après la publication de ces accusations dans Le Monde, le titre Orpea à la Bourse de Paris a dévissé de plus de 16%, avant que sa cotation ne soit suspendue, à la demande du groupe. Et d'autres gestionnaires privés de maisons de retraite ont également fait les frais de cette polémique : au cours de la séance, le titre Korian a perdu plus de 14% et celui de LNA santé plus de 5%, dans un marché globalement en très forte baisse de près de 4%.

Mercredi, en début d'après-midi le titre Orpea perdait encore 7,25% à 51,18 euros dans un marché en forte hausse de 2,55%.

"Nous contestons formellement l'ensemble de ces accusations que nous considérons comme mensongères, outrageantes et préjudiciables", a réagi dans un communiqué la direction d'Orpea, fustigeant des "dérives sensationnalistes" et une "volonté manifeste de nuire". Le groupe indique avoir saisi ses avocats pour donner "toutes les suites, y compris sur le plan judiciaire", à la publication du livre, afin "de rétablir la vérité des faits".

"Nous avons toujours placé la qualité avant le financier", s'est défendu lors d'un point presse le directeur général du groupe, Yves Le Masne. Selon lui, les témoignages à charge recensés dans le livre émanent d'une minorité d'anciens collaborateurs de l'entreprise qui ont nourri une "rancoeur" à son encontre après l'avoir quittée.

Le directeur général pour la France, Jean-Christophe Romersi, a formellement démenti les accusations portant sur de supposés rationnements, notamment des protections hygiéniques des résidents.

"Nous n'avons jamais demandé le moindre rationnement. Il n'a jamais été question de sacrifier la moindre prise en charge ; ça ne correspond ni à nos directives, ni à nos valeurs", a-t-il insisté.

Mediapart fait d'autres révélations

La direction a également dû répondre à d'autres accusations publiées lundi, cette fois par Mediapart : selon le média d'investigation en ligne, le groupe a commis de fréquentes irrégularités dans le recrutement de ses salariés en CDD, en mentionnant sur leur contrat, comme motif d'embauche, le remplacement de collaborateurs en CDI, qui, dans les faits, "n'existeraient pas".

"C'est faux, il n'y a jamais eu de faux contrats de travail", a répondu lundi M. Le Masne, pour qui l'entreprise n'a aucun intérêt à privilégier les embauches en CDD. Dans un contexte récurrent de pénurie de personnel, ce sont souvent les salariés eux-mêmes qui refusent un CDI pour garder leur liberté, selon lui.

Pour Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, "si la situation est celle décrite dans le livre, c'est un pur scandale". "Il faut dénoncer, il faut contrôler, il faut sanctionner si c'est avéré", a-t-il dit sur RTL.

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"Si les faits dénoncés sont avérés, certains d'entre eux sont inacceptables et susceptibles d'être condamnés", a commenté de son côté dans un communiqué l'AD-PA, l'Association des directeurs au service des personnes âgées.

L'exécutif prend ces révélations très au sérieux

Le ministre de la Santé Olivier Véran a assuré mardi sur LCI "prendre très au sérieux" le livre, tout en voulant attendre "des éléments factuels".

"Nous allons lui poser des questions [au groupe Orpea], j'attends d'avoir des éléments factuels venant des autorités d'évaluations et de contrôles indépendantes" a-t-il développé, sans exclure l'ouverture d'une enquête.

Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a quant à lui estimé que ces révélations étaient "absolument révoltantes" et appellent à des sanctions de "la plus grande sévérité (...) si les faits sont avérés".

"Nos aînés méritent le respect, ils méritent le meilleur, et il est hors de question que de tels agissements puissent être tolérés dans notre pays", a-t-il ajouté à l'issue du Conseil des ministres.

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"Les révélations faites dans ce livre sont absolument révoltantes, vous avez le ventre noué en lisant des choses pareilles, et si ces faits sont avérés, ils devront évidemment être sanctionnés avec la plus grande sévérité", a-t-il insisté.

Gabriel Attal a précisé que la ministre déléguée chargée de l'Autonomie des personnes âgées Brigitte Bourguignon rencontrerait "dans les plus brefs délais" le directeur général d'Orpea Jean-Christophe Romersi, "à la demande du ministre de la Santé Olivier Véran".

Le gouvernement a également demandé à l'Agence régionale de Santé d'Ile-de-France son "_dernier rapport de contrôle inopiné sur cet établissement et les suites qui avaient été donnée_s", des données qui remontent à l'"année 2018" selon M. Attal.

Les députés socialistes veulent un droit de visite dans les Ehpad

Les députés socialistes ont demandé mardi que les parlementaires puissent disposer d'un droit de visite dans les Ehpad sur le modèle de ce qui se pratique pour les lieux de privation de liberté, après des accusations visant un groupe privé de maisons de retraite.

"Il faut que les parlementaires puissent se rendre dans les Ehpad", a demandé le porte-parole du groupe socialiste Boris Vallaud, interrogé sur les révélations d'un livre-enquête dénonçant l'obsession de la rentabilité au sein du groupe Orpea, ce que ce dernier conteste.

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A l'initiative de la députée Christine Pires Beaune, les députés socialistes souhaitent en effet que les parlementaires aient le droit de visiter les Ehpad, hôpitaux et toute structure dont les résidents ou patients bénéficient d'une aide publique, "à l'improviste, comme nous l'avons pour les prisons".

Depuis 2000, la loi permet aux parlementaires de visiter à l'improviste les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d'attente et les établissements pénitentiaires. En 2015, ce droit a été élargi aux centres éducatifs fermés.

Emmanuel Macron avait promis en 2018 une loi sur la dépendance des personnes âgées, avant que ce projet ne soit remisé dans les cartons. Des mesures pour le grand âge ont été votées dans le cadre du budget 2022 de la Sécurité sociale.

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