Thierry Breton : "Il faut protéger l'espace pour défendre ce qui est important pour nous"

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Par Grégoire Lory
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Commissaire européen en charge du marché intérieur, Thierry Breton évoque pour nous, lors de la 14ème Conférence spatiale européenne, les réalisations de l'UE dans le domaine de l'espace et les défis à relever.

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Rendre l'Union européenne plus forte, plus géopolitique et plus compétitive, c'est le cap fixé par ses responsables politiques. Cette orientation doit passer par un renforcement de la souveraineté industrielle, économique, numérique, mais aussi spatiale. Nous avons interrogé à ce sujet, le Commissaire européen en charge du Marché Intérieur, le Français Thierry Breton lors de la 14ème Conférence spatiale européenne qui s'est tenue les 25 et 26 janvier 2022 à Bruxelles.

Grégoire Lory, euronews :

"Que représente le domaine de l'espace en termes de marché, de développement technologique et de défense pour l'Europe ?"

Thierry Breton, Commissaire européen en charge du marché intérieur :

"L'Europe est une très grande puissance spatiale. Nous avons parmi les meilleurs acteurs au monde dans le domaine des lanceurs et des satellites, mais aussi de nombreuses start-up. Mais au-delà de cela, l'espace est également un domaine de plus en plus contesté. C'est un domaine stratégique qu'il faut protéger et défendre, y compris pour nous, Européens. On l'a vu dernièrement, avec ce qui s'est passé lors du tir sur un satellite qui a mis des débris partout et qui peut mettre en péril nos propres constellations souveraines. Je pense en particulier, à celles qui sont si utiles pour notre vie quotidienne : Galileo et Copernicus.

Galileo, c'est ce qui nous permet d'avoir du positionnement par satellite. On a la constellation qui est la plus performante au monde, on le sait peu. On utilise souvent le mot "GPS" alors que c'est Galileo qui est le plus performant : il fournit tous nos systèmes de positionnement par satellite en Europe, mais aussi bien au-delà, c'est le plus précis au monde. On va continuer à garder cette avance. C'est très important pour les véhicules connectés et autonomes, mais aussi pour toutes les activités. Aujourd'hui, on le voit même dans nos smartphones de la vie courante. Copernicus, c'est tout ce qui nous permet d'avoir une capacité à voir ce qui se passe depuis l'espace avec les images, mais aussi bien d'autres choses : des radars pour détecter les émissions de CO2... On a énormément de choses qu'on voit de l'espace. Donc nous avons deux constellations de satellites qui sont souveraines et destinés aux Européens pour protéger notre espace.

Mais il faut aller plus loin puisque l'espace est un domaine qu'il faut aujourd'hui défendre. C'est un domaine de souveraineté et d'autonomie et donc, les aspects de défense sont aussi importants pour nous. Ainsi, l'espace concerne l'activité industrielle, la science, mais aussi notre activité dans le monde du numérique et enfin, la défense de ce qui est important pour nous."

"De nouveaux besoins apparaissent en matière de connectivité"

Grégoire Lory :

"En quoi consiste la stratégie spatiale que devrait présenter la Commission le mois prochain ?"

Thierry Breton :

"On a un accès à l'espace, on est autonome, on a de très grandes entreprises, on a des lanceurs comme Ariane comme Vega et il faut poursuivre dans cette voie, on continuera à accompagner ces développements. Il faut aussi aller vers du réutilisable et vers des lanceurs importants. On continuera à soutenir cela. C'est très important. On a un vrai savoir-faire. Il y a aussi des lanceurs plus petits, des micro-lanceurs. On aura des constellations de satellites avec de petits satellites. Donc on a des besoins nouveaux qui apparaissent. Mais cet accès à l'espace et cette autonomie d'accès à l'espace sont absolument essentiels pour nous.

De plus, la stratégie, c'est de continuer les développements sur le positionnement par satellite avec Galileo. On a une nouvelle génération de satellites qui va offrir des services encore plus précis parce qu'on voit bien que pour un véhicule connecté, si vous avez une précision à 10 cm, cela peut poser de gros problèmes. Il faut qu'on soit quasiment au niveau centimétrique. C'est ce que l'on fera, évidemment, avec les nouvelles générations de Galileo.

Concernant Copernicus, on va évidemment continuer à le développer et puis, il y a aussi de nouveaux besoins qui apparaissent. On travaille notamment, sur une constellation de satellites qui offrira grâce aux nouvelles technologies de satellite LEO (des satellites en orbite basse), de la connectivité large bande partout en Europe. C'est très important parce qu'il y a encore des zones blanches. Mais il faut aussi offrir de la redondance satellitaire. On l'a vu pendant le confinement, on a été à la limite dans certains endroits de notre continent où, précisément parce que tout le monde était confiné chez soi, on utilisait Internet - souvent plus que de raison du reste -. Les réseaux n'étaient pas faits pour cela. On a frôlé les catastrophes, donc il faut avoir aussi des éléments de sécurisation de nos infrastructures large bande, y compris spatiales, au cas où il y ait des attaques - cela peut arriver -, notamment en matière de cybersécurité. On sait aussi qu'il faut réfléchir à la sécurité qui est très importante, en matière de réseaux de communication, d'Internet et les technologies quantiques - ces nouvelles générations de technologies de cryptologie qui nous permettront d'avoir un niveau de sécurisation maximale - seront portées précisément par cette constellation en orbite basse.

Deuxième volet de cette constellation : comme c'est une constellation Nord-Sud, on pourra aussi "arroser" comme on dit dans notre jargon, le continent européen, mais aussi le continent africain puisque c'est une orbite Nord-Sud et donc, on veut aussi offrir à nos amis africains de la connectivité à faible coût, partout sur le continent africain.

Le troisième volet concerne l'aspect start-up : on veut innover et irriguer cet écosystème.

Le quatrième volet, c'est une dimension militaire. Elle est de plus en plus importante et c'est un problème de souveraineté, bien entendu, pour faire en sorte qu'on protège l'espace, qu'on puisse le surveiller, mais qu'on ne soit pas naïfs, qu'on voit ce qui s'y passe, y compris en ce qui concerne la gestion des débris. C'est ce qu'on appelle le "space traffic management". Donc, voilà les quatre dimensions qui seront très importantes et dont on parlera évidemment encore plus à Toulouse le mois prochain."

Réglementations sur les plateformes numériques : "Il en va de notre vie à tous ; dans cet espace informationnel, c'est notre sécurité, c'est la sécurité de nos enfants"

Grégoire Lory :

"Évoquons à présent, les plateformes numériques. Vous avez présenté il y a un peu plus d'un an, des propositions. Le Parlement européen s'est lui aussi positionné. Êtes-vous confiant sur le contenu définitif de ces textes et sur leur mise en œuvre prochainement ?"

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Thierry Breton :

"Oui, c'est un grand moment parce qu'on a proposé ces textes avec mes services il y a un an. Et un an après - ce qui est très court dans le cadre des institutions européennes et du dialogue démocratique entre les co-législateurs - , il a fallu moins d'un an pour que le Conseil, notamment, vote les deux textes : le DMA (Digital Markets Act) qui va réguler l'aspect économique des plateformes et le DSA (Digital Services Act) qui va réguler notre vie en société sur ces plateformes et faire que tout ce qui est interdit dans la vie physique le soit aussi sur les espaces numériques, dans l'espace informationnel. Cela implique de nombreuses choses : il faut reconquérir cet espace informationnel, cet espace Internet en faisant en sorte qu'il y ait un droit qui s'applique et que les plateformes ne puissent plus faire n'importe quoi et donc, qu'on les contrôle tout en préservant évidemment, la liberté d'expression et on a trouvé un juste milieu.

Cela montre vraiment que les co-législateurs, les États d'un côté, le Parlement de l'autre, ont soutenu cette proposition de la Commission puisque les textes qui ont été votés sont très proches de la proposition que nous avions formulée avec mes équipes. Donc, c'est une très bonne chose. J'ai confiance parce que d'abord, le niveau d'ambition est bien maintenu et c'est très important. J'ai confiance que sous présidence française, on puisse trouver un compromis qui permettra très vite de faire en sorte que ces réglementations - il s'agit d'un règlement - entrent en vigueur le plus vite possible. Il en va de notre vie à tous. Dans cet espace informationnel, c'est notre sécurité, c'est la sécurité de nos enfants. Donc il y a une urgence. Mais l'Europe s'est donné les moyens de répondre à cette urgence. On est le premier continent à le faire."

Journaliste • Grégoire Lory

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