Le dilemme des russophones d'Estonie entre soutien à Poutine et loyauté à l'UE

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Par Hans von der Brelie
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Sur fond d'intervention militaire russe en Ukraine, certains Estoniens russophones donnent raison à Vladimir Poutine tandis que la grande majorité a choisi le camp de la paix et de l'Union européenne. Le reportage de Hans von der Brelie dans l'est du pays, au plus près du voisin russe.

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Une importante minorité russophone vit dans les pays baltes. Leurs membres sont-ils manipulés par le dirigeant russe ou sont-ils loyaux envers l'Union européenne ? L'Estonie fait partie de l'OTAN. L'Alliance garantit la sécurité du pays. Les Estoniens ont-ils peur de leur grand voisin oriental qu'est la Russie ? Pour le savoir, notre reporter Hans von der Brelie s'est rendu dans l'est du pays, à la frontière extérieure de l'Union européenne.

En tant que journaliste de terrain, c'est clairement le sujet pour lequel vous ne savez pas à quoi vous attendre. Une seule chose est à peu près sûre : avant mon départ imminent, on annonce -9°C à Narva, ville à l'extrémité orientale de l'Estonie. Muni du matériel d'enregistrement adéquat et de vêtements chauds, je pars interroger des russophones de cette région pour prendre la température de leur état d'esprit alors que les bombes russes tombent sur l'Ukraine.

"Poutine sait ce qu'il fait !"

Alors qu'elle patiente à un arrêt de bus de Narva, une dame âgée russophone me donne son point de vue : "Poutine sait ce qu'il fait. Si les Ukrainiens n'avaient pas bombardé le Donbass, rien ne serait arrivé," assure-t-elle. "C'est de leur faute, les Ukrainiens ont forcé Poutine à agir," dit-elle.

Anna, elle, montre la ville à un ami venu de Russie. "Il y a des personnes ici qui subissent un lavage de cerveau avec les informations télévisées de propagande russe," estime-t-elle.

C'est pour cela que l'Union européenne a décidé de retirer leur licence aux chaînes de télévision de propagande russe. Un grand nombre de personnes que je croise dans les rues de Narva dénoncent cette décision, en particulier de nombreuses personnes âgées russophones qui maîtrisent peu la langue estonienne.

Ce n'est pas la première fois que je suis en reportage dans cette région de l'est de l'Estonie. Au cours de ces 20 dernières années passées à couvrir des sujets pour euronews dans le monde entier, j'ai eu de bonnes raisons de me rendre dans ce pays à plusieurs reprises : son adhésion à l'Union européenne, mais aussi à la zone euro et à l'OTAN, l'industrie polluante estonienne des schistes bitumineux, l'intégration des russophones ou encore l'inquiétude des Estoniens après la première agression de Vladimir Poutine contre l'Ukraine en 2014. En 2022, la deuxième intervention russe dans ce pays met encore une fois, cette question sur la table : les pays baltes sont-ils eux aussi menacés ? Pendant des années, la Russie a tenté à travers les chaînes de télévision contrôlées par l'État, d'influencer les Russophones qui vivent en Estonie.

"Mes enfants et moi, on est citoyens estoniens !"

Plus de 70 % de la population de la région orientale du pays sont de langue maternelle russe. À Narva, la ville estonienne frontalière avec la Russie, cette proportion atteint plus de 90 %. Ses habitants sont-ils loyaux envers l'Estonie ? Dans les rues de Narva, je tends mon micro aux passants en posant une question provocatrice : "Où voulez-vous vivre ? En Estonie ou en Russie ?" Je suis surpris de voir que les hommes et femmes que j'interroge me répondent volontiers, ils semblent avoir besoin de faire part de leur point de vue.

Olga, une Russophone d'un certain âge avec de petites lunettes, nous indique : "L'Estonie, c'est mieux parce que c'est un petit pays, donc l'État fait plus attention aux gens et donc, il y a un meilleur système de sécurité sociale." Natalia, une autre Russophone accompagnée de sa fille, s'étonne : "Comment pourrait-on appartenir à la Fédération de Russie ? Évidemment, on appartient à l'Estonie ! Mes enfants et moi, on est citoyens estoniens !"

Roman s'approche de moi après qu'une personne âgée a refusé de me parler : "L'Estonie est le seuil de l'Europe comme le seuil d'une maison," estime-t-il avant d'ajouter : "On se sent dans l'Union européenne en jouant le rôle de seuil. Quand on y entre, on se sent chez soi," dit-il.

Deux tiers des russophones ont un passeport estonien

Pendant l'occupation soviétique, Staline a déporté de nombreux Estoniens en Sibérie tandis que des Russes ont émigré vers l'Estonie. C'était l'époque de la russification forcée de la région. Depuis la "révolution chantante" du pays et depuis l'adhésion à l'UE, de nombreuses choses ont changé, mais il faut encore relever le défi de l'unité dans la diversité. Aujourd'hui, environ deux tiers des russophones de langue maternelle possèdent un passeport estonien. Environ 6 % de la population estonienne disposent d'un "passeport gris", ils n'ont pas demandé de papiers d'identité estoniens ou russes.

Est-ce facile de s'intégrer à la société estonienne en tant que russophone ? Anna m'assure que oui. Après avoir étudié le droit à Moscou pendant sept ans, elle est rentrée dans sa ville natale, Narva. Alors qu'Anna a appris l'estonien et est aujourd'hui bilingue, son mari, lui, ne parle que le russe. Dans l'entourage d'Anna, tous ne pensent pas comme elle. C'est pour cela que la politique est un sujet tabou dans sa famille.

"Quelle différence cela fait-il d'être née à Narva ou Tallinn ? Je parle russe et estonien, j'ai des amis russes et des amis estoniens, il n'y a absolument aucune discrimination," souligne-t-elle.

L'impact de la guerre en Ukraine

La propagande russe tente de donner aux russophones vivant en Estonie, un rôle de victime. Mais Anna qui travaille dans l'administration de la ville et possède un passeport estonien, se sent traitée comme n'importe quelle Estonienne.

Aujourd'hui, pour elle comme pour de nombreux Estoniens, le problème est ailleurs. Les rayons sont vides dans les supermarchés. Les produits russes ont été retirés du marché. De plus, on assiste à des achats de panique à cause de la guerre de Vladimir Poutine en Ukraine.

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