Le retour à la "voiture soviétique", une conséquence indirecte de la guerre en Ukraine ? Entretien avec le chercheur Boris Vinogradov.
Renault a officiellement fait ses bagages, et après ? Ce lundi 16 mai, le géant français de l'automobile a cédé l'intégralité de ses actifs dans le pays. Une amputation pour le pays, qui était le deuxième client du groupe, juste après l'Union européenne.
Pour mieux comprendre ce que ce départ signifie pour l'avenir de l'industrie automobile russe, Euronews s'est entretenu avec Boris Vinogradov, historien et chercheur à l'Université de Nantes, auteur d'une thèse sur L’Industrie automobile française et la Russie de 1954 à 2014 présentée en 2021.
Euronews : Quelle importance avait le groupe Renault en Russie ?
Boris Vinogradov : Renault est la première entreprise automobile d'Europe de l'ouest qui a pris la décision de s'implanter sur le marché russe à la fin des années 90, à une époque extrêmement difficile pour l'économie russe. [...] En 2007, le gouvernement de la Russie a demandé au groupe Renault de moderniser Avtovaz, le constructeur emblématique automobile national pour la Russie. [...] Et à ce jour, en tout cas à la veille de la guerre en Ukraine, Avtovaz était un site très important pour le groupe Renault en Russie. Il représentait deux tiers des ventes de voitures Renault en Russie, contre un tiers de voitures fabriquées à [l'Usine Renault de] Moscou.
En 2019, les deux usines du groupe en Russie produisaient plus de 400 000 voitures par an, ils étaient leader du marché avec la marque Lada, une marque historique de l'Union soviétique contrôlée par Renault à hauteur de 67% avant la guerre en Ukraine.
Les usines russes vont-elles pouvoir continuer à construire des voitures sans pièces et sans ingénieurs occidentaux ?
BV : À l'heure actuelle, Renault cède toutes ses activités et tous ses actifs russes se retirent effectivement du marché. Cependant, l'usine Avtovaz continue à tourner parce que le niveau de localisation et d'importation de Renault a permis à ce constructeur de continuer à assembler les voitures malgré la rupture des livraisons des pièces essentielles électroniques [...]. À cause de la guerre, ces livraisons sont aujourd'hui suspendues, voire arrêtées.
Donc, je pense que la solution sera trouvée, notamment en passant par les importations parallèles. Ils'agit de pièces importées de l'étranger, mais sans l'accord direct du fabricant. Le 7 mai, le ministère russe de l'Industrie et du Commerce a publié un décret autorisant des importations parallèles de pièces automobiles venues de l'étranger.[...] On peut oublier les importations venant de l'Europe et donc l'industrie russe essaie plutôt de s'orienter vers des fournisseurs asiatiques et chinois.
Quel scénario peut-on envisager pour l'industrie automobile si la Russie est coupée de l'Ouest de manière définitive ?
BV : Pour le moment, on ignore l'avenir des grandes marques telles que Volkswagen, qui n'a pas officiellement arrêté la production de ses voitures en Russie. On sait que les Coréens, notamment Hyundai et Kya n'ont pas annoncé l'arrêt de production non plus. Il y a un grand producteur chinois [ndlr : Great Wall Motor] dont les usines tournent en ce moment là. Donc, je ne pense pas que les consommateurs russes resteront sans voitures.
Le problème réside plutôt dans la conception et dans le développement des nouveaux modèles. Selon les fonctionnaires du ministère de l'Industrie russe, les usines Avtovaz vont, dans les mois qui viennent, continuer à produire toutes les voitures qu'elles produisaient avant.
Si les contacts avec les investisseurs et les ingénieurs occidentaux sont complètement interrompus, on pourrait revenir à l'époque où une gamme de voitures restait en production pendant des dizaines d'années avec des changements minimum.
Ndlr : Cette rupture à 100% reste un scénario pessimiste pour la Russie, dans la mesure où Renault a négocié de pouvoir reprendre ses parts d'Avtovaz dans les six prochaines années, sous couvert d'un apaisement de la situation géopolitique.