Brésil : ce que la mort du dernier membre d'une tribu nous apprend sur les peuples "non contactés"

Une vidéo de l'homme publiée en 2018 par les autorités locales consacrées aux indigènes (FUNAI) - Capture vidéo
Une vidéo de l'homme publiée en 2018 par les autorités locales consacrées aux indigènes (FUNAI) - Capture vidéo Tous droits réservés AFP
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Par Margaux Racaniere
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Près d'une centaine d'autres peuples "non contactés" vivraient dans la forêt amazonienne. Ils sont particulièrement menacés par la déforestation et les violences par ceux qui souhaitent s'approprier leurs terres.

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On ne l'a jamais aperçu qu'à travers des images volées car il refusait tout contact avec la civilisation.

Le "dernier de sa tribu" a été retrouvé mort ce weekend à proximité de sa hutte en Amazonie brésilienne. Tout laisse à croire qu'il est mort de cause naturelle. Il était surnommé "l'homme du trou" ou "l'indien de Tanaru" du nom du territoire indigène de 80km2 au niveau de la frontière bolivienne dans lequel il vivait seul depuis au moins vingt ans.

Il était le dernier survivant de son peuple, décimé dans les années 1990, et vivait dans une réserve protégée, encerclée par de grandes surfaces agricoles. Ses conditions de vie (et sa survie) étaient suivies de près par la Funai – organisme gouvernemental brésilien élaborant et appliquant les politiques relatives aux peuples autochtones -  et l'ONG Survival International, consacrée aux conditions de vie des peuples autochtones à travers le monde.

En 2018, la Funai a partagé une vidéo prise par un agent sur place, qui montre l'homme, vêtu d'un pagne, en train d'utiliser une hache contre un arbre. Le but : faire prendre conscience de l'existence de ces "peuples non contactés" et du danger qu'ils encourent dans la forêt amazonienne.

Qui était l'homme du trou ?

On ne connait ni son nom, ni sa langue, ni son ethnie, ni sa religion. On estime seulement qu'il avait une soixantaine d'années, chassait avec un arc et des flèches et portait des sortes de pagnes.

Son environnement nous en apprend plus sur lui. Fiona Watson, chercheuse à Survival International, a pu se rendre dans son lieu de vie en 2005 dans le cadre d'une expédition de suivi. Il s'agissait d'aller repérer des signes de vie et s'assurer qu'il n'avait pas été attaqué : "Dans la forêt, on pouvait sentir sa présence partout. J'ai vu certains des trous qu'il avait creusés dans la terre. Des trous de deux mètres de profondeur, qu'on pense qu'il utilisait pour chasser puisqu'il y avait des pointes de flèches acérées au fond, raconte-t-elle, c'était incroyable de pouvoir pénétrer dans son jardin, dans lequel il faisait pousser beaucoup de nourriture, du manioc, des papayers…C'était pour moi un symbole incroyable de vie en autarcie".

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Une des huttes construites par l'homme, qui vivait en autarcie dans la forêt amazonienne.AFP

Qu'est-ce qu'un peuple non contacté ?

L'"homme du trou" a toujours refusé le contact avec le reste des hommes. Même la Funai, qui lui fournissait régulièrement des outils et de la nourriture de loin, et a fait le choix de respecter son désir d'isolement, n'est jamais entrée en contact avec lui. Cette vie complètement coupée de toute communication étonne, et contraste avec notre monde contemporain hyperconnecté.

Selon la Funai, plus de 100 groupes autochtones isolés, sans contact avec le reste du monde, auraient été détectés au Brésil. Une évaluation qui varie cependant selon les rapports.

Ces peuples vivent en autarcie totale, mais ils sont parfaitement conscients qu'il existe un autre monde autour d'eux. Ils voient les avions voler au dessus de leur tête et les bulldozer raser des pans de forêt. Ils sont aussi en lien avec les peuples voisins. "Ils ne vivent pas dans un bulle" rappelle Fiona Watson, de Survival International, "c_'est très important pour leur survie qu'ils sachent ce qu'il se passe autour et surtout dans leur territoire. Un grand nombre de ces peuples a été forcé de fuir. Donc ils ont dû se réfugier toujours plus loin, le long du fleuve Amazone_."

Des peuples menacés par la déforestation

En Amazonie, les peuples autochtones de la forêt sont menacés par l'exploitation illégale et à grande échelle des ressources naturelles dont ils dépendent pour leur survie. Tout le peuple de l'"homme du trou" a été tué, vraisemblablement pour récupérer ses terres. Un phénomène que l'ONG Survival International qualifie de génocide.

Pour protéger la forêt et les peuple autochtones qui y vivent, le gouvernement brésilien a mis en place des ordonnances de protection des terres, qui doivent être renouvelées au bout de quelques années. Celles-ci permettent d'interdire l'accès à la forêt aux bûcherons, aux mineurs et à toute personne qui souhaiterait affecter l'environnement. Une ordonnance avait été placée sur la terre de l'homme du trou jusqu'en 2025, mais à partir de ce moment-là, elle risque d'être récupérée par des exploitants agricoles.

"J'espère que sa terre sera préservée, d'une part pour honorer la mémoire de cette personne extraordinaire, explique Fiona Watson, d'autre part parce que c'est une terre inestimable, un morceau encore intact de forêt amazonienne. Tout autour, la forêt a été complètement détruite, il n'y a que des exploitations bovines et des champs de soja".

"Nous ferons en sorte que ce qu'il reste de forêt dans le territoire indigène de Tanaru soit préservé en mémoire de la triste histoire d'un peuple violemment condamné à la disparition." s'engage l'oranisation OPI sur Twitter

L'observatoire des droits humains des peuples indigènes isolés et récemment contactés (OPI), une organisation composée de nombreux anciens membres du Funai, demande à ce que le territoire de l'homme soit fermé le temps que des études archéologiques et anthropologiques soient menées. Ils demandent aussi à ce que le territoire soit préservé en tant que lieu mémoriel.

Que vont changer les élections brésiliennes pour les peuples autochtones d'Amazonie ?

La question de la préservation de l'Amazonie occupe déjà une place importante dans les débats en vue de l'élection présidentielle brésilienne du 2 octobre prochain. Jair Bolsonaro est sous le feu des critiques des associations environnementales depuis son arrivée au pouvoir pour avoir détricoté des lois de protection de la forêt.

"Si Jair Bolsonaro emporte l'élection, la situation risque encore d'empirer pour les peuples autochtones de l'Amazonie" s'inquiète Fiona Watson.

L'autre favori de l'élection, Lula, a fait de la protection de l'Amazonie un de ses arguments de campagne, et a promis de créer un ministère aux affaires indigènes, avec un autochtone à sa tête.

D'après le recensement de 2010, plus de 800 000 personnes se déclarent autochtones au Brésil, immense pays de 212 millions d'habitants.

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